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  • L'air de la guerre

    images.jpegRappelez-vous : il y a dix ans, c’était au mois de mars, George W. Bush, président des États-Unis, décidait d’attaquer l’Irak, au prétexte que ce pays développait des armes de destruction massive. Pour convaincre l’opinion, défavorable à cette intervention, le secrétaire d’État Colin Powell avait exhibé quelques fioles mystérieuses devant l’assemblée des représentants l’ONU. Ce tour de passe-passe opéra, du moins en apparence, puisque les va-t’en-guerre Américains furent bientôt rejoints par les fidèles Anglais (Tony Blair fut traité de caniche), les Italiens du beau Silvio Berlusconi, les Espagnols, les Polonais, etc. Seuls les Français, par la voix de Jacques Chirac, refusèrent d’entrer dans la danse, ce qui leur fut sévèrement reproché. Cette guerre, initiée en 2003, dura huit ans, puisqu’il fallut attendre décembre 2011 pour voir le dernier soldat yankee quitter le sol irakien.

    Aujourd’hui, on entend la même sinistre musique. Fifres et tambours de guerre. Grandes manœuvres dans la Méditerranée. Logomachie des chefs d’État. On prépare l’opinion à une intervention armée. images-1.jpegQuoi de plus juste ? Le président syrien, Bachar-el-Assad, n’est-il pas un tyran ? Et de la plus odieuse race ? N’utilise-t-il pas, contre son propre peuple, des armes chimiques, comme Saddam Hussein, dix ans plus tôt, en Irak, accumulait les « armes de destruction massive » ?

    Les bruits de bottes se rapprochent, mais Barak Obama hésite encore. Celui qui reçut le Prix Nobel de la Paix en 2009 « pour ses efforts extraordinaires en faveur du renforcement de la diplomatie et de la coopération internationales entre les peuples » n’est pas très chaud, on le sent. En bon chef d’État pacifique, il préférerait la voie de la négociation. Mais comment négocier avec un dictateur qui s’accroche à son trône et massacre ses compatriotes ? Le voici acculé, comme son prédécesseur, à prendre le chemin de la guerre. Mais une guerre « propre », bien sûr, sans victimes, ni dégâts, ni effusion de sang…

    Une « juste punition ». Quelques « frappes chirurgicales », ici et là, et puis basta.

    images-2.jpegLa guerre est toujours fascinante. Elle oppose des hommes qui se battent sans raison, ou pour des causes qu’ils ne comprennent pas. Pétrole ? Pouvoir ? Religion ? Ce sont souvent les frères d’une même famille. Des voisins. Des amis. Le journaliste Jean Hatzfeld, grand reporter du journal Libération, a publié, il y a quelques années, un témoignage poignant sur la guerre en ex-Yougoslavie. Dans son livre, il montre la vraie guerre. Et non les frappes chirurgicales, par missiles interposés. La guerre humaine, sanglante et toujours fratricide. Ça s’appelle L ‘Air de la guerre*. Il faut relire ces histoires d’hommes et de femmes pris dans une tourmente absurde et obligés de fuir, de se cacher, de quitter leur pays pour simplement sauver leur peau.

    L’histoire ne se répète jamais, mais les guerres se ressemblent.

    Elles commencent toutes au son des fifres et des tambours.

    * Jean Hatzfeld, l’Air de la guerre, Le Seuil, Points.

     

  • Un récit bouleversant

    images.jpeg On ne présente plus Michel Viala, auteur d'innombrables pièces de théâtre, comédien, metteur en scène et scénariste de télévision, qui vient de nous quitter. Il y a quelques années, il avait publié, sous le titre de Post-Sapiens, un roman d'anticipation apocalyptique, qui avait marqué la rentrée littéraire. Aujourd'hui, avec Jumeau*, repris dans la collection Poche Suisse, Viala noue donne un récit autobiographique qui a valeur de témoignage, et s'inscrit naturellement dans la suite de Post-Sapiens.
    C'est l'histoire (authentique) de deux frères nés le même jour, mais peut-être pas sous la même étoile. Tandis que l'un, par vocation, se lance dans le théâtre, avec la réussite que l'on connaît (tout le monde se souvient de la géniale Invitation de Goretta dont Viala fut le scénariste), l'autre, au fil des ans, sombre dans la déprime et le dégoût de soi, comme attiré, irrésistiblement, par la folie et par la mort.
    Après un long silence, Michel le théâtreux retrouve Maurice l'insoumis, qui semble enfin sur la « bonne » voie : il est marié, vient d'avoir un enfant, et a enfin une place de travail. Mais cette stabilité, hélas, ne dure pas. Une fois de plus, sa destinée bascule dans l'horreur : Maurice, bien des années plus tard, assassine son propre fils, puis se donne la mort dans la clinique genevoise où on le soigne.
    Entraînant l'autre — le double survivant — dans le désarroi et la solitude.
    Texte écrit dans la fièvre, pour sauver du désastre la mémoire de l'autre, mais aussi sa propre mémoire, menacée par l'alcool et l'oubli, Jumeau a la force d'un exorcisme : comme Nicolas Bouvier, Viala joue de la magie blanche de l'écriture contre la magie noire du malheur, afin d'élucider sa propre vie, qui ressemble tellement à une tragédie antique, en s'abstenant, toutefois, de conclure, car l'espoir demeure, toujours, d'échapper aux traquenards du destin.

