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Ecrivain de la comédie romande - Page 42

  • Une vie d'enfant cosmique (Julien Sansonnens)

    Pourquoi revenir, vingt-quatre ans plus tard, sur le drame de l'OTS (le fameux Ordre du Temple Solaire) qui a provoqué 69 victimes, fait couler beaucoup d'encre et produit tant d'articles à sensation et de livres ? Que peut-on dire de plus sur cette affaire que l'on ne sache déjà ? Comme il existe un droit légitime à la Justice, n'existe-t-il pas, également, un droit à l'oubli ?

    Unknown-1.jpegToutes ces questions, et bien d'autres encore, sont au cœur du dernier livre de Julien Sansonnens (né en 1969 à Neuchâtel), l'un des écrivains les plus prometteurs de Suisse romande. J'ai parlé ici des Ordres de grandeur*, un roman ambitieux qui nouait son intrigue dans les milieux politiques et médiatiques de Genève. J'ai parlé, également, de l'étonnant petit livre que Sansonnens a consacré à son chien Beluga (voir ici), hommage émouvant, à la fois, et réflexion sur une vie trop brève et entièrement dévouée à ses maîtres.

    images-3.jpegC'est avec un peu d'appréhension et beaucoup de curiosité que j'ai ouvert cet Enfant aux étoiles**, le troisième roman de Julien Sansonnens. Appréhension parce que tout a été dit, ou presque, sur les massacres de l'OTS (qui ont eu lieu, je le rappelle, au Québec, à Cheiry, à Salvan et dans le Vercors). Quel angle adopter (quelle astuce narrative) pour montrer un nouveau point de vue ? Et de la curiosité aussi, car l'affaire, malgré le temps qui passe, garde encore ses mystères.

    C'est par ce biais, précisément, que Sansonnens aborde ce drame qui nous touche de si près (les 3/4 des victimes étaient suisses romandes et j'en ai connu quelques-unes). D'emblée, après une enquête minutieuse, il cherche éclairer les zones d'ombre, il décrypte les non-dits, il se rend à Cheiry et à Salvan pour s'imprégner de l'atmosphère particulière des lieux (où presque toute trace des massacres a été effacée). images-2.jpegEt surtout il suit le destin d'une enfant, Emmanuelle, l'enfant cosmique, appelée à « sauver l'humanité », qui succombera avec les autres membres de l'OTS, en octobre 1994 (sur la photo, avec son « père biologique » Jo di Mambro).

    L'angle d'attaque est à la fois original et bouleversant (comment ne pas être touché par le destin de cette jeune fille élevée comme la fille de Dieu et sacrifiée à l'âge de 12 ans ?) Sansonnens revisite toute l'affaire, en détective maniaque et acharné, par empathie. Il ne juge jamais, ne traite jamais les membres de cette secte d'« illuminés » ou de « fous », mais essaie de comprendre leurs motivations. C'est sa force : articuler aussi précisément que possible la chaîne des causes et des effets. Ne jamais sacrifier aux poncifs, ni aux idées reçues (et Dieu sait si cette affaire en recèle). Les portraits qu'il trace des deux « gourous » (Luc Jouret et Jo di Mambro) sont saisissants de vérité et d'humanité. Comme le sont les portraits des nombreuses femmes qui gravitent auteur de ces deux « maîtres » (dont Élisabeth, la mère de l'« enfant cosmique », que ses parents ont confiée à di Mambro après une déception sentimentale, et qui se révèlera plus sévère et plus impitoyable que le Maître).

    images-1.jpegBref, tout sonne juste dans ce livre qui n'est pas un roman, ni un essai, mais une sorte de reportage extraordinairement prenant sur une affaire qui trouble encore nos consciences. Qui était di Mambro ? Un beau parleur ? Un escroc ? Un manipulateur diabolique ? Un fou ? Et Jouret ? Et Tabachnik (qui fut mon professeur de musique au Cycle de Budé) ? Et les adeptes de l'OTS sont-ils tous des illuminés ? Des êtres en quête de justice et de spiritualité ? Des parents inconscients qui ont entraîné leurs enfants dans la mort ?

    Toutes ces questions, Sansonnens les pose à sa manière, empathique et honnête. Il ne triche pas. Il ne cherche ni à embellir les faits, ni à sauver celles et ceux qui mériteraient de l'être. On ne peut que saluer cette justesse d'écriture, si rare aujourd'hui. Une grande réussite !

    * Julien Sansonnens, Les Ordres de grandeur, roman, l'Aire, 2016.

