Servette : une histoire genevoise
Soyez fous : prenez l’avion, le train, le paquebot ! Allez à Parme, à Liverpool, à Barcelone, à Malte, à Istanbul, à Hambourg, à Dublin ! À Auxerre ! À Bruges ! Et là-bas, demandez aux gens que vous rencontrez ce qu’évoque, pour eux, le beau nom de Genève.
Évoqueront-ils les prouesses de Laurent Moutinot, qui — après avoir autorisé la mendicité, puis l’avoir interdite, avant de l’autoriser de nouveau — semble placer l’essentiel de son énergie dans sa pipe ? Ou le génial Christian Ferrazzino, fasciné par les sanisettes de grand luxe ? Évoqueront-ils Robert Cramer qui, lui-même opposé au double mandat, accepte pourtant d’aller siéger à Berne, parce que ses collègues du Conseil d’État l’y ont poussé (voulaient-ils se débarrasser de lui ?) ? Ou encore l’illustre Grand-Théâtre, si mal géré depuis des lustres, qui monopolise l’essentiel des subventions culturelles pour une poignée de spectateurs cachemire-caviar ?
J’ai bien peur que non.
Alors qu’est-ce que Genève à l’étranger ?
La réponse tient en deux mots : le Jet d’eau et Servette.
C’est-à-dire : l’arrogance et la beauté gratuite, l’aspiration vers les étoiles et la passion du beau jeu, la jouissance inattendue et le désir de vibrer…
Les deux symboles de Genève ont à peu près le même âge et la même histoire. Si la mort du Jet d’eau ne semble pas d’actualité, l’histoire (et le prochain procès de Marc Roger) dira comment, au fil des ans et des décisions imbéciles, le club de football genevois a perdu peu à peu de sa superbe. Comment il s’est enfoncé dans les dettes, les promesses illusoires, la spirale folle des salaires…
Si Servette — véritable baromètre de la vie genevoise — va mal, flirtant avec la relégation en Première Ligue, est-ce si étonnant ? Si le club frise le code, que dire du canton qui est au bord de la faillite ? Si le club n’arrive plus à gérer sa destinée, que dire des politiques responsables du Stade de la Praille qui ont construit une arène magnifique, hélas pour une équipe fantôme ? Et que dire de Genève, qui se rêvait ville internationale, et qui n’est qu’un gros bourg de province, en marge de l’Europe active et bouillonnante d’idées ?
Car la déroute du Servette est celle de tous les Genevois, roulés en boule, depuis des lustres, dans la sécurité bourgeoise, les rites étouffants de la vie provinciale. C’est la déroute d’une ville qui a construit sa paix à force de silence et d’aveuglement, et qui n’aime pas les « questions sans réponse », comme dirait Saint-Exupéry. Une ville confite dans la routine et le secret bancaire, qui retient ses émotions et tremble à la perspective d’entreprendre une action. Une ville et un canton si mal gouvernés qu’ils connaissent le plus fort taux de chômage helvétique, et la pire crise du logement. Une ville qui préfère les vespasiennes aux clubs de football, les pistes cyclables à la culture ?
J’ignore si Servette mérite Genève. Je suis sûr, en revanche, que Genève ne mérite pas Servette — même si tous deux, dorénavant, évoluent dans des ligues inférieures.