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suisse - Page 12

  • Dirty money, le film qui tombe à pic

    Affiche_723.jpg Comme l'homme du même nom, voici un film qui tombe à pic! Pile poil dans l'actualité, au moment où la Suisse, attaquée de toutes parts, doit admettre les pratiques frauduleuses de ses banquiers et en rabattre sur sa sacro-sainte moralité. Ce devrait être l'occasion, pour beaucoup de monde, de laver le linge sale non seulement en famille, mais sur la place publique. Car ce que le film de Dominique Othenin-Girard, Dirty money, l'Infiltré, nous montre s'est rééllement passé, et se passe encore aujourd'hui.

    On sait que ce film coup de poing est basé sur le livre de Fausto Cattaneo,* un flic tessinois intègre et assez fou pour jouer les infiltrés dans les réseaux de blanchiment d'argent lié au trafic de drogue. En particulier avec la Turquie. Sans complaisance, le film montre bien les espoirs et les doutes de l'agent infiltré (Antoine Basler, qui joue en état d'urgence). Lequel, manipulé par un juge ambitieux (Michel Voïta, excellent), doit d'abord se battre contre ses supérieurs hiérarchiques, et une procureur elle aussi ambitieuse, revancharde et sans scrupule (interprétée par Caroline Gasser), qui fait penser à notre Carla (del Ponte, hélas, et non Bruni!).

    Haletant d'un bout à l'autre, mis en scène comme une partie d'échecs où tout serait pipé mystérieusement d'avance, le film de Dominique Othenin-Girard a le grand mérite de saisir la question de l'argent sale à bras le corps. Comme un nœud d'alliances et de compromissions, de convoitises, de 41X157ZD4NL._SL500_AA240_.jpgsilences armés, de complicités peu reluisantes. Le rythme est bien sûr soutenu. Le propos, d'abord un peu confus, se clarifie au fil de la narration, et de cette course éperdue pour prendre au piège les trafiquants de drogue, et ceux, chez nous, qui recyclent leur argent. Même si, parfois, on aimerait, de la part du réalisateur, un point de vue plus précis et plus clair, ce film fera date parce qu'il s'attaque aux fondements obscurs de notre opulence, les milliers de millions engrangés dans nos banques non seulement pour qu'ils y soient en sécurité, mais également pour qu'ils y soient blanchis.

    Cette grande lessive, Othenin-Girard en démonte patiemment le mécanisme secret et pour une fois qu'un cinéaste suisse saisit l'actualité à bras le corps, il faut lui rendre hommage.

    * Fausto Cattaneo, Comment j'ai infilté les cartes de la drogue, Albin Michel, 2001.

  • Petit éloge des journaux

    images.jpegMa mère ne lit pas les journaux. Mon père ne lisait pas de livres. En revanche, il dévorait tles quotidiens. Il commençait par les pages sportives, souvent dans le deuxième ou le troisième cahier, pour remontait inexorablement vers les pages suisses, puis internationales. En s'arrêtant longtemps sur les avis mortuaires, sur lesquels il était imbattable. Comme, d'ailleurs, sur les derniers résultats sportifs.

    Au fil des ans, lui qui était un fidèle lecteur de La Suisse, s'abonna à La Tribune de Genève, ce qui était pour lui une sorte de promotion sociale. Tout en épluchant chaque jour le quotidien de la rue des Savoises, comme il l'avait toujours fait. En attendant la sortie, chaque semaine, mercredi ou jeudi, de La Semaine sportive, qui lui apportait un supplément d'informations sur ses clubs de foot préférés, Lausanne Sports ou Servette…

    Que lirait-il aujourd'hui, alors que presque tous les journaux qu'il chérissait ont disparu? Les gratuits? Certainement pas. Le Temps ou 24Heures, peut-être. La Tribune, certainement. Même si, depuis une semaine, ces titres si profondément ancrés en terre romande ont désormais un petit accent zurichois, puisqu'Edipresse a été racheté par le groupe de presse alémanique Tamedia. Lequel jure, par tous les dieux du ciel, que les quotidiens romands survivront à cette nouvelle « fusion », et même prospéreront sous sa gouverne. On ne peut que le souhaiter vivement. En ces temps de crise, seuls les mastodontes ont des chances de survie (encore que l'exemple des dinosaures, qui régnaient sur la terre sans partage avant de disparaître totalement, ne soit pas de très bon augure…).