    ** Julien Sansonnens, L'enfant aux étoiles, éditions de l'Aire, 2018.

  • Une vengeance jouissive (Jean-François Fournier)

    Unknown-10.jpegJean-François Fournier aime les alcools forts, les femmes et les cigares cubains. Il a été journaliste, grand bourlingueur et a dirigé la rédaction du Nouvelliste. À son actif, il compte une bonne dizaine de livres, romans, pièces de théâtre, essais (sur le peintre viennois Egon Schiele). En tout, on le voit, c'est un ogre. À l'appétit féroce, infatigable, toujours en quête de nouvelles expériences et de nouvelles émotions.

    Cet amateur de grands espaces, à la langue gourmande et stylée, est le plus américain des écrivains romands. Son dernier livre, comme le précédent, Le Chien (voir ici), se passe dans l'Amérique profonde, à Tennyson, dans l'Indiana. On y retrouve les personnages chers à Fournier, des hommes et des femmes révoltés, attachants, souvent blessés par la vie ou condamnés par la maladie, et noyant leur malaise sous de très généreuses rasades de bourbon. 

    Son dernier livre, Le Village aux trente cercueils*, est un roman noir de chez noir. À Tennyson, règne la loi du silence : on se souvient des crimes pédophiles qui n'ont jamais été élucidés, ni bien sûr exorcisés par la justice. On connaît les coupables, mais ils sont trop puissants pour être inquiétés. Et trop de gens sont impliqués dans ces crimes anciens. Pour que la vérité éclate, il faut une intervention extérieure. C'est le travail conjoint d'un inspecteur du FBI et d'une journaliste qui va permettre la résolution de l'affaire. Avec l'aide, aussi, de comparses qui désirent que leur ville soit nettoyée de cette tache.

    Unknown-11.jpegDonnant la parole, tour à tour, à chacun des protagonistes, Fournier mène une enquête à la fois délicate et passionnante. Il y a quelque chose de biblique dans la vengeance impitoyable qui va se mettre en place (car la justice des hommes, esclave de la politique, ne bouge pas). Et l'on suit avec délectation les étapes successives de cette vengeance qui n'oublie personne et fait quelques victimes innocentes…

    Et la littérature dans tout ça ? « La littérature m'a cajolée depuis l'âge de huit ans, dit un personnage féminin. J'avais piqué dans la bibliothèque d'une copine Le Pavillon des cancéreux de Soljénitsyne et les Onze mille verges d'Apollinaire. Je n'ai plus jamais arrêté de lire. La littérature n'a pas d'heure. C'est la puissance, la connaissance. Rien ne peut la corrompre. Je lui dois tout mon savoir et même l'idée approximative de Dieu. Elle est ma vie. Ma souffrance. La littérature, c'est un fleuve en colère et une drogue dure. »

    Je pourrai citer des pages entières de ce livre au style précis et aiguisé, car Fournier est un orfèvre de la langue. L'intrigue est bien menée. Les personnages acquièrent une épaisseur toute humaine, rien qu'humaine. Le pur malt coule à flot et l'on goûte le tabac des cigares comme on devait savourer un bon whisky à l'époque de la prohibition. 

    Un roman noir à lire avec délectation.

    * Jean-François Fournier, Le Village aux trente cercueils, éditions Xénia, 2018.

  • Merci, Pierre !

    Unknown-10.jpegJe devrais en vouloir à Pierre Ruetschi : il y a quelques années, il m'a battu en finale du tournoi de tennis des journalistes, me privant du seul titre sportif dont j'aurais pu m'enorgueillir à ce jour (à part une médaille récoltée lors d'un tournoi de pétanque) ! Oui, je devrais lui en vouloir. Et pourtant,  comme journaliste, puis comme rédacteur en chef de la Tribune de Genève, je lui tire mon chapeau. Il a su traverser maintes crises (et la crise, aujourd'hui, est au plus fort), discuter, négocier, dominer les courants contraires, tenir le cap de son journal dans la tempête que traverse la presse écrite depuis que le loup d'Internet est entré dans la bergerie du print

    images-4.jpegLa Tribune, comme on sait, a changé plusieurs fois de mains. Autrefois lausannoise, en mains de la famille Lamunière, elle appartient désormais à un groupe zurichois (Tamedia) surtout préoccupé par les dividendes à verser à ses actionnaires. Pierre a défendu l'indépendance (et l'intégrité) de son journal jusqu'au bout, refusant de donner la liste des employés ayant participé à une grève pourtant légitime. C'est tout à son honneur. Mais c'en était trop pour un groupe qui est en train de tuer lentement, mais sûrement, la presse romande.

    Après la mort du Matin, c'est un nouveau coup porté aux journaux de Suisse romande (qui n'ont plus, depuis longtemps, leur destin entre leurs mains). Un coup de poignard dans le dos.

    Espérons que ce coup ne soit pas fatal !