Il faut aller à Locarno, comme tous les Romands branchés, et les hommes politiques désœuvrés. C'est une ville pleine de charme et de surprises, où l'on découvre parfois un bon film. Si vous voulez devenir Conseiller fédéral, par exemple, c'est un must, il faut aller vous faire voir sur la Piazza Grande, de préférence quand les caméras de la télévision sont plantées près des loges VIP, vers les 21 heures. Sinon vous n'avez aucune chance…
Le gratin de la politique suisse l'a bien compris qui a fait semblant de s'intéresser, pour un jour ou deux, aux dernières merveilles du 7ème art…
Le cinéma, parlons-en. C'est d'abord, tout le monde à Locarno l'a compris, une affaire de politique et de gros sous. Pascal Couchepin, à son plus grand mérite, a créé une structure de soutien du cinéma suisse. C'est un effort unique pour encourager et développer des projets cinématographiques « populaires et de qualité ». Comme on sait, il a placé le genevois Nicolas Bideau à la tête de cette structure, lequel Bideau, année après année, doit doit affronter la polémique à Locarno. Cette année comme les précédentes. Nous y reviendrons.
Mais les films, alors? Le cinéma, à Locarno, intéresse-t-il encore quelqu'un?
Malgré un début de festival plutôt terne (la première soirée sur la Piazza Grande, avec les films de Mark Webb et Amos Gitaï, fut un désastre), malgré l'invasion des mangas japonais, hôte d'honneur du festival (est-ce encore de notre âge?), quelques perles se sont glissées dans une programmation souvent lourde et austère, marquée par la lèpre naturaliste des frères Dardenne, qui ont hélas fait école. Entre une mère (admirable) obligée de s'occuper, seule, de son fils tétraplégique, un ado japonais livré aux horreurs de la misère, une jeune lesbienne assassinant avec sa comparse le père qui l'a abusée, l'atmosphère générale, on le voit, n'est pas à la franche rigolade.
Heureusement, il y a les courts-métrages suisses, largement subventionnés par Berne, qui offrent de belles promesses. Et il y a cette nouvelle génération (spontanée ?) de cinéastes qui réalisent leurs films sans aucune équipe technique, armés de leur seul téléphone portable. Le film le plus abouti, dans ce nouveau genre, est sans conteste Téhéran sans permission, de Sepideh Farsi. Revenant dans la ville qui l'a vue naître, Sepideh Farsi promène son portable incognito (ou presque) dans les rues, les taxis, les magasins de Téhéran. C'est peu dire que ce film clandestin (et risqué) coupe souvent le souffle par son culot (la réalisatrice pénètre dans les mosquées, côtoie des policiers sur le qui-vive). Il frappe d'abord par sa justesse et son authenticité, le poids de vérité des témoignages recueillis. Son goût du risque. Sans mise en scène, ces rencontres de hasard, soigneusement montées comme une vraie fiction, nous donnent à voir et à sentir l'Iran d'ajourd'hui, quelques mois à peine avant les émeutes récentes de juin 2009. On comprend mieux ces mouvements de révolte en découvrant le film de Sepideh Farsi, qui les annonce et les explique. C'est encore une force de ce cinéma sans artifice qui puise dans la réalité sa raison d'être et son engagement.
C'est sans doute l'une des voies-voix les plus prometteuses du cinéma de demain.