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olivier - Page 6

  • Tous au Livre sur les Quais de Morges !

    images.jpegLa fête a commencé aujourd'hui, à Morges, avec l'ouverture du Livre sur les Quais. Près de 250 auteurs, de tous horizons, réunis pour trois jours de rencontres, de débats et de signatures. Que demander de plus ?

    J'y serai, cette année, samedi et dimanche, de 9h30 à 17h, très heureux de vous rencontrer à cette occasion.

    Ne manquez pas, samedi 6 septembre à 13h30, mon débat avec Emmanuel Carrère, dont le dernier livre, Le Royaume, est un succès de la rentrée. 

  • Fou de livres et de liberté

    Pour celles et ceux qui ne liraient pas La Libre Belgique tous les jours (!), voici un magnifique article écrit par Jacques Franck sur L'Ami barbare.

    images.jpeg« La saga décoiffante d’un éditeur serbe résume un demi-siècle d’Europe. Jean-Michel Olivier, prix Interallié en 2010, y révèle une imagination sans limite.

    Une galopade à perdre haleine à travers l’Europe de la seconde moitié du XXe siècle, ainsi pourrait se résumer le roman décoiffant que nous offre Jean-Michel Oivier sous le titre "L’Ami barbare". Journaliste, notamment à La Tribune de Genève, né dans une vieille famille vaudoise, l’auteur a déjà publié quelques romans, parmi lesquels "L’Amour nègre", qui reçut le prix Interallié en 2010. Mais qui pouvait penser que de la paisible Suisse nous parvienne un récit aussi haletant d’une vie chaotique et passionnée ?

    Cette vie est celle de Roman Dragomir (1930-2001), qui connaît une enfance inconsciente et heureuse de petit campagnard dans un village yougoslave. Il a un frère aîné, Lucas, et un cadet, Milan. Son père répare des montres, restaure des meubles, des bijoux, des vases anciens. En 1938, la petite famille s’installe à Belgrade. Dépaysement, existence de garnements. En 1941, Hitler envahit le pays pour contrer le ralliement du jeune roi Pierre au camp des Alliés. Le père imprime des tracts, les fils les distribuent. Un jour, ils sont surpris. Une rafale de mitraillette. Lucas est mortellement atteint. En 1945, la dictature communiste de Tito s’installe.

    Roman grandit. Il a deux passions, le football et les livres. Et une foi : en Dieu et ses icônes. Un jour, la bibliothèque est incendiée. Il n’a plus qu’une idée, s’évader. En 1954, il réussit finalement à gagner Trieste. Un demi-siècle plus tard, le voilà allongé dans son cercueil, regardant défiler amis et connaissances. Sept d’entre eux racontent les parties de sa vie dont ils furent témoins. Et lui de les commenter.

    DownloadedFile.jpegCette construction insolite révèle, avec une habileté d’architecte et une imagination débordante, la course éperdue d’un homme à travers l’Europe, de Trieste à Paris, de Genève à Moscou, par amour de la liberté et pour découvrir et révéler des écrivains, en particulier de l’Est, inconnus ou interdits.

    Son frère Milan, devenu oculiste à Belgrade, évoque leur jeunesse et sa fuite en 1954 qu’il considère avoir été une désertion. La libraire juive de Trieste qui l’a recueillie raconte ses premiers pas d’homme libre. Georges Halter rappelle leurs années de bonheur à Granges, dans le Jura, où Roman fut garçon de café, cordonnier et… joueur de football. Christophe Morel fut son complice lorsque Roman décida de s’installer comme éditeur à Lausanne et se mit à sillonner l’Europe pour rechercher et promouvoir des manuscrits, à bord d’une petite camionnette bringuebalante qui lui servait de bureau comme de chambre à coucher. "Une femme au visage voilé" lui rappelle l’euphorie qui suivit la chute du Mur de Berlin (1989), bientôt suivie du cataclysme de la guerre des Balkans : ayant choisi le parti des Serbes, Roman fut traité en pestiféré par les médias occidentaux; il se rendra sur place, et devra constater que l’horreur est bien partagée. Un voisin de chambre dans une clinique sur les bords du Léman nous apprend ses derniers espoirs et combats. Une apicultrice du Vaucluse causera l’accident qui lui a fait perdre la vie.

    Cette saga menée à un rythme d’enfer, mêlant politique et littérature, hymne à la liberté et exaltation de la foi dans la culture contre la société de consommation, décoiffe comme un vent libérateur et fou.»

    © Jacques Franck

    L’Ami barbare, de Jean-Michel Olivier, Ed. de Fallois-l'Âge d'Homme, 300 pp., 19 €

     

  • L'âne gelé

    10626546_10152703042737269_293392204714317616_n.jpg* C’est l’hiver. Et cet hiver de l’année 54 est très rude. Le thermomètre descend régulièrement en dessous de zéro. Même à Trieste où souffle une bora glaciale on n’a jamais connu de températures si basses !

    Le dimanche, Romano, on va souvent se promener sur les bords du Timave — cette rivière qui prend sa source d’une fontaine sur les pentes d’une montagne de Slovénie, puis disparaît sous terre avant de ressurgir près de Trieste où il se jette dans la mer Adriatique. Ici on dit que le Timave marque la ligne de fracture entre l’Orient et l’Occident, la civilisation et les Barbares venus de l’Est et du Sud !

    Ce matin-là, on remonte la rivière jusqu’à Monfalcone. Il fait froid. Le ciel aussi semble gelé. On emprunte un sentier qui longe le Timave au milieu des arbustes pétrifiés par le givre. On ne croise personne sur ce chemin glissant et silencieux.

    À un moment, la rivière fait un coude et devient un petit étang. C’est là qu’on a bâti l’église de San Giovanni in Tuba qui se dresse sur les ruines d’un ancien temple païen dédié à Saturne. L’église a beaucoup souffert de la Première Guerre mondiale. Ce qu’il en reste vaut pourtant le détour, surtout les mosaïques polychromes aux motifs floraux.

    On passe une heure dans l’église glaciale. On rit. On s’embrasse. On prie. On envoie des malédictions aux puissants de la terre.

    C’est alors, au milieu du silence, qu’on entend un cri aigu et déchirant…On sort de la chapelle, on tend l’oreille et on scrute les environs. Le cri vient de plus haut. C’est une sorte de braiement. Le cri d’un animal à l’agonie…

    Au milieu de la rivière, à peine discernable dans ce grand décor blanc, un âne est pétrifié dans la glace. On dirait une statue. Ses sabots sont soudés aux pierres gelées. Son corps est recouvert d’une épaisse couche de glace. Il ne peut plus ni avancer, ni reculer.

    Vous n’avez peur de rien, Romano : vous sautez dans la rivière. Vous glissez sur les galets gelés. Vous arrivez vers l’âne qui braie à fendre l’âme. Un âne slave, sans doute. Un frère d’infortune. Vous sortez un couteau de votre poche et vous commencez à attaquer la glace qui entrave l’animal. Vous libérez ses pattes. Vous ramenez l’âne par le licol sur la berge. On lui donne du pain. Il nous regarde avec des yeux pleins de candeur et reconnaissance. On le ramène jusqu’à une ferme voisine.

    Quand elle le voit, une paysanne en châle de laine et bottes de caoutchouc nous saute au cou. Nous partageons un bol de soupe dans sa cuisine. Elle soigne vos mains en sang à force d’avoir cassé la glace avec votre canif.

    * Extrait de L'Ami barbare, éditions de Fallois-l'Âge d'homme, 2014.