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Ecrivain de la comédie romande - Page 259

  • Olivier Beetschen, défricheur du verbe

    images.jpegAprès un premier livre très remarqué, À la nuit*, saga des origines depuis le premier cri, Olivier Beetschen, animateur de la Revue de Belles-Lettres et professeur au Collège de Genève, nous a donné, il y a quelques années, Le Sceau des Pierres**, un livre magnifique qui est la somme de vingt années de poésie.
    Écrire est un voyage où l'être se cherche à travers les visages et les mots, les sons et les parfums, les émotions, les paysages entraperçus ou seulement rêvés. Voilà pourquoi Le Sceau des Pierres est un parcours initiatique — qui commence à Ceylan, pour aboutir, en fin de course, à Genève, après des haltes à Paris, en Crète ou à Madagascar — jalonné de poèmes qui sont autant de signes ou de galets ramassés en chemin. De la prose brisée de Ceylan (1974), rongée par l'inquiétude, au « Tournant » genevois (1995), marquée par l'arrivée d'une « troisième personne » dont le murmure, longtemps rêvé, « relie l'espérance au chapitre des ancêtres », quelque chose se passe, dans l'échange incessant avec le monde du dehors, qui n'est rien d'autre, peut-être, que la naissance du poète à lui-même.
    Cette naissance, par stases ou voyages successifs, rejoint le questionnement des origines qui se trouvait au centre, déjà, du premier livre de Beetschen. Si l'écriture, ici, plonge à des profondeurs plus intimes, faisant courir au voyageur (« Bourlingueur du Très Haut ou défricheur du verbe ») le risque angoissant du chaos, elle débouche pourtant sur la lumière : écho, dans l'écriture, de « l'autre vie » qui est appel et création tout à la fois, et confluence, aussi, de deux désirs qui se mélangent sans jamais se confondre.
    À la nuit décrivait la lente venue au monde d'une tribu jetée dans le langage ; avec Le Sceau des Pierres, le jour est là, avec ses pièges et ses promesses, sa musique obsédante, et le monde est ouvert, à jamais, dans sa beauté complexe. Épiphanies, reflets, instantanés éblouissants : le poète cherche à saisir le monde moins pour en capter (ou en désamorcer) les charmes que pour se faire le lent archéologue de lui-même.
    Plus récemment, Beetschen nous a donné un autre très beau livre, dont mes collègues de Biogres ont parlé (ici), Après la comète***, qui marque un pas de plus dans cette aventure du verbe, à travers le voyage et les rencontres. « Ma mère meurt/ Pourquoi le ciel de Delhi /fait descendre une musique/ inspirée des étoiles? » Puisant souvent son inspiration dans les légendes et les contes de fées, cette poésie s'enracine aussi dans le réel, éclairant le passé d'une lumière subtile et pénétrante, comme dans « Une visite au grenier », dans lequel le poète revient sur ses années fribourgeoises, les sirènes de sa jeunesse, la musique unique de la Basse-ville. Nulle nostalgie, pourtant, dans cette évocation d'un passé disparu, mais brillant encore d'une lumière autonome qui illumine le présent. Comme ces « Chandelles », dédiées à ses filles Adélaïde et Héloïse, qui réussissent le tour de force d'allier le charme unique des comptines enfantines et la poésie du quotidien : « le velcro lime les jours/ la fatigue hache les nuits/ bientôt affleurent les confidences ».
    * Olivier Beetschen, À la nuit, roman, Poche suisse N°235, l'Âge d'Homme, 2007.
    ** Olivier Beetschen Le Sceau des pierres, poésie, éditions Empreintes, 1996.
    *** Olivier Beetschen, Après la comète, poésie, éditions Empreintes, 2007.

