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Ecrivain de la comédie romande - Page 284

  • La critique empathique

    Quand on publie un livre, il y a toujours un risque qu'on le lise! C'est d'ailleurs ce qui peut lui arriver de mieux. Si certains critiques, par amertume ou désespoir, essaient d'abord d'éteindre le feu qui couve dans certains livres, d'autres, au contraire, prennent le risque de le lire, de s'en trouver choqués ou bouleversés, et peut-être brûlés par ce qu'ils lisent. C'est le cas de la critique empathique telle qu'elle est pratiquée, par exemple, par Jean-Louis Kuffer, Alain Bagnoud, Jean-François Fournier, Jacques Sterchi ou quelques autres, dont Contessa Pinon.
    Voici, par exemple, ce qu'écrit cette dernière : « La vie mécène se penche sur la vie tourbillonnante d'Elias S., amateur de foot et d'art, homme d'affaires extraordinairement fortuné dont le corps a été repêché par un marin d'eau douce au large de Promenthoux. Ainsi démarre ce roman palpitant, avec pour toile de fond Genève, qui prend le lecteur par le col sans plus le lâcher jusqu'à la dernière ligne.
    Inspiré par les romans et les polars américains, Jean-Michel Olivier, écrivain nyonnais, a eu l’idée de raconter la vie d’Elias S., sans qu’à aucun moment il ne prenne la parole. Ceux qui l’ont fréquenté - sa femme Isabelle, son ami Alias, Elisa, escort girl qui pratique le sadomasochisme, Déborah, une pianiste de jazz, Mathieu, un artiste et César, entraîneur de foot de Servette - évoquent ce personnage trouble qui a de l’éclat, de la lumière (…).
    Elias S. est un intuitif qui possède un côté requin. Comme mécène, il se laisse guider par son cœur, ses goûts, il donne sans savoir pourquoi. Il papillonne entre la culture et le foot, soutient le Grand-Théâtre, l’OSR et se paie le Servette comme d’autres une nouvelle cravate. Peu scrupuleux, il monte une agence d’escort girls pour faire chanter le Tout-Genève et conclure des marchés. C’est un déraciné qui a peut-être une île: sa femme et son enfant, Jonah. Ce puissant traverse la vie, comme si rien ne pouvait l’arrêter (…).
    Le roman, qui ne perd jamais son rythme, bascule et s’assombrit. « Le cœur du livre se déplace avec le sacrifice de l’enfant, reconnaît Jean-Michel Olivier. Cela répond à une angoisse très profonde des parents. La mère l’a déjà égaré à deux reprises. Ce sacrifice fait écho à une chanson de Leonard Cohen et à Abraham qui reçoit l’ordre divin de tuer son fils unique. Avec l’enlèvement de Jonah, Elias est pris dans un engrenage, il est impuissant. Il se rend compte que cet enfant, c’était sa vie. »
    Tout au long de son livre, Jean-Michel Olivier s'est amusé à faire des clins d'œil appuyés à des personnages existants, qu'ils soient journalistes, avocats médiatiques ou mécènes connus et reconnus. On sent l'auteur inspiré par des figures comme Marc Roger ou Edouard Stern (…). » Contessa Pinon, Le Quotidien de la Côte, 19 décembre 2007.
     

  • Les années Warhol

     


     

    Ce n’est pas un roman historique, ni sociologique, que propose Jean-Pierre Keller avec Andy le somnambule*. Il s’agirait plutôt d’une évocation, à la fois passionnée et passionnante, des années-Warhol. On se trouve à New York, bien sûr, au début des années 60. Warhol y invente le pop art et ouvre sa mythique Factory. L’air absent, toujours pareil à lui-même, impassible, Warhol observe les autres (musiciens, peintres, sculpteurs, photographes) : il laisse « juste monter la tension. »

