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  • Les livres de l'été (34 et 35) : Marianne Denicourt et Nicolas Bouvier

    DownloadedFile.jpegIl y a des livres dont on se dit, les ayant lus, qu'il aurait mieux valu qu'ils ne soient pas écrits — ou du moins publiés. C'est le cas de Mauvais génie*, un livre écrit à quatre mains par la comédienne Marianne Dénicourt et la journaliste Judith Perrignon. Pourquoi ce livre ? Marianne Denicourt, que j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois à Avignon dans les années 80, à l'époque où elle suivait les cours de Patrice Chéreau à l'école du Théâtre des Amandiers de Nanterre, est une magnifique comédienne. Elle a eu, par la suite, une vie tragique : son père est mort des suites d'une longue maladie et son ami, le père de son enfant, est tombé accidentellement d'une fenêtre et s'est tué, alors que Marianne était enceinte. Quelques années plus tard, Marianne Denicourt croise le chemin d'un jeune réalisateur français parfaitement inconnin, Arnaud Desplechins, qui lui donne le rôle principal de ses deux premiers films (La Sentinelle et Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle). Deux très beaux films. Puis c'est la rupture. Quelque temps après, Despléchins tourne un nouveau long métrage, qui deviendra Rois et reine, et qui est un chef-d'œuvre. Dans ce film, il puise abondamment dans la vie de Marianne pour créer le rôle de Nora (jouée par Emmanuel Devos), en transformant bien sûr certains faits (le mari se suicide dans le film et le père vit une longue agonie). Se sentant manipulée et abusée, marianne Denicourt décide d'écrire un livre, non seulement pour rétablir la vérité des faits, mais aussi pour se venger. DownloadedFile-1.jpegCela donne Mauvais génie : un règlement de comptes amer et revanchard, où Arnaud Desplechins (Arnold Duplancher dans le livre !) est décrit comme un névropathe, inculte, parano et surtout égomaniaque. Curieusement, le résultat va à l'encontre du projet : les défauts de Duplancher sont, en réalité, les qualités de l'artiste Desplechins, égoïste, manipulateur, certes, se nourrissant des histoires des autres, tel un vampire assoiffé de sang, mais les transformant et les sublimant pour en faire ses films à lui. La conclusion est patente : Rois et reine et un grand film. Mauvais génie un mauvais livre.

    DownloadedFile-2.jpegUn autre livre qui, sans doute, aurait pu rester dans les tiroirs, c'est un recueil d'articles inédits de Nicolas Bouvier. Cela s'appelle : Il faudra repartir**. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ces textes, réunis et présentés par François Laut, un spécialiste de Bouvier, sont d'un intérêt inégal. Pour ne pas dire plus. Il s'agit de fonds de tiroir, ainsi que d'extraits du journal de bord de Nicolas. Faut-il vraiment savoir que NB a « écrit une dizaine de cartes, puis dîné près de l'hôtel. Huîtres excellentes. Bien dormi. » ? On en doute. La figure du grand écrivain genevois ne gagne rien à notules anecdotiques qui, le plus souvent, passent sous silence les rencontres importantes.

    En conclusion, dirait Flaubert, deux livres pour rien.

    * Marianne Denicourt et Judith Perrignon, Mauvais génie, Stock, 2005.

    ** Nicolas Bouvier, Il faudra repartir, Voyages inédits, Payot, 2013.

  • Les livres de l'été (32 et 33) : Mousse Boulanger et Quentin Mouron

    Chaque année, c’est les Chutes : comment survivre au Niagara de la rentrée littéraire ? 555 romans prévus en France. Une bonne trentaine en Suisse romande. Bien sûr, il y a ceux qu’on ne lira pas : la logorrhée de Yann Moix (1200 pages). Le dernier produit de la fabrique Nothomb : ni meilleur, ni pire que les précédents, hélas…
    images.jpegChez nous, la rentrée est moins encombrée. Il est plus facile de s’y faire un chemin. Parmi les promesses de bonheur, j’attends deux livres, très singuliers, très différents, indispensables.

    Le premier s’intitule Les Frontalières*. Il est signé Mousse Boulanger. Elle revisite son enfance jurassienne, juste avant la guerre, les balades à vélo de l’autre côté de la frontière. Son amour de la liberté et de la poésie.

    L’autre livre que j’attends, c’est La Combustion humaine**, un roman explosif de Quentin Mouron. images-1.jpegComme Mousse Boulanger, Mouron a un style, une voix, une présence. Son roman se passe dans le milieu de l’édition. Comme dans ses précédents livres, Mouron fulmine, se lâche, se fâche — et va fâcher beaucoup de monde. Tant mieux !

    Entre Mousse Boulanger, 86 ans, et Quentin Mouron, 25 ans : une même rage d’écrire. Un même amour fou de la langue. De la vie.

    Et j’aime cette idée de transmission : la littérature n’a pas d’âge. Elle passe de main en main. Elle ne meurt jamais.

    * Mousse Boulanger, Les Frontalières, roman, L’Âge d’Homme, 2013.

    ** Quentin Mouron, La Combustion humaine, roman, Éditions Olivier Morattel, 2013.

  • Les livres de l'été (31) : Alain Bagnoud

    images-1.jpegLe Valais est une terre de vignerons et d'écrivains. Il n'y a pas si longtemps, Maurice Chappaz, grand bourlingueur devant l'Eternel, poète lumineux, fut le gardien des vignes de son oncle Troillet, à Fully. Si l'encre est le sang des livres, le vin, souvent, est le sang des poètes.
    Chaque année, à l'époque des vendanges, des livres sortent des presses romandes, parmi lesquels il y a de grands crus. C'est le cas de deux écrivains valaisans, Germain Clavien et Alain Bagnoud. Tous deux sont fils et frères de vignerons. Et leurs livres poursuivent, à leur manière, le cycle de la vigne. C'est-à-dire des saisons.
    [...] L’oeuvre d’Alain Bagnoud (né en 1959) est sans conteste l’une des plus intéressantes de Suisse romande. Voilà un Valaisan de pure souche, né au milieu des vignes, à Chermignon, qui, par les hasards de l’existence, est venu s’installer à Genève, où il a poursuivi des études universitaires. Il raconte l’histoire de ce déracinement, à la fois douloureux et nécessaire, dans une trilogie autobiographique parue aux Editions de L’Aire. aujourd’hui, il nous donne une sorte de « journal extime ». Un recueil de textes parus d’abord sur le blog qu’il anime depuis plusieurs années, et qui est une mine d’informations et de réflexions sur la littérature (http://bagnoud.blogg.org). Cela s’appelle « Transports »*. C’est une série d’instantanés, poétiques et fugaces, dans lesquels Bagnoud essaie de ressaisir une atmosphère, d’éclairer le mystère d’une rencontre. Il écrit dans le mouvement, parfois la hâte. Les bus, les trains, les trams. Ce qu’on appelle les transports publics. Mais son œil est celui d’un poète et d’un entomologiste. Il étudie les hommes (les femmes surtout!) avec amour et étonnement. Il ne se lasse pas de les regarder. De les décrire. De les interroger. Sous la loupe de son style élégant et précis. Son petit recueil de proses poétiques est l’un des plus beaux livres de l’année.
    * Alain Bagnoud, Transports, L’Aire 2011