
C’est un livre grave et léger, plein de sagesse et d’expérience, d’émerveillements et de questions, que le dernier ouvrage de Germain Clavien, poète, chroniqueur et auteur de cette longue Lettre à l’imaginaire, dont le vingtième volume, En 2003, Rouvre, a paru en 2008.
Notre vie* se présente comme une sorte de journal de bord poétique qui s’étend sur une année, d’avril 2009 à avril 2010. Il suit le rythme du soleil et des saisons. Il est plein de bruit et de fureur, de colères, de révoltes, de bonheurs indicibles. Son titre, déjà, est un programme : il s’agit de surprendre la vie qui vient et qui s’en va, avec son cortège de douleurs et de découvertes, de hasards heureux, et d'insondables mélancolies. Une vie entière en poésie : De ce qui me tient à cœur/ Et oriente ma vie/J’ai retenu le meilleur/ Et l’ai mis en poésie. On suit le poète sur le chemin de la nature, accompagné de ses animaux tutélaires, le lézard, l’écureuil, le rossignol, en proie aux questions lancinantes : pour qui, pourquoi vivons-nous ? Quel est le sens de notre bref passage sur terre ? C’est dans la nature que le poète retrouve la source de sa parole. « Un poème au matin/ Éclaire une journée » écrivait le philosophe Gaston Bachelard. Clavien s’inspire de cet adage pour creuser la nature et les mots. Chercher l’image juste, le rythme qui colle à l’image, la musique qui donne élan et beauté à la phrase. On retrouve chez lui l’obsession de Livre de Mallarmé : le poète a pour mission de dire la nature et les hommes dans un Livre qui les cernerait au plus près, les contiendrait entièrement. Et ce désir du Livre est d’autant plus profond, chez Clavien, que la mort fait planer son ombre menaçante. « La mort on l’apprivoise/ Mais comment dire adieu/ À de telles merveilles/ Sans que le cœur se serre… »
Il y a urgence, une fois encore, à dire le monde comme il va, ou ne va pas.
Cette vie en poésie, Clavien nous le rappelle à chaque instant, c’est notre vie. Comme le monde plein de violence et d’injustices qui nous entoure est notre monde. Non pas un monde tombé du ciel ou venu de nulle part. Mais le monde que les hommes ont façonné à leur image. Un monde souvent déchiré par les guerres ou pollué par les bruits de moteurs (Clavien dédie même un poème aux tristes F/A 18 de l’armée suisse !). Oui, cette terre est celle des hommes. Nous n’en avons pas d’autre. Comme les mots du poète qui la chante sont les nôtres, assurément. Des mots simples et forts, directs et justes. Des mots remplis de sève et d’émotion qui traquent la vie dans ce qu’elle a de plus intense et de plus mystérieux.
Notre vie est un magnifique chant d’amour, mais aussi un chant d’adieu, qui restera dans nos mémoires.
* Germain Clavien, Notre vie, poèmes, Poche Suisse, L’Âge d’Homme, 2010.
C'est au sud de la Crète, dans le petit village de Paleochora, pendant les vacances scolaires, que j'ai lu le dernier roman d'Alain Bagnoud, Le Blues des vocations éphémères*. Peu de montagnes, autour de moi, pas d'université non plus. Beaucoup de vignes, par contre. Et le murmure de la mer, toujours recommencée…
Dogane, parlons-en. Ce beau garçon aux boucles noires lui avoue un jour qu'il « sort du lit d'un homme. » Le narrateur est moins choqué par cette nouvelle (qui l'ébranle tout de même) que par sson propre aveuglement. Comment n'a-t-il pas compris plus tôt la nature secrète de son ami, pourtant intime ? Cette révélation, qui touche au cœur de l'amitié, va en entraîner d'autres, tout au long d'un roman qui se lit d'une traite. Les atermoiements du narrateur, souvent décrits avec humour, voire ironie, se poursuivent lorsqu'il revient chez lui, dans son village natal. Mais ce chez-soi lui paraît à présent étranger. Il peine à retrouver sa place dans ce monde familial et familier. Certes, il retrouve le langage direct de ses amis, mais ce langage semble parasité par ce qu'il a appris en ville. Quelle langue est donc la sienne ? L'ancienne langue « naturelle » du village ? Ou la nouvelle langue des études ? Là aussi, le narrateur chante le blues. Mais ce n'est pas un blues triste. C'est le blues des vocations fragiles. Du déracinement et de la trahison (le narrateur apprend, comme Annie Ernaux, que pour devenir soi-même, en particulier par ses études, il faut nécessairement trahir les siens). Le blues de la vie qui vous entraîne dans son torrent…