Ouvrons les yeux : la nature, comme le disait Baudelaire, n’est pas seulement ce temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de confuses paroles. C’est d’abord un théâtre avec ses tréteaux, ses chausse-trappes et ses jeux de lumière, sa mise en scène et ses masques.
Comme théâtre, Jacques Pugin a choisi la montagne — le plus grandiose des théâtres.
Le photographe est un chasseur d’image, un arpenteur, un randonneur. Il recherche une scène primitive : un décor à la beauté sauvage qu’aucun acteur n’aurait encore habité. Nous sommes ici juste après le lever du rideau : le plateau est nu, le silence est profond, pas âme qui vive dans ce cirque de glace. Au premier plan, des draperies qui pourraient être des suaires, ou des fantômes : si la chair dépliée est sans secrets, la montagne, sur cette image, exhibe ses plaies et ses cicatrices, ses failles et ses séracs, comme les reliefs d’une catastrophe.
En même temps, ce drapé somptueux laisse entrevoir un coin de ciel délavé, et l’ombre d’une montagne qui surveille toute la scène.
Il y a, dans cette image, comme dans toutes les photographies de Jacques Pugin, une scénographie très étudiée : le jeu des couleurs, les plis et replis de la glace, le drapé des montagnes. Tout renvoie, ici, à un théâtre d’avant les hommes et d’avant la parole. La pièce n’est pas écrite (ou peut-être est-elle déjà jouée).
La montagne est sacrée. Si l’homme n’est qu’un accident de l’Histoire, elle conserve, dans ses plis, la mémoire des remous du passé. Glissements, replis, fonte inopinée des neiges. Nouvelle glaciation. Qui est le maître d’œuvre ? Quel est le plan final ? Le temps de la nature n’est pas celui des hommes. C’est un temps long qui, aujourd’hui, s’affole et s’accélère, alors que la planète s’épuise en gesticulations.
Au fil des jours et au hasard des randonnées, le photographe recueille des images, les creuse, les interroge, les modifie parfois pour en extraire le sens. Le paradoxe de ces images dépouillées, où l’homme n’a pas sa place, c’est qu’elles nous parlent et nous regardent. Que recèlent ces plis, ces draps gelés, ces ombres grises ? Qui se cache sous cet effondrement ?
Quel cri est prisonnier des glaces ?
Seul le silence répond à nos questions.
@ photo de Jacques Pugin






Du bon, et même du très bon, comme le livre de Guillaume Chevevière, Rousseau, une histoire genevoise
Un opéra plutôt moyen : JJR
Cette année aura été également celle de Jean Starobinski, écrivain et critique genevois qui vient de fêter ses 92 ans et de publier, coup sur coup, trois livres extraordinaires. L’un sur Rousseau*, le deuxième sur Diderot** et le dernier sur l’histoire de la mélancolie***. Que serait Jean-Jacques sans Staro, comme l’appelaient ses étudiants ? Le professeur genevois a contribué, comme nul autre, à faire (mieux) connaître, la pensée de Rousseau : l’importance du regard dans son œuvre, son désir constant de transparence, ses ruses pour séduire ses contemporains tout en les accusant, son tempérament mélancolique.