Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ecrivain de la comédie romande - Page 234

  • Souvenirs de Locarno (1)

    images.jpeg Il faut aller à Locarno, comme tous les Romands branchés, et les hommes politiques désœuvrés. C'est une ville pleine de charme et de surprises, où l'on découvre parfois un bon film. Si vous voulez devenir Conseiller fédéral, par exemple, c'est un must, il faut aller vous faire voir sur la Piazza Grande, de préférence quand les caméras de la télévision sont plantées près des loges VIP, vers les 21 heures. Sinon vous n'avez aucune chance…

    Le gratin de la politique suisse l'a bien compris qui a fait semblant de s'intéresser, pour un jour ou deux, aux dernières merveilles du 7ème art…

    Le cinéma, parlons-en. C'est d'abord, tout le monde à Locarno l'a compris, une affaire de politique et de gros sous. Pascal Couchepin, à son plus grand mérite, a créé une structure de soutien du cinéma suisse. C'est un effort unique pour encourager et développer des projets cinématographiques « populaires et de qualité ». images-2.jpegComme on sait, il a placé le genevois Nicolas Bideau à la tête de cette structure, lequel Bideau, année après année, doit doit affronter la polémique à Locarno. Cette année comme les précédentes. Nous y reviendrons.

    Mais les films, alors? Le cinéma, à Locarno, intéresse-t-il encore quelqu'un?

    Malgré un début de festival plutôt terne (la première soirée sur la Piazza Grande, avec les films de Mark Webb et Amos Gitaï, fut un désastre), malgré l'invasion des mangas japonais, hôte d'honneur du festival (est-ce encore de notre âge?), quelques perles se sont glissées dans une programmation souvent lourde et austère, marquée par la lèpre naturaliste des frères Dardenne, qui ont hélas fait école. Entre une mère (admirable) obligée de s'occuper, seule, de son fils tétraplégique, un ado japonais livré aux horreurs de la misère, une jeune lesbienne assassinant avec sa comparse le père qui l'a abusée, l'atmosphère générale, on le voit, n'est pas à la franche rigolade.

    Heureusement, il y a les courts-métrages suisses, largement subventionnés par Berne, qui offrent de belles promesses. Et il y a cette nouvelle génération (spontanée ?) de cinéastes qui réalisent leurs films sans aucune équipe technique, armés de leur seul téléphone portable. Le film le plus abouti, dans ce nouveau genre, est sans conteste Téhéran sans permission, de Sepideh Farsi. Revenant dans la ville qui l'a vue naître, Sepideh Farsi promène son portable incognito (ou presque) dans les rues, les taxis, les magasins de Téhéran. 1873160553.jpgC'est peu dire que ce film clandestin (et risqué) coupe souvent le souffle par son culot (la réalisatrice pénètre dans les mosquées, côtoie des policiers sur le qui-vive). Il frappe d'abord par sa justesse et son authenticité, le poids de vérité des témoignages recueillis. Son goût du risque. Sans mise en scène, ces rencontres de hasard, soigneusement montées comme une vraie fiction, nous donnent à voir et à sentir l'Iran d'ajourd'hui, quelques mois à peine avant les émeutes récentes de juin 2009. On comprend mieux ces mouvements de révolte en découvrant le film de Sepideh Farsi, qui les annonce et les explique. C'est encore une force de ce cinéma sans artifice qui puise dans la réalité sa raison d'être et son engagement.

    C'est sans doute l'une des voies-voix les plus prometteuses du cinéma de demain.

  • Le bilan du roi Couchepin

    images.jpeg Dans la grisaille politique suisse, le départ de Pascal Couchepin, soigneusement mis en scène par ses conseillers en communication, a fait figure de coup de tonnerre, alors qu'il n'est, au mieux, qu'un non événement. En effet, depuis le temps que tout le monde, à Berne et ailleurs, réclamait la démission du conseiller fédéral valaisan, son départ faisait partie de la logique des choses. Même si, refusant de céder aux pressions, le Roi Couchepin a voulu décider lui-même du moment de partir…

    Étrange parcours que celui de cette « bête politique », comme l'appelle la presse spécialisée ! « Une bête » qui a conjugué à la fois la nostalgie impériale (un homme politique, en Suisse, aujourd'hui, a encore du pouvoir) et la nécessité de négocier et de communiquer au mieux pour faire passer ses idées. Le problème de Pascal Imperator, on l'a très vite compris, c'est les autres. Ceux qu'il aime affronter (c'est un homme de combat) et qui, sur presque tous les dossiers, ont eu le dernier mot! Ce n'est pas le moindre paradoxe de la démocratie de voir un homme à idées et à convictions échouer sur (presque) tous les dossiers qui lui ont été confiés.

    On connaît ses déboires sur la question de l'AVS, ses déclarations intempestives, les haines qu'elles lui ont valu. Sur ce dossier sensible, de révision en révision, toujours en retard d'un train, Pascal Couchepin a plombé pendant un lustre toute avancée décisive.

    Idem sur la question de l'assurance-maladie : naviguant à vue, sans vision à long terme, ayant de la peine à cacher son mépris pour les médecins (ni ses sympathies pour certaines caisses-maladie valaisannes!), il aura non seulement échoué à stabiliser des primes qui prennent l'ascenseur chaque année, mais il se sera mis à dos tous les acteurs du dossier. Et celui (ou celle) qui reprendra le flambeau aura fort à faire pour débloquer les choses !

