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cinéma - Page 5

  • Dirty money, le film qui tombe à pic

    Affiche_723.jpg Comme l'homme du même nom, voici un film qui tombe à pic! Pile poil dans l'actualité, au moment où la Suisse, attaquée de toutes parts, doit admettre les pratiques frauduleuses de ses banquiers et en rabattre sur sa sacro-sainte moralité. Ce devrait être l'occasion, pour beaucoup de monde, de laver le linge sale non seulement en famille, mais sur la place publique. Car ce que le film de Dominique Othenin-Girard, Dirty money, l'Infiltré, nous montre s'est rééllement passé, et se passe encore aujourd'hui.

    On sait que ce film coup de poing est basé sur le livre de Fausto Cattaneo,* un flic tessinois intègre et assez fou pour jouer les infiltrés dans les réseaux de blanchiment d'argent lié au trafic de drogue. En particulier avec la Turquie. Sans complaisance, le film montre bien les espoirs et les doutes de l'agent infiltré (Antoine Basler, qui joue en état d'urgence). Lequel, manipulé par un juge ambitieux (Michel Voïta, excellent), doit d'abord se battre contre ses supérieurs hiérarchiques, et une procureur elle aussi ambitieuse, revancharde et sans scrupule (interprétée par Caroline Gasser), qui fait penser à notre Carla (del Ponte, hélas, et non Bruni!).

    Haletant d'un bout à l'autre, mis en scène comme une partie d'échecs où tout serait pipé mystérieusement d'avance, le film de Dominique Othenin-Girard a le grand mérite de saisir la question de l'argent sale à bras le corps. Comme un nœud d'alliances et de compromissions, de convoitises, de 41X157ZD4NL._SL500_AA240_.jpgsilences armés, de complicités peu reluisantes. Le rythme est bien sûr soutenu. Le propos, d'abord un peu confus, se clarifie au fil de la narration, et de cette course éperdue pour prendre au piège les trafiquants de drogue, et ceux, chez nous, qui recyclent leur argent. Même si, parfois, on aimerait, de la part du réalisateur, un point de vue plus précis et plus clair, ce film fera date parce qu'il s'attaque aux fondements obscurs de notre opulence, les milliers de millions engrangés dans nos banques non seulement pour qu'ils y soient en sécurité, mais également pour qu'ils y soient blanchis.

    Cette grande lessive, Othenin-Girard en démonte patiemment le mécanisme secret et pour une fois qu'un cinéaste suisse saisit l'actualité à bras le corps, il faut lui rendre hommage.

    * Fausto Cattaneo, Comment j'ai infilté les cartes de la drogue, Albin Michel, 2001.

  • La cinéma suisse fait la fête

    images.jpegAllons, ne faisons pas la fine bouche: le cinéma suisse, pour modeste qu'il soit, mérite bien une fête, et des quartz! Grâce à Nicolas Bideau — détesté des cinéastes comme seul le Diable peut l'être des fidèles — nous avons, nous aussi, notre remise des Césars ou des Oscars. À quelques différences près, tout de même. Alors que les théâtres parisiens ou hollywoodiens paraisssent trop petits pour accueillir toutes les stars en lice, la salle zurichoise qui a accueilli la remise des quartz samedi dernier paraissait bien trop grande. C'est pourquoi, heureusement, on avait multiplié les invitations de personnalités politiques, sportives, médiatiques qui ont rempli l'espace, si modeste, des artisans du cinéma lui-même.

    Mais passons. À défaut de stars, le cinéma a fait la fête à quelques films tout à fait honorables. Home, de Ursula Meier, a raflé plusieurs prix, amplement mérités. La genevoise Céline Bolomey a reçu un quartz pour sa performance dans le film de Vincent Pluss, Du bruit dans la tête, œuvre déjà disparue de l'affiche et bientôt oubliée. Quant au prix d'interprétation masculine, il a été attribué à Dominique Jann, un des personnages principaux de Luftbusiness de Dominique de Rivaz, dont la carrière en salle a été brève et modeste.

    Comme on le voit, le cinéma suisse a beaucoup de chance : il a déjà un patron honni et adulé (Nicolas Bideau), il a aujourd'hui sa cérémonie officielle. Il ne manque plus que les films et les stars…

    Soyons honnêtes : quand on va voir le dernier Gus Van Sant (Milk) ou le dernier film du vétéran Clint Eastwood (Gran Torino), ou encore Doubt ou L'étrange histoire de Benjamin Button, on se rend compte qu'il y a encore pas mal de pain sur la planche.… Même s'il est ridicule de comparer des films aux budgets totalement disproportionnés, on peut tout de même remarquer le fossé qu'il reste à franchir pour que notre cinéma s'ouvre au monde, et touche un plus vaste public. À partir de personnages ordinaires, le cinéma américain (par exemple) fait des figures quasi-mythologiques, trace des destins, brasse les thèmes les plus vastes et variés de la condition humaine. Pour cela, il s'appuie d'abord sur d'excellents scénaristes, sur de bons réalisateurs et des acteurs souvent géniaux qui n'hésitent pas à composer un personnage de toute pièce, au lieu de jouer perpétuellement le même rôle (Isabelle Huppert, Depardieu, etc.). Autrement dit, il n'a pas peur de se frotter au monde tel qu'il est, dans sa tragique beauté. Il n'a pas peur, non plus, de ses moyens, de ses artifices, de sa démesure.