    La presse écrite doit faire face à une concurrence de plus en plus rude de la part des radios, comme des télévisions, et des médias électroniques. Chacun se bat pour conserver sa part de publicité. C'est la loi du marché, c'est-à-dire de la jungle. Les petits se font dévorer par les grands. La preuve, une fois encore, que le libéralisme sauvage ne règle rien, et n'a pas d'états d'âme. Edipresse a été englouti par Tamedia. Un ou plusieurs titres vont disparaître bientôt de la scène médiatique. Chez l'autre grand éditeur suisse, Ringier, l'Illustré se frotte les mains, tandis que L'Hebdo se demande ce qu'il va devenir. Certains parlent même de supprimer le titre cette année…

    Chérissons nos journaux — ces petits miracles de travail collectif et quotidien — qui nous apportent le monde sur un plateau : mais un monde illustré, commenté, éclairé de manière souvent originale et passionnante. Lisons-en un, deux, trois par jour. Pas de limite à l'addiction. Beaucoup de titres, en Suisse romande, ont disparu depuis vingt ans. D'autres les ont remplacés. Bien sûr, on peut regretter La Suisse ou Le Journal de Genève. Ils appartenaient à une époque où Genève était encore une ville puissante et rayonnante. Les centres de décision se sont ensuite déplacés à Lausanne, dans la tour Edipresse. Aujourd'hui, c'est à Zurich que le destin des quotidiens romands va se jouer.

    Oui, chérissons nos journaux parce qu'ils font partie de nous. Ils nous parlent, comme ils savent lire, en nous, ce qui nous regarde et qu'on ne voit pas toujours. Parce qu'ils célèbrent le lien social et constituent, peut-être, le dernier lieu commun où les hommes se rencontrent, échangent, discutent. Parce qu'ils nous tendent un miroir qui nous permet de mieux saisir ce qui nous constitue, et que le monde. d'ordinaire, s'ingénie à nous cacher.

     

  • La cinéma suisse fait la fête

    images.jpegAllons, ne faisons pas la fine bouche: le cinéma suisse, pour modeste qu'il soit, mérite bien une fête, et des quartz! Grâce à Nicolas Bideau — détesté des cinéastes comme seul le Diable peut l'être des fidèles — nous avons, nous aussi, notre remise des Césars ou des Oscars. À quelques différences près, tout de même. Alors que les théâtres parisiens ou hollywoodiens paraisssent trop petits pour accueillir toutes les stars en lice, la salle zurichoise qui a accueilli la remise des quartz samedi dernier paraissait bien trop grande. C'est pourquoi, heureusement, on avait multiplié les invitations de personnalités politiques, sportives, médiatiques qui ont rempli l'espace, si modeste, des artisans du cinéma lui-même.

    Mais passons. À défaut de stars, le cinéma a fait la fête à quelques films tout à fait honorables. Home, de Ursula Meier, a raflé plusieurs prix, amplement mérités. La genevoise Céline Bolomey a reçu un quartz pour sa performance dans le film de Vincent Pluss, Du bruit dans la tête, œuvre déjà disparue de l'affiche et bientôt oubliée. Quant au prix d'interprétation masculine, il a été attribué à Dominique Jann, un des personnages principaux de Luftbusiness de Dominique de Rivaz, dont la carrière en salle a été brève et modeste.

    Comme on le voit, le cinéma suisse a beaucoup de chance : il a déjà un patron honni et adulé (Nicolas Bideau), il a aujourd'hui sa cérémonie officielle. Il ne manque plus que les films et les stars…

    Soyons honnêtes : quand on va voir le dernier Gus Van Sant (Milk) ou le dernier film du vétéran Clint Eastwood (Gran Torino), ou encore Doubt ou L'étrange histoire de Benjamin Button, on se rend compte qu'il y a encore pas mal de pain sur la planche.… Même s'il est ridicule de comparer des films aux budgets totalement disproportionnés, on peut tout de même remarquer le fossé qu'il reste à franchir pour que notre cinéma s'ouvre au monde, et touche un plus vaste public. À partir de personnages ordinaires, le cinéma américain (par exemple) fait des figures quasi-mythologiques, trace des destins, brasse les thèmes les plus vastes et variés de la condition humaine. Pour cela, il s'appuie d'abord sur d'excellents scénaristes, sur de bons réalisateurs et des acteurs souvent géniaux qui n'hésitent pas à composer un personnage de toute pièce, au lieu de jouer perpétuellement le même rôle (Isabelle Huppert, Depardieu, etc.). Autrement dit, il n'a pas peur de se frotter au monde tel qu'il est, dans sa tragique beauté. Il n'a pas peur, non plus, de ses moyens, de ses artifices, de sa démesure.

    Encore un effort, donc, et le cinéma suisse, qui a déjà un directeur charismatique et une cérémonie, pleine de strass et de stress, pourra briller au firmament du 7ème art mondial!