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Ecrivain de la comédie romande - Page 24

  • Fantômes*

    Unknown-1.jpegPendant trois ans, l'enfant est assailli de cauchemars. Il appelle au milieu de la nuit. Et l'on se précipite dans sa chambre. En général, c'est moi — je ne dors que d'un œil. Je le prends dans mes bras, je le berce, je fredonne une chanson, je passe ma main dans ses cheveux si doux. Je pose un baiser sur ses joues baignées de larmes.

    « Ce n'est qu'un mauvais rêve, allons, tout est fini maintenant. »

    Je retourne me coucher, les draps sont encore chauds, mais bien sûr je n'arrive plus à fermer l'œil. La nuit est perdue. Je somnole, je guette les prochaines larmes. Je suis sur le pied de guerre. Par la fenêtre, je regarde le jour se lever. C'est le plus beau moment de la journée. J'entends les premières voitures dans la rue.

    Quelle heure peut-il bien être ?

    Je jette un œil sur le réveil. Je vais dans la cuisine me faire une tasse de café, regarder encore une fois par la fenêtre.

    Surtout pas faire de bruit.

    L'enfant dort comme un ange.

    Chaque nuit, désormais, j'entends les cris qu'il pousse dans l'alcôve. Je sais qu'il n'est pas là, mais je me lève quand même. J'ouvre la porte de sa chambre. La chambre noire. La chambre vide. (Ce vide est à présent le centre de ma vie.) C'est là qu'on développe les images. Toutes les images. Celles qu'on adore et conserve pieusement. Et celles que l'on a oubliées.

    Même les images fantômes.

    * extrait d'un roman en chantier.

  • Le bon petit diable*

    images.jpegQuand il était enfant, dans la banlieue de la petite ville, il aimait jouer au diable avec un masque en papier mâché et une cape noire. C'était son rôle préféré. Il se tournait vers sa maman, qui riait aux éclats, et il lui demandait:

    « Quand je serai grand, qu'est-ce que tu veux que je sois ? »

    C'était un enfant doux, obéissant. Il aurait fait n'importe quoi pour se faire aimer de sa mère.

    Elle répondait :

    « Tu seras toujours mon petit garçon ! »

    Il était malicieux, rieur, il plaisantait de tout. Mais il aimait jouer, s'entourer de jolies filles, taper dans un ballon, se déguiser. Il ne serait jamais instituteur ou fonctionnaire. Il ne se marierait jamais. Il ne serait jamais un père de famille comme les autres.

    À cet instant, il se rappelle une discussion qu'il a eue avec Le Baron, son agent artistique, il y a très longtemps.

    « Tu vis dans le regret, mon vieux !

    — Quel regret ?

    — Tu aimerais être à la fois noir, juif, femme, socialiste et pédé !

    — Rien que ça !

    — Tu ne crois pas que c'est un peu trop ?

    — Moi qui ne postule humblement qu'à deux de ces distinctions, je puis t'assurer que ce n'est pas commode !

    — Pourquoi ?

    — Tu es trop ambitieux ! »

    *extrait d'un roman en chantier.

  • Leslie Nott*

    Unknown-1.jpegLeslie Nott n'était pas très grande. Des yeux pers, vifs et mobiles, et une taille faite au tour. Des hanches larges et des seins opulents. Ses cheveux longs étaient noirs ébène ou blonds peroxydés. Selon l'humeur du mois, elle se prenait tantôt pour Ava Gardner, tantôt pour Marilyn. Elle portait des talons et collectionnait les chaussures, de marque si possible. La moitié de sa vie, elle la passait dans les boutiques de la rue du Faubourg Saint-Honoré ou de la rue du Rhône. Elle aimait les vestes de rayonne Anne Klein et les jupe en crêpe de laine Ungaro, les chemisiers de soie sauvage et les boucles d'oreille anciennes, quelquefois achetées sur un marché aux puces.