  • Vahé Godel, écrivain sans frontières

    images.jpegJ'ai déjà eu l'occasion, sur ce blog, de dire l'admiration profonde, et de longue date, que je porte à l'œuvre de Vahé Godel. Œuvre riche et variée qui traverse les langues, les frontières et les genres, et qu'acceuille, depuis une vingtaine d'années, les éditions de la Différence.
    Avec Arthur Autre*, « ou la fin de parcours d'un enseignant pas tout à fait comme les autres », Godel s'inspire ouvertement de sa longue expérience « pédagogique ». Les guillemets, ici, sont de rigueur, car avant d'être un pédagogue, Arthur Autre, que ses élèves surnomment malicieusement « Rature » est un enseignant, c'est-à-dire un « semeur et un déchiffreur de signes ».
    Des signes, Vahé Godel en sème à foison, à profusion même, sous la forme d'énigmes (« Qu'est-ce que la langue ? - Le fouet de l'air. »), d'allusions (on prendra plaisir à reconnaître certains collègues portraiturés avec amour ou ironie), de clés plus ou moins évidentes (quelle belle description du collège Voltaire en vaisseau de légende, avec coursives, salle des machines, cheminées éructant des fumées grises !), de graffitis ou de tags.
    De quoi s'agit-il ? D'un professeur extravagant, au seuil de la retraite, qui s'interroge non seulement sur sa fonction (dignement rémunérée, merci), mais aussi sur la faune de plus en plus étrange qui lui fait face, et à qui il cherche à transmettre sa passion des signes.
    Le sujet n'est pas neuf, bien sûr, mais le traitement qu'en fait Godel, ici, est pour le moins original. Deux voix, à priori distinctes, se partagent le roman. La première, impersonnelle, suit Arthur Autre dans le courant de ses déambulations pédagogiques. La seconde, secrète et souterraine, est l'autre voix d'Arthur, celle qu'il consigne, jour après jour, dans son Carnet noir.
    Au fil du livre, les voix se croisent, s'opposent et s'écartèlent, dans une tension de plus en plus poignante. La première, l'officielle, l'extérieure, est peu à peu rongée par la seconde, la voix noire intérieure, qui sème le doute et remet la première en question. « Une œuvre, une œuvre véritable, on ne peut y pénétrer comme dans un moulin… lire, ce qui s'appelle lire, c'est s'aventurer dans une forêt profonde, perdre le nord, se perdre… et donc éprouver le désir de se perdre… oui, perdre pied, s'enfoncer, s'engloutir, sombrer… »).
    Mais peut-on apprendre à se perdre ? Et si oui, comment apprendre aux autres (ses élèves) à se perdre sans se perdre soi-même ?
    C'est tout le paradoxe de l'enseignant (du moins celui qui fait profession d'enseigner la littérature) qui est censé donner le bon exemple, en professant des textes fort peu exemplaires. Comment enseigner Rimbaud sans donner en même temps aux élèves le désir de plus vastes horizons? Désir qui, on le pressent, est bien peu compatible avec les exigences d'une école telle qu'on la connaît, ou plutôt telle qu'on la pratique, sous nos latitudes, c'est-à-dire sélective et « sérieuse » ?
    Il y a longtemps que Vahé Godel ne nous avait donné un texte aussi fort, aussi chargé de signes. D'une écriture diablement virtuose, son roman puise aux sources de la langue, qu'il bouscule à plaisir, et nous livre une réflexion nouvelle, bien que toujours énigmatique, sur l'étrange profession d'enseignant, à la fois passeur, accoucheur et censeur, confident, consolateur, agitateur, séducteur et interprète…
     
    * Vahé Godel, Arthur autre, roman, éditions de la Différence, 1994.
    De Vahé Godel, on peut lire également :
    — Nicolas Bouvier : "Faire un peu de musique avec cette vie unique", essai, Éditions Métropolis, 1998.
    (Le reste est invisible), rhapsodie, Éditions Metropolis, 2004.
    Le Sang du voyageur : choix de textes, préf. d'André Clavel, Éditions L'Âge d'Homme, 2005.
    La Poésie arménienne du Ve siècle à nos jours, anthologie, Éditions de la Différence, 2006.
     

  • Petit éloge de la radio

    images.jpegEn ces temps de délectation morose (dont le sommet fut atteint mercredi avec l'élection consternante de Ueli Maurer au Conseil Fédéral), il faut revenir aux vraies valeurs. Lesquelles? En voici quelques-unes, dans le désordre: le partage, le plaisir, la rencontre, l'échange, la transmission… Et où ces valeurs, me direz-vous, sont encore défendues aujourd'hui? Et même célébrées? Certainement pas à la télévision qui passe les plats aux politiques et aux requins de l'économie avec la candeur d'un Martien tombé par erreur sur une planète étrangère. Pas dans les journaux, hélas, de plus en plus tributaires d'une publicité qui cherche avant tout à abrutir le consommateur pour lui faire acheter n'importe quoi. Non: l'un des rares lieux d'échange et de partage, de véritable dialogue, de rencontre et de connaissance, reste la radio en général, et la Radio romande en particulier.
    Inutile de faire la liste des émissions — sur La Première ou Espace 2 — qui ouvrent l'esprit. Elle est trop longue : de Rien n'est joué!, animé par la lumineuse Madeleine Caboche, à Médialogues, en passant par À Première vue, du passionnant Pierre-Philippe Cadert, ou encore Devine qui vient dîner (dont nous avons déjà parlé ici). À chaque fois (c'est-à-dire plusieurs fois par jour) la possibilité d'une vraie rencontre, la découverte d'une vraie passion.
    On ne présente plus, bien sûr, Patrick Ferla, célèbre pour ses Déjeuners et, aujourd'hui, son émission bi-hebdomadaire Presque rien sur presque tout. J'ai eu la chance d'y être invité avec Jean Romain, qu'on ne présente pas non plus. Une heure de dialogue, d'écoute, de vraie passion des livres. Pendant laquelle chacun a pu non seulement se livrer, sans masque ni artifice oratoire, mais encore parler de l'autre,  du monde de l'autre et des autres.  Un échange constamment aiguillonné par les questions de Ferla, grand sorcier de la parole (et de l'écoute). Porté par des musiques qu'on se réjouit de réentendre…
    L'émission Presque rien sur presque tout avec Jean Romain et votre serviteur passera dimanche 14 décembre entre 17h et 18h sur RSR La Première. Ne ratez pas ce rendez-vous!