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  • Cruel hiver

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    Avec l’hiver, un vent sec et glacé souffle sur les pelouses.

    Tout a commencé, il y a des mois, avec l’invraisemblable croisade menée par Christian Constantin, mécène et président du FC Sion, contre la Swiss Football League, l’Association suisse de football, l’UEFA et la FIFA. Autant dire la planète entière. Feuilleton rocambolesque, dont tout le monde a perdu le fil depuis longtemps, mais qui a eu pour résultat une sanction digne du Roi Ubu : on a retiré au club valaisan pas moins de 36 points. C’est-à-dire plus de points qu’il n’en avait acquis sur les pelouses ! Mal conseillé, et se prenant sans doute pour Don Quichote, Constantin a beaucoup perdu dans l’affaire. Du prestige. Du crédit. Et bien sûr de l’argent (le dernier club au classement est moins attractif que le deuxième ou le troisième).

    Peu importe le verdict final. Pour Constantin, la guerre qu’il a conduite contre les moulins à vent du foot méritait d’être menée.

    Ensuite, il y a eu la consternante affaire Chagaev, heureux propriétaire de Neuchâtel Xamax. On ne sait comment cet homme, au passé louche, est arrivé à la tête de l’un des fleurons du football suisses (mais on le devine). Il n’empêche qu’aussitôt arrivé, l’homme d’affaire tchétchène a fait le vide autour de lui. Virant, au fil des mois, à peu près tout le monde. Sans se douter une seconde qu’après avoir viré joueurs, secrétaires et entraîneurs, il se serait le prochain sur la liste à partir. Résultat des boulettes de Bulat : Chagaev est en prison. Xamax n’existe plus. Et les Neuchâtelois, qui ont laissé le club agoniser, puis mourir de sa sale mort, ont la gueule de bois (et se soignent au Xanax).

    Aujourd’hui, c’est un autre club romand qui est pris dans les glaces. Servette, 17 fois champion suisse, est au bord du naufrage. Son président, l’homme d’affaire iranien Majid Pishyar, ne règle plus aucune facture, attendant l’hypothétique soutien des Genevois qui assistent, impuissants, comme les Neuchâtelois, à la descente aux enfers de leur club. Il est vrai qu’il ne faut rien attendre des Genevois. Et Majid Pishyar, l’énigmatique président, s’il veut sortir son club des eaux troublées, devra trouver une solution tout seul.

    Quand un club meurt, ce n’est pas seulement une ville ou une région qui a la mort dans l’âme. Mais le pays tout entier. Le football, contrairement à une idée reçue, ne se joue pas à onze. Ni même à vingt-deux. Mais à 1000, 2000, 10'000 personnes. En l’occurrence, quand une équipe romande disparaît, c’est la fin des derbies. C’est-à-dire des empoignades fratricides, fiévreuses, bouleversantes, qui nous chavirent le cœur et alimentent les conversations de bistrot pendant plusieurs semaines.

    S’il n’y a plus de Sion-Xamax ou de Sion-Servette, quel intérêt le foot peut-il encore avoir pour nous ? Qui a envie d’aller applaudir Wil ou Thoune ? Ou même Vaduz ? Le foot ressemble au Titanic. Soit on traverse la mer ensemble. Soit on coule tous ensemble. Il n’y a pas d’alternative.

  • Lettre d'amour à l'étrangère

    DSCN6155.JPGNous nous sommes rencontrés parmi les livres. Tu lisais Jaccottet, la poésie romande, les voyages de Bouvier. Et moi, déjà, j’essayais de m’évader de ce monde. Pour aller ailleurs. Vers l’autre monde. Toi.
    Je suis arrivé, un beau soir, avec mon ami Claude Frochaux, à l’hôtel du Skydome. Juste à côté de la tour du même nom.
    Octobre 1997. Salon du Livre de Toronto.
    Tu m’attendais, assise au fond d’un fauteuil en cuir vert, lisant, dans la pénombre, un livre d’Ella Maillard ou de Corinna Bille. Tes chers auteurs romands. Tu les lisais depuis le nouveau monde. Tu les lisais depuis l’exil d’une vie que tu avais choisie et qui te convenait parfaitement.
    C’est comme cela qu’il faut lire certains livres : dans le silence et le secret. L’exil heureux.
    Tu les lisais en m’attendant. De temps à autre, tu levais les yeux de ton livre, guettant l’arrivée de celui que tu devais accueillir. Un écrivain romand en fuite. Moi. Une dizaine de livres. Publiés à Paris, à Lausanne ou ailleurs. Pour reconnaître ton invité, tu avais une photo. Ancienne. En noir et blanc. Sur laquelle je portais une chemise imprimée de centaines de petits personnages.
    Nous sommes arrivés en traînant nos valises, fatigués par le long voyage. Trop absorbée par ta lecture, tu n’as pas levé l’œil de ton livre. Et c’est moi, en premier, qui suis allé vers toi. Sans te connaître. Ni te reconnaître. Car je n’avais pas de photo. Seulement quelques lettres échangées au cours de l’été précédent.
    Je connaissais ton nom : Corine. J’ignorais ton visage.
    Pourtant, sans te connaître, je t’ai reconnue. J’ai osé déranger la belle lectrice qui était absorbée entièrement par sa lecture. Tu nous as accueillis. Nous avons bu du vin, mangé des chicken wings devant la baie vitrée qui donnait sur le terrain de basket au centre de l’hôtel. Il y avait un match ce soir-là. Les Raptors de Toronto rencontraient les Hawks de Miami. C’était étrange et excitant. On parlait de littérature en admirant les dunks qui s’enchaînaient sur le terrain. Sous les applaudissements des spectateurs que nous n’entendions pas. Nous étions seuls au monde. Heureux dans notre cage de verre.
    Deux jours plus tard, je suis parti à Montréal. Donner des conférences. Rencontrer des lecteurs, d’augustes professeurs de fac qui avaient lu mes livres. On s’est téléphoné deux fois. Une fois brièvement. Une autre fois si longuement que j’ai raté la conférence que je devais donner à l’Université de Montréal. Au moment de partir, je t’ai écrit une lettre truffée de citations et de bons mots, de réflexions philosophiques. Pour te faire impression. Cela a bien marché. À mon retour en Suisse, une semaine plus tard, une lettre m’attendait.
    Et c’est par l’écriture que tout a commencé.
    Je t’écrivais le soir en t’envoyant, en primeur, un chapitre du livre que j’étais en train d’écrire. Le lendemain, à mon réveil, je trouvais un message de toi dans ma boîte. Qui me réclamait un autre chapitre. Bientôt, je fus à court de munition. Il me fallut inventer la suite du livre au fil des jours et des nuits. Tu n’étais jamais rassasiée. C’est ainsi que L’Enfant secret est né.
    Tu m’as rejoint deux ans plus tard, un certain 11 septembre. 1999. Tu as quitté le Nouveau monde pour retrouver l’Ancien. La terre où tu es née. Où tu étais devenue l’étrangère. Sauf pour moi, bien sûr. Depuis ce jour, je suis parti, puis revenu. Puis reparti. Quand on écrit, on n’a jamais fini de faire le tour du monde. Mais on n’a jamais cessé de s’écrire. En silence ou par mail. De nuit comme de jour. Les mots sont des serments. Des jonquilles. Des orages. Des primevères. Les ferments de l’amour insoumis.
    Saurai-je aimer comme j’écris ?