    Encore un effort, donc, et le cinéma suisse, qui a déjà un directeur charismatique et une cérémonie, pleine de strass et de stress, pourra briller au firmament du 7ème art mondial!

  • Un film vertigineux

    images.jpeg Hollywood a fait son cinéma, dans la nuit de dimanche à lundi, et distribué ses oscars. Rires et larmes.  Cris de rage. Déceptions. Polémique. Rien que de très habituel. Pour un peu, on se serait cru aux Journées du cinéma suisse de Soleure! Manquait juste Nicolas Bideau…

    Le beau film de Danny Boyle, Slumdog millionnaire, a presque tout raflé. Au détriment de l'autre grand favori, L'étrange histoire de Benjamin Button, avec Brad Pitt et Cate Blanchett, qui n'a eu que des miettes. Certains ont crié à l'infamie et à la trahison. D'autres ont parlé de « pornographie de la misère » à propos du film de Boyle qui, comme on l'a dit ici, se passe pour l'essentiel dans les bidonvilles de Bombay. Les critiques de cinéma aiment toujours à s'échauffer pour rien…

    Mais revenons au perdant et disons-le tout net: il faut aller voir cette Etrange histoire de Benjamin Button, réalisé par David Fincher, qui est un film admirable. D'abord par le scénario, impeccable, tiré d'une nouvelle de Francis Scott Fitzgerald. Preuve qu'un grand film repose toujours sur un grand scénario. Et que le meilleur scénariste et dialoguiste est encore un écrivain! Si seulement les cinéastes français (et romands) pouvaient s'en inspirer ! Ensuite par l'interprétation de Brad Pitt, acteur convenable, sans plus, transfiguré ici par son rôle de BB, vivant sa vie à l'envers, vieillard à la naissance et nouveau-né au moment de mourir. Que dire aussi de Cate Blanchett qui illumine l'écran à chacune de ses apparitions, joue juste et bien, confère une bouleversante profondeur à son personnage de danseuse, vivant, pour sa part, une vie à l'endroit. Par la réalisation, enfin, à la fois souple et nette, rythmée et surprenante, de David Fincher, qui donne là son plus beau film.

    Mais l'histoire, me direz-vous, n'est-elle pas un peu fort de café? Ce destin à l'envers, ce vieillard vagissant, ce bébé qui meurt à 80 ans, qui peut vraiment y croire?

    Eh bien, si le film met du temps à déployer ses sortilèges, figurez-vous qu'on y croit. C'est la magie du cinéma américain,qui nous fait souvent avaler les plus grosses couleuvres. Ce destin renversé, renversant, cette vie qui commence par la fin, nous fait réfléchir au sens du temps. Il ébranle nos bonnes vieilles habitudes de pensée, nous qui sommes captifs du temps des horloges, linéaire, régulier, implacable. Or ce temps des horloges n'est qu'une convention humaine comme une autre (la monnaie, le calendrier, etc). Arbitraire, artificielle. Sans doute calqué sur le rythme biologique de l'homme qui va de sa naissance à sa mort. Or il existe un autre temps. Des autres temps. Le film nous invite à les explorer. Comme il nous invite à nous interroger sur les temps parallèles, synchrones ou séparés. Vivons-nous tous le même instant en même temps? Chacun ne vit-il pas sa propre temporalité? Sommes-nous d'ailleurs toujours synchrones avec nous-mêmes?

    La scène la plus vertigineuse du film advient quand les deux protagonistes, Brad et Cate, qui se sont croisés plusieurs fois sans jamais se rencontrer vraiment, s'aperçoivent qu'ils ont presque le même âge. Mais que cet instant magique, unique, ne va pas durer. Et que le temps lui-même va les séparer, irrémédiablement, puisque Benjamin va rajeunir, tandis que Daisy prendra chaque jour quelques nouvelles rides. L'amour n'est pas synchrone, même s'il est réciproque. Une faille, toujours, creuse le temps, qui n'a pas la même valeur pour chacun d'entre nous. C'est peut-être pour cette raison que nous ne savons pas aimer comme nous aimerions aimer…

    * L'Étrange histoire de Benjamin Button, de David Fincher, avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Julia Ormond.  Actuellement dans les salles de Suisse romande.