Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 3

  • Genève rencontre New York (3)

    unknown1.jpegHa ! Si Jean-Jacques était là ! Il verrait l'engouement que suscitent, jour après jour, en Europe comme aux Etats-Unis, ses idées, ses projets, ses imaginations. Quel autre écrivain pourrait rassembler, à la même table, des philosophes, des poètes, des pédagogues, des politiciens et des membres du mouvement « Occupy Wall Street » ? C'est pourtant ce qui est arrivé, et même deux fois, dans la journée d'hier, à New York, à midi dans les splendides locaux de l'Alliance française (FIAF) et le soir dans l'historique et monumentale Public Library, sur la 5ème avenue.

    À midi, donc, un débat passionnant sur l'« éducation progressive ». Quelle influence Jean-Jacques a-t-il eu (a-t-il encore) sur les diverses écoles pédagogiques qui se sont nourries de L'Émile, comme du Contrat social ou de la Nouvelle Héloïse ? Ses idées sont-elles toujours d'actualité ? On sait que Rousseau, qui aimait à se mêler de tout, s'est beaucoup intéressé à l'éducation des enfants. Sans doute éprouvait-il le remords d'avoir abandonné les siens (à sa décharge, si j'ose dire, certains prétendent que ce n'était pas vraiment les siens, sa compagne, Thérèse Levasseur, ayant la cuisse légère). Quoi qu'il en soit, il propose, dans L'Émile, un traité original sur l'éducation des enfants.

    Émile est orphelin. Il est alaité par une nourrice et instruit par un précepteur qui s'occupera de lui pendant les 25 premières années de sa vie. Ce qui n'est pas rien. À partir de cette situation,Rousseau remet tout en question, comme à son habitude. Il fait table rase. L'enfant, qui n'avait pratiquement aucune place avant lui, se retrouve désormais au centre de l'école (certains en dénoncent les ravages aujourd'hui). Ce n'est pas l'enfant-roi. Mais l'enfant libre, qui exerce son corps comme son esprit, qui dlécouvre le monde avec son précepteur, qui apprend un métier, qui ne lit pas de livres (avant l'âge de 12 ans!), qui apprend à suivre les élans de son cœur et à écouter la voix de sa conscience. Enfin, quand il aura 20 ans, arrivera Sophie, une jeune fille bien née, au cœur pur, élevée selon les principes de Rousseau. Les deux tourtereaux se marieront et le livre s'achève é la naissance de leur premier enfant (Rousseau, on ne le sait pas assez, a écrit une suite à son Émile, une suite plutôt noire, puisque Sophie perd sa fille, Émile, désespéré, se réfugie sur une île déserte et vit en parfait polygame jusqu'à la fin de sa vie…).

    Une fois de plus, Rousseau rue dans les brancards. Il balaie tout ce qui a été écrit sur l'éducation auparavant et propose des idées neuves, souvent progressives, mais pas toujours (sa vision de l'éducation des femmes n'est pas vraiment révolutionnaire : une femme est une épouse et une mère avant tout, elle n'a pas besoin de recevoir l'instruction que reçoit son Émile…).

    Bref, vendredi, midi, dans la salle lumineuse du Skyroom, un débat animé par Adam Gopnik, journaliste au New Yorker, qui réunissait Megan Laverty (prof de philo à l'Université de Columbia), Shimon Waronker (directeur de programme à Harvard), Michel Butor et votre serviteur. On a pu constater, dans le feu des débats, que les idées de Jean-Jacques, même si elles ne sont pas toujours « progressives » (on dit ici « radicales »), suscitent, encore aujourd'hui, des questions passionnées. Il faut dire que sa pensée est paradoxale, et parfaite pour débattre.

    IMG_0693.JPGAssistaient au débat de nombreuses personnalités suisses et new yorkaises, venues de Harvard, Columbia ou encore NYU. Et, parmi nos compatriotes, Pascal Couchepin, Sami Kanaan, l'ambassadeur François Barras, François Jacob, l'excellent conservateur du musée Voltaire aux Délices, et beaucoup d'autres.

