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  • Les livres de l'été (2) : Maculée conception, de Mélanie Chappuis

    th.jpegDans nos mythologies, la femme est toujours double. Elle a le visage d’Ève, première en date, tentatrice au serpent, initiatrice des plaisirs défendus. La Femme, par excellence. Mais elle a également le visage de Marie, jeune vierge pas si effarouchée, qui épouse Joseph, un homme qui pourrait être son père, avant de donner naissance au Christ sauveur, et d’accomplir une mission qui la dépasse. Marie, la Mère par excellence.

     Dans un livre étonnant d’émotion, de retenue et de sincérité, une jeune romancière romande, Mélanie Chappuis, revient sur cette figure centrale de notre imaginaire et de nos vies. Si le père, pour l’enfant, demeure toujours une question (Joseph le sait très bien, lui qui accueille, dans sa famille déjà nombreuse, l’enfant d’un autre), la mère, au demeurant, n’est jamais une énigme. Et pourtant ! En se glissant dans la peau de Maryam, sur le point d’accoucher, Mélanie Chappuis nous fait revivre, charnellement, les derniers jours de sa grossesse, la mise au monde magique et les premiers instants de tendresse partagée avec cet enfant-roi qu’elle a porté en elle neuf mois durant et qui, bientôt, par une volonté supérieure, va lui être enlevé. « C’est un fils, a dit l’ange. Je vais pouvoir m’inventer en tant que mère. »

     Tout le mystère de la maternité est là : c’est l’enfant qui permet à la femme de s’inventer en tant que mère. C’est une chance et un risque. DownloadedFile.jpegMélanie Chappuis décrit à merveille cet amour inconditionnel, d’âme et de corps, qui est un désir de fusion. « Nous ne formons qu’un tant que tu bois mon sein, tant que tu dors près de moi. » Une chance unique, pour Maryam, d’échapper à sa famille et de conquérir sa liberté. Mais un risque aussi. Cet enfant de l’amour, conçu par le beau Barabas, puis adopté par le vieux Joseph, sa tête est bientôt mise à prix par un décret du roi Hérode qui veut faire assassiner tous les nouveaux-nés du pays. Car des mages lui ont dit que parmi ces enfants se cachait probablement un futur dieu…

     Peu de jours après l’accouchement, Maryam est obligée de fuir. C’est le retour en Égypte, d’où les Juifs sont partis quelques centaines d’années plus tôt. Mélanie Chappuis nous fait revivre cet exil, la nouvelle vie précaire qui commence pour Maryam et son enfant appelé à devenir, modestement, le fils de Dieu.

     64450_535113613194958_1764780251_n.jpgÀ la fusion charnelle des premiers mois succède un lent détachement. Dans son roman au titre provocateur, Maculée conception*, Mélanie Chappuis fait la part belle à l’amour fusionnel. Mais c’est aussi le récit d’une dépossession. Si la mère n’appartient pas à l’enfant, l’inverse est vrai aussi. Tel est le prix de la liberté. D’autant que cet enfant n’est pas n’importe qui ! Et pas seulement celui de Maryam. Il appartient à Dieu et à son peuple. Il vient sauver le monde. Même si personne ne le sait, ses jours, déjà, sont comptés sur la terre. Maryam, mère charnelle et éternelle, ignore encore qu’elle va lui survivre.


     * Mélanie Chappuis, Maculée conception, Éditions Luce Wilquin, 2013.

  • Les livres de l'été (1) : Isabelle Æschlimann

    DownloadedFile-2.jpegNourri d’expériences personnelles, ce roman vif et intense entraîne le lecteur de la Suisse à Berlin où deux expatriés, Émilie et Markus, qui se sont connus bien des années auparavant, vont finir par se retrouver. L’une a quitté sa vie trop bien rangée et l’autre, qui a gagné un concours d’architecture, a laissé femme et enfants derrière lui. Cet exil, tout d’abord douloureux, a le parfum d’une liberté nouvelle. En découvrant Berlin, son énergie, sa joie de vivre, Markus et Émilie vont se réinventer au gré des promenades, des soirées arrosées, des jeux de séduction qui remettront en cause leurs certitudes les plus solides.