    Depuis toujours, elle est presbytérienne et démocrate, comme toute sa famille. Son père, le Révérend Jim Nott, était pasteur à l'église Saint-Patrick, à Chicago. Un type remarquable. Il faisait partie de la cinquième génération de pasteurs dans la famille. Et Leslie a grandi entre un père assez strict, fidèle adepte de Jean Calvin et de John Knox, et une mère entièrement dévouée aux tâches domestiques. Longtemps, ses livres de chevet furent Le Livre des Confessions et Le Livre de l'Ordre, formant la base de la doctrine presbytérienne. Elle a grandi à Chicago, puis elle est allée à New York suivre les cours d'une école de journalisme. Après son diplôme, elle a été pigiste au Windy City Times, puis au Chicago Daily News, avant de devenir correspondante à l'étranger du Chicago Tribune — une forme de consécration. Elle n'était pas à Manhattan ce fameux mardi 11 septembre 2001, mais en Arabie Saoudite, qui se révéla bientôt être au cœur du complot. Ses articles firent sensation au point d'être bientôt expulsée du pays. On l'envoya ensuite en Chine, puis en Corée du Sud, puis en Europe, où elle avait toujours voulu aller. Enfin, elle devint la correspondante officielle du journal à Paris où elle occupait un bel appartement entre les Halles et la rue Jean-Jacques Rousseau.

    C'est là, vers la fin des années 2000, que je l'ai rencontrée.

    J'étais chargé de lire, à l'Ambassade de Suisse, rue de Grenelle, quelques extraits d'un livre qui venait de recevoir à Paris une récompense prestigieuse. Une bonne partie de la communauté des Suisses de l'étranger était présente. Des journalistes, des capitaines d'industrie, des artistes exilés, un ou deux hommes politiques. L'auteur, Simon Malet, ne quittait pas le bar et alignait les flûtes de champagne, par snobisme ou par désespoir. Je lui ai demandé comment il désirait que je lise son texte. Il a quitté le bar en haussant les épaules.

    « C'est vous l'acteur ! Faites comme vous le sentez. »

    Après la lecture, un peu bredouillante (j'avais aussi quelques verres dans le nez), tout le monde s'est retrouvé autour du buffet. Je reprenais mon souffle, éclusais un verre de vin rouge, quand une jeune femme s'est présentée à moi.

    « Leslie Nott, correspondante du Chicago Tribune. »

    Elle portait un chemisier de soie noire avec des boutons de manchette en strass, un pantalon de velours noir brodé de motifs orientaux, des boucles d'oreille en cristal de Murano et des escarpins à brides dorés. Je n'ai pu déchiffrer la couleur de ses yeux, entre le bleu, le gris et le vert émeraude. Elle parlait le français avec une pointe d'accent américain très sexy. Je ne me souviens plus de ce qu'elle m'a dit. J'étais un peu défoncé. Ça n'a pas d'importance. Mais tout de suite elle m'a tapé dans l'œil.

    Barack Obama venait de remplacer George W. Bush à la Maison Blanche. Le traumatisme du 11 septembre était presque oublié. Un avenir radieux de paix et d'amour s'ouvrait pour l'humanité. Leslie me regardait avec ses yeux indéchiffrables, apparemment heureuse. Elle me parlait d'un film que j'avais fait il y a longtemps, avec Nicole Garcia et Depardieu, j'ai oublié le titre, dans lequel elle m'avait trouvé formidable. Je n'arrivais pas à détacher mon regard de son chemisier en soie moirée où je pouvais me voir.

    Nous sommes rentrés à pied, la soirée était fraîche, le ciel cisaillé de nuages lourds. Nous avons traversé la Seine et bu encore quelques verres en chemin. Leslie avait une fameuse descente.

    Je ne me souviens plus où nous avons passé la nuit. Chez elle ou chez moi ?

    Neuf mois (et des poussières) plus tard, l'enfant est né.

    Je n'ai jamais été marié. Pourtant, à chaque fois, je me suis engagé corps et âme. J'ai tout misé, comme au poker — et bien sûr tout perdu. Je suis contre le mariage, car je suis contre le divorce. Et je sais qu'à la fin, tout le monde passe à la caisse.

    Leslie vous le dira : j'ai un problème avec les femmes. Je les suis. Du regard. À la trace. À l'odeur. Mais attention, pas touche ! Elles sont si douces et si fragiles! Leur avocat n'est jamais loin. Les petites. Les grandes. Les plantureuses. Les anorexiques. Les sportives. Les langoureuses. Les dépressives. Les névrosées.

    Toutes les femmes trouvent grâce à mes yeux.

    Les plus belles sont des machines de guerre. Avec artillerie, services de renseignement et même arsenal atomique.

    J'ai connu ça et j'y ai survécu.

    Allez savoir comment.

    * extrait d'un roman en chantier.