    Le soir, nouveau rendez-vous, sur la 5ème avenue, dans la mythique Public LibraryIMG_0694.JPG, pour un débat sur « Occupy Rousseau » mené par Benjamin Barber, avec Pascal Couchepin, Guillaume Chenevière, auteur d'un très remarqué Rousseau, une histoire genevoise*, Simon Schama, et un représentant du mouvement « Occupy Wall Street » que la police a essayé plusieurs fois de déloger du quartier des affaires. Comment réagir aux injustices et inégalités du monde ? Quel combat mener contre les puissances de l'argent ? Comment résister, comme Rousseau nous a appris à le faire, aux nouvelles dictatures ?

    La réponse semble simple: il s'agit d'occuper le monde où nous vivons.

    Comme le disait Rousseau : « Méfiez-vous des imposteurs ! Vous êtes perdus si vous oubliez que les fuits de la terre appartiennent à chacun, et que la terre n'est à personne. »

    * Guillaume Chenevière, Rousseau, une histoire genevoise, Labor et Fidés, 2012.

    Site :

  • Cinéma central

    images.jpeg

    Au début de l’année, un nouveau cinéma a fermé ses portes à Genève. Le Central, rue Chantepoulet. C’était le cinéma de mon quartier. Une véritable institution. Il diffusait des films français, italiens, suisses bien sûr. Des films qu’on ne voyait nulle part ailleurs. Il a fermé ses portes discrètement. Pas un mot dans la presse ou à la télévision. Un magasin de mode l’a déjà remplacé.

    Avant lui, il y a eu le Plaza, le Cinébref, le Hollywood, le Broadway, etc. En une vingtaine d’années, Genève a perdu une dizaine de salles de cinéma. Bien sûr, elles ont été remplacées par des salles Multiplex, où l’odeur écœurante du pop-corn et des nachos vous saisit à la gorge dès que vous franchissez la porte. Il se dit, par ailleurs, que ces salles multiples vont mal, elles aussi, qu’elles ne sont pas rentables et que bientôt, sans doute, elles laisseront la place à d’autres magasins de fringues ou de chaussures de luxe. Le cinéphile (vous, moi) en sera réduit à acheter des DVD (ou à télécharger les films sur le Net pour pas un rond), puis à les visionner chez lui. Il ne sera plus obligé de sortir de son salon pour aller au cinéma.

    Si l’on n’y prête garde, la même catastrophe va bientôt arriver aux livres et aux librairies qui les défendent. Déjà, depuis 2000, plus d’une trentaine de librairies ont disparu de Suisse romande. Avec leur disparition, ce n’est pas seulement le marché qui se rétrécit et s’appauvrit un peu plus chaque jour. Ce sont aussi des lieux de rencontre et d’échange qui disparaissent. Des oasis d’humanité, au milieu du désert mercantile, où règne encore (mais pour combien de temps ?) la diversité des voix, des styles et des points de vue. Le débat. La controverse. L’admiration. La passion de partager. Une richesse unique, qu’aucun supermarché ne peut offrir, faute d’accorder au livre la place qui est la sienne et qu’il mérite (ce n’est pas un parfum, ni un baril de lessive).

    Il faut se battre pour que notre pays, qui a l’un des plus beaux réseaux de librairies du monde, puisse conserver cette richesse incomparable. Ce n’est pas anodin. Le livre est le fondement de notre culture, comme de notre identité. Il a traversé toutes les époques et gagné bien des guerres. Au fil du temps, il s’est transformé, passant du papyrus au parchemin, puis au papier. C’est le compagnon idéal des virées en montagnes comme des promenades solitaires. Quand on lit on est seul, et pourtant on est une multitude de personnages !

    Défendre les librairies, c’est défendre le livre. Et défendre le livre, c’est défendre la diversité, la richesse des cultures, le fond inaliénable d’humanité qui nous relie les uns aux autres (et que les grands défenseurs du Marché, aveugles ou naïfs, aimeraient tant voir disparaître).

