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  • Un bon Renaudot

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    La surprise, dans les deux prix littéraires attribués ce lundi, c'est qu'il n'y a pas eu de surprise ! Comme prévu, le Goncourt est allé à la favorite, Marie Ndiaye, pour Trois femmes puissantes (Gallimard) dont nous parlerons quand nous l'aurons lu ! Quant au Prix Renaudot, il récompense un écrivain doué, mais parfois paresseux, Frédéric Beigbeder, un Parisien pur sucre, pour Un roman français (Grasset), un livre fort et personnel dans lequel Beigbeder donne le meilleur de lui-même. Champagne !

    Frédéric Beigbeder n'est pas un écrivain. C'est un animateur de télé, un mondain. Un people. Grâce aux magazines et aux talk-shows, on sait et on a toujours tout su de lui. Sa cocaïnomanie comme ses dérives alcoolisées. La longue liste de ses conquêtes féminines (dont Laura Smet-Halliday). etc. Ses livres n'ont jamais été que des sortes d'exercices de style ou de galops d'essai, destinés, dans le meilleur des cas, à remporter un prix littéraire (cela a marché pour Windows on the World qui a obtenu l'Interallié en 2003). Même si, de temps en temps, on reconnaissait la patte d'un véritable écrivain.

    Eh bien, tout le monde  s'est trompé, moi le premier. Son dernier livre, Un roman français*, est une perle comme on n'en trouve rarement lors des rentrées littéraires. Parodiant le titre d'un très beau roman d'Emmanuel Carrère (Un roman russe**) qui mêlait inextricablement réalité et fiction, Beigbeder nous donne un livre à la fois surprenant par sa force et sa vérité, et essentiel, car il touche aux secrets que chaque écrivain porte en lui, sans jamais, peut-être, pouvoir y accéder.

    Tout commence, ici, par un fait divers : l'auteur, l'égoïste romantique, le people est arrêté un beau matin, à la sortie d'une boîte, parce qu'il sniffait peu discrètement une ligne de poudre sur le capot d'une voiture (comme le héros de Lunar Park, de Brett Easton Ellis, qu'il essaie d'imiter dans ses excès). Ce fait divers devrait tomber dans les oubliettes. Hélas, le prévenu s'appelle Frédéric Beigbeder, il est célèbre et traîne une mauvaise réputation. En plus, il tombe sur un commissaire de police qui décide de faire un exemple. Au lieu de ne faire qu'un détour par le poste de police, il passe vingt-quatre heures au clou, puis est transféré au Dépôt pour une nouvelle journée complète. Rimbaud a écrit Une Saison en Enfer ; Genet, quant à lui, a produit ses plus beaux livres en prison, alors qu'il attendait d'être exécuté. Il faut croire que la prison a du bon pour les écrivains, car FB, subitement, y retrouve la mémoire. Lui qui n'avait aucun souvenir d'avant sa sixième année (« ma vie est une énigme policière où le baume du souvenir enjolive, en le déformant, chaque pièce à conviction. »). C'est-à-dire avant que ses parents se séparent.

    Car tout, dans ce Roman français, tourne autour de cela : la blessure invisible — et jusqu'ici muette — du divorce des parents. Ce qui pourrait apparaître comme un traumatisme d'enfant ouvre les vannes infinies de la mémoire. Et c'est toute une part de lui-même que FB redécouvre avec son trésor d'images, de sensations enfouies, de musiques à demi oubliées. On revisite avec lui les années 70 et 80, l'époque des mange-disques et des premiers ordinateurs, les adieux de Giscard et les soirées de Maritie et Gilbert Carpentier à la télé. Il y a quelque de proustien dans cette quête du temps perdu (sans parler du temps perdu à faire la fête et à se détruire joyeusement). « On peut oublier son passé. Cela ne signifie pas qu'on va s'en remettre. »

    L'autre pôle essentiel de cette mémoire perdue, c'est le grand frère, Charles, qui est brillant, suit toujours le bon chemin et va même recevoir bientôt le Légion d'Honneur. « Et si Freud s'était trompé ? Et si l'important n'était pas le père et la mère, mais le frère ? Il me semble que tous mes actes, depuis toujours, sont dictés par mon aîné. Je n'ai fait que l'imiter, puis m'opposer à lui, me situer par rapport à mon grand frère, me construire en le regardant. » FB scrute au sclapel les relations avec ce frère aîné et ennemi, qui fait toujours tout juste, ne lui laissant, dans la famille, que le rôle du vilain canard. Il analyse les rivalités, les jalousies, les hargnes muettes. Mais aussi les admirations. C'est pourquoi, sans doute, son roman est aussi une manière de se réconcillier avec son frère.

