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  • Les légendes vivantes (Olivier Beetschen)

    Le polar est un genre à la mode — peut-être trop. Ces dernières années, les auteurs scandinaves (Henning Mankell, Jo Nesbo, Gunnar Staalesen, entre autres), ont donné un second souffle au roman policier, si prisé par les Américains (Chester Himes, Harlan Coben, Michael Connelly, Patricia Highsmith). Cela donne parfois d'excellents livres (James Lee Burke, Jim Harrison), où l'intrigue policière sert de prétexte à une exploration en profondeur de certains milieux ou certaines régions sauvages. Cela donne, aussi, souvent, des romans poussifs aux personnages caricaturaux et à l'intrigue sans surprise.

    images-2.jpegCe n'est pas le cas du dernier livre d'Olivier Beetschen, L'Oracle des Loups*, dont on a salué, ici, les recueils de poésie et le précédent roman, La Dame rousse** (voir ici). Comme toujours, chez cet écrivain singulier, le récit est tissé d'une intrigue — ici policière — et de légendes anciennes, qui viennent télescoper les personnages principaux et éclairer leur destinée. 

    Dans L'Oracle des Loups, tout se passe à Fribourg, que l'auteur connaît bien pour y avoir suivi, dans l'autre siècle, les cours de l'Université (avec, entre autres, Jean Roudaud et la fascinante Christiane Singer). C'est une ville pleine de méandres et de mystères, où le feu couve souvent sous la cendre.

    Tout commence, ici, par une explosion, qui ne fait (semble-t-il) aucune victime, mais bouleverse la quiétude de la ville. images.jpegLa police mène l'enquête avec un vieux briscard, l'inspecteur Verdon, et un « bleu », l'inspecteur Sulic (un géant débonnaire, amateur de Villon et de café fertig : une grande réussite), qui sont chargés de faire la lumière sur cette affaire. Tout se complique, le lendemain, quand on découvre, au pied de la Vieille-Ville, le cadavre démembré d'un jeune homme. Crime crapuleux ? Règlement de compte entre dealers ? Les hypothèses sont multiples et l'inspecteur Sulic a du pain sur la planche…

    Le récit est rondement mené, en brefs chapitres qui composent une semaine d'enquête sur le terrain (de vendredi au samedi suivant). Tous les ingrédients du polar sont là : l'intrigue, les crimes particulièrement sanglants, l'enquête policière, le faisceau des indices, les nombreux coupables potentiels, etc. Le polar est vivant, alerte, bien écrit et il tient le lecteur en haleine d'un bout à l'autre du livre. 

    Un autre charme du roman, c'est la présence fantomatique et pourtant bien réelle de la ville de Fribourg, qui est peut-être la véritable héroïne du livre. On passe d'un bistrot à l'autre, d'une rive à l'autre de la Sarine, de la Basse à la Haute-Ville, on traverse des ponts, on emprunte des sentiers escarpés, on se perd dans des ruelles obscures. Bref, on parcourt la ville en tous sens, toujours à pied ou au pas de course (Sulic est un ancien hockeyeur). La géographie du lieu est particulièrement réussie.

    Une autre réussite — qui est la patte de Beetschen — c'est l'importance des légendes qui  hantent le récit. La bataille de Morat, Les Filles du Temps et bien sûr La Dame rousse, dont on perçoit ici les échos lointains. Ces légendes ne sont pas décoratives ou anecdotiques : elles jouent un rôle capital dans le récit, en lui donnant une profondeur historique singulière. Ces légendes sont vivantes, l'inspecteur Sulic en prend conscience à chaque instant. Elles se prolongent aujourd'hui et éclairent les actes les plus mystérieux. Alors que dans La Dame rousse, les légendes ralentissaient le récit, ici, dans L'Oracle des Loups, elles rythment le polar et en relancent l'intérêt. 

    Dans Jonas (1987), Jacques Chessex transformait Fribourg en une sorte de baleine monstrueuse, à la fois vorace et tentatrice, dont le héros devait se détacher pour renaître à la vie. Le Fribourg de Beetschen, mystérieux et plein de chausse-trappes,  exerce aussi ses charmes vénéneux sur les personnages de L'Oracle des Loups en les poussant au mensonge et au crime. Chez Chessex, la naissance est particulièrement difficile et douloureuse. Chez Beetschen, c'est la vérité qui se fait jour à travers une explosion de violence et un vrai bain de sang.

    * Olivier Beetschen, L'Oracle des Loups, roman, l'Âge d'Homme, 2019.