    * Michel Viala, Jumeau, récit, Poche Suisse, l'Âge d'Homme, 2008.

  • Blocher et la Nati

    1185428_10201788915271449_758205687_n.jpgIl y a des jours, comme ça, où la Suisse brille de mille feux.

    Les projecteurs de cinéma, d’abord, sur la Piazza Grande, à Locarno, pendant le Festival. La Piazza Grande, ce n’est pas rien : six à sept mille spectateurs jouent des coudes, trois heures avant les projections, pour occuper les meilleures places. Les restos sont bondés. L’écran est immense. Parfois il y a des paillettes et du glamour. Pour un cinéaste, suisse, surtout, c’est une manière de consécration. Cette année, Lionel Baier a eu cet honneur. Et Jean-Stéphane Bron, magnifique réalisateur, pour un film qui a déjà fait couler beaucoup d’encre : L’Expérience Blocher.

    Je ne vous parlerai pas du film, que je n’ai pas encore vu, mais qui promet beaucoup. Ce qui me frappe, une fois éteinte la polémique qui a embrasé les médias (fallait-il subventionner un film sur un homme politique suisse ?), c’est que le sujet du documentaire, Christoph Blocher, fait l’unanimité, même parmi ses adversaires. Tout le monde s’accorde à penser que peu d’hommes politiques, en Suisse, ont eu ce parcours et cette influence. Émigration, questions de sécurité, refus obstiné de l’Union européenne, etc. Ces thèmes, qui sont au programme aujourd’hui de tous les partis, c’est Blocher, presque tout seul, qui les a lancés dans le débat démocratique, il y a déjà quelques années.

    Contrôler le flux des migrants, limiter les clandestins, restreindre les droits des requérants : tout cela fait partie du programme de Blocher et de son organe nationale : l’UDC.

    DownloadedFile.jpegDeux jours plus tard, j’assistai, comme beaucoup de téléspectateurs médusés, à la victoire de l’équipe suisse de football à Bâle face au Brésil. Bon, bien sûr, l’unique but de ce match amical fut marqué par un Brésilien, qui semblait toujours en vacance, contre son camp ! C’est vrai. Mais quand même, le Brésil ! Futur champion du monde, sans doute, l’année prochaine, au pays de la samba…

    Je regardai cette équipe suisse new look (plusieurs joueurs manquaient à l’appel, blessés, suspendus ou hors de forme) et je me posais des questions…

    Un fantastique gardien, Benaglio, vrai Suisse. De solides arrières centraux, Senderos, fils d’émigré espagnol, et Klose, d’origine allemande (en remplacement de Djourou, l’Ivoirien au sourire éclatant). Au milieu, Inler, le Turc, était absent. Tant mieux, dirais-je, car il a été remplacé parfaitement par le lutin génial Shakiri, venu du Kosovo comme Velon Behrami et Blerim Dzemaili, tous fantastiques joueurs. Et devant, Seferovic, débarqué du Real Sociedad, mais serbe d’origine, et Gavranovic, son complice croate…

    En regardant cette équipe multiculturelle, je me demandais si l’influence de Blocher en Suisse était vraiment aussi décisive qu’on le dit, et puis si son combat, son credo, ses idées, n’étaient pas déjà un peu dépassés…

    Que ferions-nous, que serions-nous, en football comme ailleurs, sans tous ces exilés, réfugiés, métèques ou émigrés fuyant la guerre et les persécutions pour insuffler quelques pintes de sang neuf à un vieux pays qui en a bien besoin ?