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Ecrivain de la comédie romande - Page 258

  • Stendhal et son copiste

    images-3.jpegVoici un joyau singulier : le vrai-faux journal intime de celui qui, cinquante-trois jours durant, fut le scribe appliqué d'Henri Beyle (plus connu sous le nom de Stendhal !) et eu l'honneur immense de transcrire les centaines de pages de La Chartreuse de Parme.
    Tout commence à Paris, le 4 novembre 1838. Stendhal cherche un copiste à qui dicter un livre qu'il a déjà presque entièrement « en tête ». Dictée, improvisation étourdissante, mais aussi mises au net des passages qu'il a déjà écrits « à la diable, d'une écriture presque illisible ».
    À partir de cette situation, une relation des plus étranges, faite de confiance et de cruauté, d'admiration et d'inquiétude, s'instaure entre le Maître et son copiste. Lequel, bientôt, sera chargé par un Stendhal tantôt brillant, tantôt à bout de forces, tantôt exaspérant de vanité, d'écrire lui-même tout ce qui fatigue le Maître. Ainsi les scènes de description (la citadelle et la Cour de Parme) sont confiées au modeste copiste, à qui Stendhal vole au passage les idées (comme, par exemple, de comparer les rives du lac de Côme à celles du lac de Genève) ou livre des secrets de séduction (« comment enfiler une femme honnête»).
    Comme on le voit, ce court roman parfaitement documenté permet d'entrer, par le biais d'une fiction, dans le laboratoire même de la création stendhalienne. Non seulement on y apprend des foules de choses sur les conditions d'écriture de La Chartreuse (l'auteur, qui est un spécialiste de l'histoire littéraire, marque le livre de sa griffe), mais on voit que l'écriture d'un livre s'enrichit à chaque page de petits impondérables (le vol d'une anecdote, l'amour du Maître pour la femme du copiste, les fautes de transcription) qui lui donnent sa saveur. Ce premier roman d'Ernest Mignatte, pseudonyme d'un professeur bien connu à Genève et en France où il a enseigné, est un véritable régal !
    * Ernest Mignatte, Le copiste de Monsieur Beyle, Metropolis, 1998.

  • Breakfast chez Ferguson

    images-2.jpegVoilà un petit livre clair, intelligent, roboratif, et qui n'usurpe pas son titre : si vous le consommez régulièrement, au petit-déjeuner, vos journées n'en seront que meilleures, car il a cette qualité rare, pour un livre de philosophie, d'éclaircir les idées, mêmes les plus complexes. Son auteur, Jon Fergusson, bien connu des rubriques sportives de Suisse romande (puisqu'il fut joueur, puis entraîneur de basket à Champel et Pully), est également professeur d'anglais, chroniqueur à 24Heures et, last but not least, peintre de talent. Comme on voit, cela fait beaucoup pour un seul homme. Avec humour, il nous embarque vers les rivages nietzschéens, s'interroge sur l'origine du langage, le libre-arbitre et la volonté de puissance, le crépuscule des Idoles et l'éternel retour, la quête du surhomme et le christianisme paradoxal de Nietzsche (indépendant du Christ). Tout cela sans avoir l'air d'y toucher, mais avec beaucoup de finesse et d'efficacité.
    Agrémenté de nombreuses citations et nourri d'une longue fréquentation du philosophe allemand, ce petit livre se déguste à tout moment de la journée et, comme le suggère avec malice Fergusson, il n'est pas impossible qu'il facilite la digestion.
    * Jon Fergusson, Nietzsche au petit-déjeuner, L'Âge d'Homme, 1996.


  • Jean Vuilleumier, écrivain du silence

    images-1.jpegComment rendre compte, verbalement, d'une expérience intime et bouleversante qui ne passe pas par la parole ? C'est le pari que tente Jean Vuilleumier dans un petit livre qui n'est pas un roman (encore que…), ni un essai, mais plus modestement une suite de notes autour de trois mystiques qui ont vécu, au plus profond de leur chair, la rencontre avec Dieu*.
    Elles sont trois : la plus ancienne est Blanche de la Force (dont Bernanos a fait le personnage principal de ses Dialogues des Carmélites), qui a vécu les années les plus sanglantes de la Révolution ; les deux autres mystiques, Marthe Robin et Camille C., sont nées au commencement du siècle. Chacune d'elles ne prétend pas « racheter seulement ses propres manquements, mais plus encore ceux de ses semblables. » Ainsi, pour Vuilleumier, leur expérience rejoint « l'idée de partage et d'échange, en regard de quoi l'indifférence du plus grand nombre au sort commun est ressentie comme dégradante. »
    Analysant la vie des trois mystiques, Vuilleumier dégage certaines constantes de leur expérience, par exemple « la peur inscrite dans la fibre du vivant, sous le broiement du temps », mais aussi la souffrance (ou, pour Blanche, le goût ambigu du martyre), la compassion, la générosité, avec peut-être, en-dessous, « un fantasme de culpabilité pour un crime qu'elles n'ont pas commis, mais qu'elles doivent expier ». Chacune, à sa manière, connaît quelque chose d'impérieux et d'exaltant qu'elle a de la peine à communiquer, et qui n'en constitue pas moins une transgression des normes habituelles.
    Dans ces trois expériences extrêmes, Vuilleumier dégage quatre étapes, qui sont autant de phases ou de stases sur le chemin de la connaissance de l'être intime : la conversion, d'abord, puis la mise en pratique de l'Évangile et ce qu'il nomme « l'épreuve de la nuit », enfin l'ultime union, où la personne s'efface pour faire place à la force qui l'habite.
    Car il s'agit, à chaque fois, d'une force supérieure qui dévore la mystique d'un feu vif et délicieux, ultime forme, pour ces trois femmes, et à travers les siècles, de la dépossession.
    * Jean Vuilleumier, Blanche, Marthe, Camille, Notes sur trois mystiques, L'Âge d'Homme, 1996.