    Le roman, mené sur un rythme alerte, se lit comme un jeu de pistes excitant et surprenant. Isabelle Æschlimann-Pétignat brosse une série de personnages ardents et hauts en couleur, dont la belle Francesca, moderne femme couguar, qui va entraîner le livre vers une fin inattendue. DownloadedFile-1.jpegRoman de l’empreinte amoureuse, Un Été de trop a un parfum de nostalgie : l’homme et la femme cherchant à retrouver, dans le présent, la fraîcheur des premiers gestes, la puissance d’un regard oublié et la fougue du baiser échangé autrefois.

    Un Été de trop est le premier roman d’Isabelle Æschlimann-Pétignat. Nul doute que d’autres suivront, qui surprendront à leur tour les lecteurs par leur verve et leur imagination.

    * Isabelle Æschlimann. Un Été de trop, Plaisir de Lire, 2012.

  • Genève et les genevoiseries

    DownloadedFile.jpegOn le sait : Genève est la plus belle ville du monde. Son lac immense, sa cathédrale austère et le panache de son Jet d’eau…

    C’est une ville où il fait bon vivre, malgré les prix exorbitants des loyers et des restaurants italiens, parce qu’à Genève rien ne change. Dans ce sens, c’est une ville éternelle. Plus éternelle que Rome, qui tombe en ruine. On y déteste tout ce qui est nouveau : ce qui pourrait surprendre, séduire et bouleverser les habitudes. Sitôt qu'un projet ambitieux voit le jour — dans le domaine culturel, architectural ou urbanistique — il est aussitôt torpillé, non pas par la majorité des citoyens, mais par une minorité bien plus puissante, en fait, que la majorité. 

    En Suisse (car Genève fait encore partie de la Suisse), on appelle cela une Genferei — autrement dit : une genevoiserie.

    La dernière en date concerne un beau projet de plage sur la rive gauche du lac. Il s’agissait d’agrandir le port de la Nautique, de créer de nouveaux espaces verts et de transformer les rives à l’abandon en plages publiques et en promenades. images-1.jpegLe projet émanait de Robert Cramer, ancien Conseiller d’État écologiste, amateur de montagne et de bons vins. Il faisait l’unanimité des partis politiques. Il vient d’être balayé par le WWF qui craint que cette nouvelle plage ne donne des idées à ceux qui veulent égailler les rives des lacs suisses.

    Les Genevois sont consternés. Ce n’est pas la première fois. Ils sont habitués aux genevoiseries.

    Mais pourquoi ces blocages ? J'y vois plusieurs raisons. D'abord, un attachement atavique à la médiocrité, élevée à Genève, au rang d'idole jalouse. Il faut toujours rester dans le juste milieu, ne jamais s'écarter de la norme. Les originaux, les farfelus, les utopistes, les artistes géniaux n'ont qu'à aller se faire voir ailleurs. Voyez Rousseau, chassé à 16 ans de sa ville…

    Ensuite, une incapacité à entrer dans le mouvement du monde. Surtout ne rien changer ! La Gare, construite au début du XXe siècle, est trop petite ? On s'en contentera. La circulation automobile est infernale ? Supprimons les voitures ! Et surtout pas de pont ou de tunnel sur la rade : cela nuirait aux transports en commun. Et dans 20 ans, dans 30 ans ? Eh bien, rien n'aura changé. Si l'on veut se rendre d’une rive à l’autre, il faudra traverser la ville par le pont du Mont-Blanc, embouteillé comme jamais ! Le projet de Cramer était beau, généreux et peu cher, car financé en partie par des fonds privés. Tant pis, l'une des plus belles rades du monde restera ce qu'elle est : un entrepôt à ciel ouvert. 

    Enfin, une peur panique de l'avenir. Car, à Genève, l'avenir n'existe pas. Il ressemble au présent, qui est du passé composé ! Aucun homme (ou femme, bien sûr) politique n'a de vision pour le futur du Canton. On bricole. On chipote. On construit un skate-parc sur la plaine de Plainpalais, summum de l'audace urbanistique, pour donner un os à ronger aux jeunes morveux. 

    Rien à dire à ma fille qui prétend, ce matin, que Genève, c’est no future !