    Inutile d'aller plus loin : il faut lire ce Roman français parce qu'il révèle un écrivain qui se dissimulait jusqu'ici derrière ses masques mondains de noceur, dragueur et beau-parleur. Un écrivain qui, ici, peut-être pour la première fois de sa vie, ne triche pas.

    * Frédéric Beigbeder, Un roman français, Grasset, 2009.

    ** Emmanuel Carrère, Un roman russe, POL, 2007.

     

  • Quel avenir pour l'Hebdo?

    images.jpegLa presse, on le sait, traverse une crise sans précédent : une manne publicitaire qui s'amenuise chaque jour, des lecteurs qui fuient dans toutes les directions (surtout vers l'internet, universel et gratuit), l'augmentation du prix du papier, du transport,  des frais de port, etc. Des journaux ont déjà mis la clé sous la porte ; d'autres vont bientôt cesser de paraître. Dans ce contexte, chaque média essaie de draguer le chaland à sa manière, qui parfois est efficace. L'Illustré, par exemple, ratisse large et multiplie les portraits et les interviews. Le Temps, pour sa part, s'est ouvert aux grandes questions de société et de culture, tout en gardant une grande exigence dans le fond, comme la forme, de ses articles.

    D'autres font peine à voir, tant ils font des efforts désespérés pour suivre un fleuve aux eaux troublées qui les dépasse. L'Hebdo en est l'exemple le plus criant. Fondé il y a des lustres par une équipe de journalistes brillants et audacieux (Jacques Pillet, bien sûr, mais aussi Michel Baettig et quelques autres pointures), il a subi depuis les années 2000 une dérive attristante. Au joyeux bazar instauré par Ariane Dayer, la réd'en chef d'alors, licenciée par Ringier, a succédé l'ordre économique pur et dur d'Alain Jeannet, chantre du libéralisme officiel. L'impression de fourre-tout est la même, à la différence près que l'Hebdo d'aujourd'hui n'a que deux préoccupations : l'argent et les people. Qui sont le plus souvent mêlés ou liés, d'ailleurs, puisque l'idée dominante est que les people sont intéressants parce qu'ils ont de l'argent ; et que l'argent est important parce qu'il produit des people!

    Regardez les couvertures de notre hebdomadaire national. Semaine 1 : Comment gagner plus d'argent ? Semaine 2 : Comment payer moins d'impôts ? Semaine 3 : comment gagner encore plus d'argent ? Semaine 4 : comment payer encore moins d'impôts ? Etc.

    Quant au contenu, il s'allège chaque semaine, au point de devenir quasi immatériel, à mesure que les préoccupations économiques deviennent obsédantes. Est-ce un paradoxe ? Sans doute pas. On remarque que les rubriques nationale et internationale ont été remplacées par la rubrique « Actuels ». La rubrique économique s'intitule très pédagogiquement « Mieux comprendre ». Quant à la culture, elle a passé purement et simplement par-dessus bord au profit du bazar intitulé « Passions » ! L'Hebdo ne parle plus guère de livres, de films, de disques ou de pièces de théâtre, mais d'icônes (littéraires ou cinématographiques) et de people, bien sûr. Ce qui compte, désormais, c'est l'image, l'interview-choc, les révélations sur la vie privée de quelques VIP autoproclamés, comme Kudelski, Chessex ou l'inénarrable Marie-Hélène Miauton. Ce qui fait de L'Hebdo, désormais, le magazine préféré des coiffeurs, au même titre que Voici, Gala ou Interview.

    Sans doute est-là la l'ambition profonde d'Alain Jeannet. Mais ce n'est assurément pas celle des Romands, qui boudent de plus en plus un journal autrefois prestigieux qui a perdu son âme, ou plutôt l'a vendue  aux valeurs dépassées (et nauséabondes) de la finance.