    ** Olivier Beetschen, La Dame rousse, roman, L'Âge d'Homme, 2016.

  • Vernissage, ce soir, de Regards croisés sur Genève (Slatkine)

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    Vingt et un auteurs vous entraînent à travers Genève. Grâce à ces textes drôles, engagés, rêveurs, haletants, nostalgiques ou critiques, vous découvrirez des quartiers, des rues de Genève mais aussi les secrets, les traces d’histoires passées, les flux et les reflux qui agitent une ville.

    Alain Bagnoud, Olivier Beetschen, Pierre Béguin, Laurence Boissier, Anne Brécart, Daniel de Roulet, Jean-François Duval, Catherine Fuchs, Silvia Härri, Joseph Incardona, Max Lobe,  Antonin Moeri, Jean-Michel Olivier, Georges Ottino, Michaël Perruchoud, Valérie Poirier, Guillaume Rihs, Marina Salzmann, Aude Seigne, Luc Weibel, Jean-Michel Wissmer, tous écrivains vivant à Genève nous donnent à lire leur ville, accompagnés par les encres inédites de Pierre Wazem.

    Puisse cette promenade littéraire inciter les lecteurs à ouvrir tout grand leurs yeux dans le sillage des écrivains dont ils partagent le quotidien !


    Préface de Darius Rochebin

  • Olivier Beetschen, défricheur du verbe

    images.jpegAprès un premier livre très remarqué, À la nuit*, saga des origines depuis le premier cri, Olivier Beetschen, animateur de la Revue de Belles-Lettres et professeur au Collège de Genève, nous a donné, il y a quelques années, Le Sceau des Pierres**, un livre magnifique qui est la somme de vingt années de poésie.
    Écrire est un voyage où l'être se cherche à travers les visages et les mots, les sons et les parfums, les émotions, les paysages entraperçus ou seulement rêvés. Voilà pourquoi Le Sceau des Pierres est un parcours initiatique — qui commence à Ceylan, pour aboutir, en fin de course, à Genève, après des haltes à Paris, en Crète ou à Madagascar — jalonné de poèmes qui sont autant de signes ou de galets ramassés en chemin. De la prose brisée de Ceylan (1974), rongée par l'inquiétude, au « Tournant » genevois (1995), marquée par l'arrivée d'une « troisième personne » dont le murmure, longtemps rêvé, « relie l'espérance au chapitre des ancêtres », quelque chose se passe, dans l'échange incessant avec le monde du dehors, qui n'est rien d'autre, peut-être, que la naissance du poète à lui-même.
    Cette naissance, par stases ou voyages successifs, rejoint le questionnement des origines qui se trouvait au centre, déjà, du premier livre de Beetschen. Si l'écriture, ici, plonge à des profondeurs plus intimes, faisant courir au voyageur (« Bourlingueur du Très Haut ou défricheur du verbe ») le risque angoissant du chaos, elle débouche pourtant sur la lumière : écho, dans l'écriture, de « l'autre vie » qui est appel et création tout à la fois, et confluence, aussi, de deux désirs qui se mélangent sans jamais se confondre.
    À la nuit décrivait la lente venue au monde d'une tribu jetée dans le langage ; avec Le Sceau des Pierres, le jour est là, avec ses pièges et ses promesses, sa musique obsédante, et le monde est ouvert, à jamais, dans sa beauté complexe. Épiphanies, reflets, instantanés éblouissants : le poète cherche à saisir le monde moins pour en capter (ou en désamorcer) les charmes que pour se faire le lent archéologue de lui-même.
    Plus récemment, Beetschen nous a donné un autre très beau livre, dont mes collègues de Biogres ont parlé (ici), Après la comète***, qui marque un pas de plus dans cette aventure du verbe, à travers le voyage et les rencontres. « Ma mère meurt/ Pourquoi le ciel de Delhi /fait descendre une musique/ inspirée des étoiles? » Puisant souvent son inspiration dans les légendes et les contes de fées, cette poésie s'enracine aussi dans le réel, éclairant le passé d'une lumière subtile et pénétrante, comme dans « Une visite au grenier », dans lequel le poète revient sur ses années fribourgeoises, les sirènes de sa jeunesse, la musique unique de la Basse-ville. Nulle nostalgie, pourtant, dans cette évocation d'un passé disparu, mais brillant encore d'une lumière autonome qui illumine le présent. Comme ces « Chandelles », dédiées à ses filles Adélaïde et Héloïse, qui réussissent le tour de force d'allier le charme unique des comptines enfantines et la poésie du quotidien : « le velcro lime les jours/ la fatigue hache les nuits/ bientôt affleurent les confidences ».
    * Olivier Beetschen, À la nuit, roman, Poche suisse N°235, l'Âge d'Homme, 2007.
    ** Olivier Beetschen Le Sceau des pierres, poésie, éditions Empreintes, 1996.
    *** Olivier Beetschen, Après la comète, poésie, éditions Empreintes, 2007.