  • Deux grands crus littéraires

    Le Valais est une terre de vignerons et d’écrivains. Il n’y a pas si longtemps, Maurice Chappaz, grand bourlingueur devant l’Éternel, poète lumineux, fut le gardien des vignes de son oncle Troillet, à Fully. Si l’encre est le sang des livres, le vin, souvent, est le sang des poètes.

    Chaque année, à l’époque des vendanges, des livres sortent des presses romandes, parmi lesquels il y a de grands crus. C’est le cas de deux écrivains valaisans, Germain Clavien et Alain Bagnoud. Tous deux sont fils et frères de vignerons. Et leurs livres poursuivent, à leur manière, le cycle de la vigne. C’est-à-dire des saisons.

    images.jpegOn ne présente plus Germain Clavien (né à Sion en 1933). Tour à tour enseignant, journaliste et romancier, il est d’abord poète. C’est en poète qu’il rédige, depuis près de 40 ans, sa Lettre à l’imaginaire. Une chronique de la vie au long cours. En Valais et ailleurs. Le dernier volume paru s’intitule Au gré des jours, du ciel et de la plume*. Il retrace avec émotion et sagesse, mais aussi indignation, les événements de l’année 2005. C’est une chronique des jours de notre vie. C’est-à-dire à la fois ordinaires et absolument uniques — puisque personne, ici-bas, ne peut vivre ces jours à notre place. C’est donc le livre d’un homme et d’une terre. Comme le vin. Clavien nous parle au cœur, d’une plume claire et précise, en dénonçant les ravages des arnaqueurs, les petits arrangements entre amis du monde littéraire romand, la guerre aux tympans lancée par les F/A-18 qui empoisonnent le ciel valaisan. Il y a de la colère dans les chroniques de cet écrivain-philosophe. De la douceur et de l’amour. Et le cru 2005, publié cette année, est un grand millésime.

    L’œuvre d’Alain Bagnoud (né en 1959) est sans conteste l’une des plus intéressantes de Suisse romande. DownloadedFile.jpegVoilà un Valaisan de pure souche, né au milieu des vignes, à Chermignon, qui, par les hasards de l’existence, est venu s’installer à Genève, où il a poursuivi des études universitaires. Il raconte l’histoire de ce déracinement, à la fois douloureux et nécessaire, dans une trilogie autobiographique parue aux éditions de l’Aire. Aujourd’hui, il nous donne une sorte de « journal extime ». Un recueil de textes parus d’abord sur le blog qu’il anime depuis plusieurs années, et qui est une mine d’informations et de réflexions sur la littérature (http://bagnoud.blogg.org). Cela s’appelle Transports**. C’est une série d’instantanés, poétiques et fugaces, dans lesquels Bagnoud essaie de ressaisir une atmosphère, d’éclairer le mystère d’une rencontre. Il écrit dans le mouvement, parfois la hâte. Les bus, les trains, les trams. Ce qu’on appelle les transports publics. Mais son œil est celui d’un poète et d’un entomologiste. Il étudie les hommes (les femmes surtout !) avec amour et étonnement. Il ne se lasse pas de les regarder. De les décrire. De les interroger. Sous la loupe de son style élégant et précis. Son petit recueil de proses poétiques est l’un des plus beaux livres de cette année.


     

    * Germain Clavien, Au gré des jours, du ciel et de la plume, L’Age d’Homme, 2011.

    ** Alain Bagnoud, Transports, L’Aire, 2011.