    En réalité, plus qu’un artiste spécialiste d’un art ou d’un autre, c’est un observateur, un espion, un metteur en scène. Keller restitue avec humour et brio cette aura de folie qui entourait Andy Warhol. La création désordonnée et incessante dans toutes les formes d’art. L’expérimentation sans limite, avec ou sans l’aide des drogues, de la vie dans tous ses états. L’extraordinaire liberté d’un mouvement artistique que personne — surtout pas Warhol — ne maîtrisait…
    « C’est sur ce manque intérieur, cette carence, cette incomplétude que tu as bâti ton Église — aux Église aux rites dérisoires et aux clinquantes icônes. Une Église qu’on poète de mes amis a baptisée d’un nom obscur et magnifique : l’Église du Pénis Inimaginable. Peut-être par nostalgie des rites que tu observais dans ton enfance à Saint-Chrysostome, as-tu voulu jouer le rôle du grand prêtre et du confesseur ? Mais que n’as-tu su donner à tes ouailles égarées l’amour qu’elles méritaient ? »
    Encore une histoire d’amour qui se termine mal ! On sait l’idolâtrie qui entourait Warhol dans le courant des années 70. On sait aussi que tout idolâtre finit par tuer l’idole qu’il adorait. Cela se confirme avec Warhol qu’une adoratrice particulièrement remontée tenta d'assassiner de plusieurs balles de revolver. C’est d’ailleurs à l'idolâtre criminelle que Keller donne la parole dans la seconde partie du roman, qui tente d’élucider les raisons de son acte. Acte libératoire, une fois encore, de l’amour qui rend abject et prisonnier. Et geste fondateur, comme il se doit, d’une nouvelle religion qui reposera sur la mort de son dieu. Par où Andy le somnambule rejoint le Christ à la Croix !

    Jean-Pierre Keller, Andy le somnambule, roman, l'Âge d'Homme, 2007.

  • Tanner fait son cinéma


     charles mort ou vif
    Nous n’allons pas, comme tant d'autres, nous lancer dans la polémique éternelle qui consiste à savoir s’il existe, aujourd’hui, en 2008, un cinéma suisse, et si ce dernier est, ou non, l’égal du cinéma suisse des années 70-80. Mais, pour ceux qui auraient la mémoire courte, il faut recommander la lecture des Ciné-mélanges* d’Alain Tanner.
    Ce n’est pas faire injure au cinéaste genevois (né en 1929) que de rappeler ses plus grands films : de Charles mort ou vif (1969), avec l’inoubliable François Simon, à Paul s’en va (2003), en passant par La Salamandre (1971), Le Milieu du monde (1974) ou encore le plus connu des films de Tanner : Jonas qui aura 20 ans en l’an 2000 (1976). En relisant le livre de Tanner qui, sous la forme d’un abécédaire, nous livre la somme de ses réflexions sur le 7e art, on ne peut qu’être admiratif devant l’obstination, le talent, la liberté farouche de cet homme qui a toujours pu tourner (qui s’est toujours donné les moyens de tourner) les films dont il avait envie. On sait que l’univers du cinéma est particulièrement impitoyable. Les plus grands talents s’y cassent les dents et s’y détruisent. Regardez Orson Welles ! À force d’intelligence et de ténacité, Tanner, lui, a tenu le coup. Et plutôt bien. Il suffit de regarder sa filmographie pour voir qu’il a enchaîné, presque sans interruption, les tournages tout au long de sa carrière, qui est longue et riche.
    Mais qu’est-ce que le cinéma selon Tanner ?
    « Je ne peux filmer que l’ «aujourd’hui », le « maintenant». Je ne peux filmer que ce que je peux voir et qui appartient au réel, au quotidien, au contemporain, au moment. Je ne peux trouver l’inspiration, l’idée d’un personnage ou d’un récit que dans ce qui m’entoure, dans ce qui participe de l’histoire que je vis. »  Proche en cela d’un Viala, Tanner a besoin du réel pour faire travailler son imagination. Il ne faut pas faire « comme si, mais comme ça ». Dans la vie, on fait souvent comme si : « on triche, on ment, c’est normal. Mais en art, on ne peut pas tricher. » Chaque film de Tanner illustre, à sa façon, cette insatiable quête de vérité. Un parcours exemplaire.
    Alain Tanner, Ciné-mélanges, Le Seuil, 2007.