    Voilà pourquoi, le 11 mars prochain, il faut soutenir l’initiative pour le prix unique du livre. N’oublions pas qu’un livre vient de loin, parfois même très loin, pour nous parler, nous consoler, nous faire pleurer ou rire. Ni surtout qu’un livre rend libre.

  • Genève rencontre New York (2)

    IMG_0689.JPGD'abord New York, par la fenêtre de l'hôtel, sous un ciel bleu délavé. Une ville debout. C'est une belle journée qui commence.

    Je marche jusqu'à la 26ème rue, le long de l'Hudson, sur laquelle un avion, il y a quelques années s'est posé en douceur. Aux murs, dans les rues, plus d'affiches. C'est étonnant. Plus de place. Mais des écrans géants qui clignotent et ressassent, entre deux spots publicitaires, les débats entre candidats à l'élection présidentielle. Bientôt j'arrive dans un bâtiment occupé par des cabinets d'architecte et des galeries de peinture très design. En fait, il s'agit du Centre international de l'affiche. Un endroit unique au monde (est-ce pour cela que le loyer mensuel est de 50'000 $?) C'est ici que Patrick Cramer, le grand (2m02) galeriste et éditeur genevois met aux enchères quelques-unes des plus belles pièces de sa collection.

    C'est un plaisir de retrouver les images un peu nostalgiques du siècle passé. Patrick Carmer en a collectionné des centaines, comme il a d'ailleurs édité des livres sur l'histoire de l'affiche. Ici, seulement une trentaine de posters sont affichés.IMG_0679.JPG Dont un d'Armando Giacometti. Un peu partout, on vante les charmes des stations de ski, ou de la défunte compagnie Swissair. On annonce à grand renfort de Jet d'Eau l'ouverture du salon de l'auto. On célébre l'immeuble Métropole, à Lausanne, qui comporte IMG_0688.JPGplusieurs salles de cinéma, une maison d'édition et une salle de concert. On retrouve même, associés à la ville de Genève, une fillette souriante qui ressemble à Martine !

    Plus tard, tout le monde se retrouve à l'Université de New York qui accueille une magnifique exposition sur Albert Gallatin, le Genevois qui devint le premier Ministre des Finances américains. Michel Butor, qui ne quitte plus sa célèbre salopette noire, est honoré par le Président de NYU. Il dialogue ensuite avec Lois Oppenheim, une spéciaaliste de son œuvre. Bel échange, authentique et émouvant, au cours duquel le grand écrivain français (né en 1925) revient sur sa carrière. Qui commença en trombe, comme on sait, avec le Prix Renaudot pour La Modification (1957). Puis son désintérêt croissant pour le roman (autrement dit le succès). Butor n'écrit alors plus que sur les livres des autres. Il devient critique. Puis, professeur d'Université. Des artistes, peintres surtout, lui demandent d'écrire sur leurs œuvres. IMG_0690.JPGD'abord surpris, Butor s'exécute. Et c'est ainsi qu'il collabore à plusieurs centaines de livres d'artistes. Et glisse, insensiblement, vers la poésie. Le romancier, au fil des ans, a laissé la place au poète. À l'écrivain plus secret, intimiste, constamment en recherche.

    Belle soirée, donc, pleine de rires et d'émotions. Car Butor, qui s'exprime en anglais avec un fort accent parisien, a un solide sens de l'humour. Et une manière inimitable, à la fois pétillante et malicieuse, d'évoquer les souvenirs de l'écrivain à succès qu'il refusa de devenir.

    Aujourd'hui, retour à Rousseau. Avec une table ronde sur l'éducation. Puis ce soir, un débat au titre prometteur : Occupying Rousseau, en référence au mouvement Occupying Wall Street. Avec, en vedettes américaines, Guillaume Chenevière et Pascal Couchepin.