    Autre paradoxe de cet homme de caractère et d'esprit : en tant que responsable de la culture, il aura beaucoup fait pour le cinéma suisse, en soutenant les efforts d'un Nicolas Bideau, par exemple, promu grand manitou du 7ème art. Il fallait le faire et on le félicite.  Il aura défendu, également, la liberté d'expression lorsque l'artiste Thomas Hirschhorn aura été attaqué pour les œuvres qu'il exposait au Centre Culturel suisse de Paris. Là encore, bravo! En revanche, grand lecteur devant l'Eternel, citant facilement les poètes et les philosophes, il n'aura rien fait pour le livre, dont la place est chaque jour plus menacée. On connaît la situation difficile (pour ne pas dire plus) des maisons d'édition suisses, les problèmes de diffusion, la disparition dramatique des petites librairies, la question du prix du livre, etc.

    Sur ce point, comme sur les autres, le chantier est ouvert, et dans une grande pagaille.

    Pourtant, sous ses airs bourrus, Pascal Couchepin aura toujours été un homme sensible, intelligent, subtil, volontaire. Alors que lui a-t-il manqué pour devenir un grand homme politique ? L'humilité, peut-être. Ou, plus simplement, le doute, la remise en question, la vision à long terme. En tous points, le poète Couchepin (inégalable pour son phrasé et sa syntaxe rocailleuse) n'aura jamais été prophète.

  • Moutinot publie ses Mémoires, un brûlot politique

    images.jpegÀ trois semaines du Salon du Livre, tout Genève ne parle que de ça : le brûlot politique que Laurent Moutinot publie aujourd'hui sous le titre sibyllin de Nom d'une pipe*. À mi-chemin de la confession (Rousseau n'est jamais loin) et du règlement de comptes, ce pamphlet risque bien de supplanter Zones humides et Un Juif pour l'exemple au sommet des meilleures ventes de Suisse romande…

    Il faut dire que Laurent Moutinot, dont la discrétion a toujours été la marque de fabrique (surtout dans son travail) n'y va pas de main morte. Il balance tout, et tout le monde. Et cela fait mal ! Comme si notre célèbre Conseiller d'État voulait vider son cœur une dernière fois avant de donner son sac. Passons sur les souvenirs d'enfance malheureuse à Champel, le traumatisme de l'argent facile, le mépris du travail insufflé par ses parents (« Quoi de plus vulgaire que de gagner sa vie ? »), mépris largement mis en pratique par le fiston. Passons aussi sur les déboires du jeune footballeur qui rêvait de jouer au Servette, et à qui l'entraîneur, un jour, a dit : « Toi, tu n'es bon qu'à couper les citrons à la mi-temps ! » Terrible traumatisme… Passons enfin sur les premières déceptions politiques, quand le jeune candidat au Grand Conseil se vit supplanter par de meilleurs ou de plus forts en gueule que lui — et même par des femmes. Suprême humiliation…

    Le cœur de ce petit pamphlet paru chez Zoé (« J'aime les livres de Zoé, parce qu'ils sont toujours minces ») est une véritable confession publique. Moutinot y révèle son addiction pour le tabac hollandais (« Tout Moutinot tient dans une pipe » dit de lui son collègue Longchamp). Plusieurs cures de désintoxication, dont l'une en compagnie de la chanteuse Amy Winehouse et du comédien David Duchovny, n'ont rien pu y changer. Plus intéressant : Moutinot y confesse ses amours malheureuses pour plusieurs femmes, dont la mystérieuse Martine Blum-Giraffe (sans doute un pseudonyme) qui, hélas pour lui, n'a jamais répondu à ses lettres passionnées, ni à ses attentes. Autre péché avoué : Moutinot nous confie qu'il a toujours été jaloux de son camarade de parti Manuel Tornare, toujours mieux habillé que lui et jouissant d'un véritable triomphe auprès de la gent féminine. Autre déception que l'auteur en mal de confidence nous révèle : enfant déjà, il ne rêvait que d'une chose : prendre sa retraite.

    Rassurons-le et rassurons-nous : ce sera bientôt chose faite.

    Il n'est pas rare qu'un homme politique crache dans la soupe. En revanche, il est rare qu'un magistrat se mette ainsi à nu. Qu'il vide son cœur et son sac en public (le livre a été tiré à 100'000 exemplaires, c'est mieux que le dernier Angot). Qu'il balance tout sur ses collègues, son  parti, cette bonne ville de Genève qui l'a vu naître et qu'il exècre (il a prévu d'aller passer sa retraite à Phuket, et de n'en jamais revenir). Qu'attend-il de cette confession impudique? Un improbable pardon ? Une absolution tardive?

    Interrogé sur la question, Laurent Moutinot se terre, comme d'habitude, dans le silence. En revanche, Mgr Genoud a peut-être le fin mot de l'histoire : « La pression qu doivent supporter chaque jour les politiques est énorme. Écrire, alors, est une soupape de sécurité, un exutoire. Et , croyez-moi, il n'y a pas de péché qui ne puisse être pardonné. Monsieur Moutinot le sait bien. En cette année où l'on commémore en grandes pompes Calvin, il a voulu faire son coming out. Je trouve sa décision courageuse. Et d'avance je lui accorde mon pardon. Et toute ma miséricorde. Il en a bien besoin. »

    * Laurent Moutinot, Nom d'une pipe, 21 p., éditions Zoé, 2009.