Jeudi matin, ma mère se plaint d'une douleur dans le bras gauche, puis dans la poitrine. Elle a 84 ans. Elle vient de se faire opérer de l'appendicite une semaine plus tôt (!). Et, faute de lits disponibles, elle a été mise à la porte de l'hôpital la veille. Or donc, elle téléphone à son médecin. Lequel est en vacances, comme le repète son répondeur automatique. Elle appelle le remplaçant de son médecin, qui ne peut lui répondre. Alors la secrétaire de celui-ci, en désespoir de cause, conseille d'appeler le 144. Cinq minutes plus tard, brane-bas de combat. Trois malabars débarquent, toute sirène hurlante, dans l'appartement de ma mère avec leur matériel hightech. Electrocardiogramme, prise de sang (ratée trois fois), tension, etc. Rien à dire sur la rapidité, ni l'efficacité des secours. Pour être malabars, ils n'en sont pas moins sympathiques et très humains. Mais personne ne veut se risquer à faire un diagnostic. Il faut faire une radio. Autrement dit, aller à l'hôpital. Re-sirène hurlante. Ma mère, dont la douleur à la poitrine a disparu comme par miracle, est emmenée sur un brancard, devant ses voisins affolés.
Alors commence le vrai calvaire. Ma mère arrive aux urgences du HUG à 12h30. Elle est immédiatement prise en charge par deux infirmières qui essaient de la rassurer. Une heure se passe. Puis une autre. Une infirmière installe un appareil sophistiqué qui mesure le pouls, la pression et sans doute mille autres choses. Trois heures plus tard, une autre infirmière vient lui dire qu'un médecin va passer. Malgré ma présence, ma mère est dans un état de stress indescriptible. Dans les cellules voisines, on entend un dealer insulter les infirmières, puis se battre avec elles. L'une d'elles aura besoin d'une poche de glace sur le front pour soulager sa douleur d'avoir été frappée à coups de poing. Il est bientôt 17 heures : le médecin passe, jette un œil rapide (je ne dis pas distrait) sur les feuilles d'examens. À ma mère qui lui demande ce qu'elle a, il répond qu'il ne peut rien lui dire. Il faut faire une radio. Allez hop, on emmène la patiente à l'autre bout de l'hôpital. Elle en revient deux heures plus tard. Une nouvelle infirmière lui promet qu'un médecin va passer très bientôt. Il va être 19 heures. La même infirmière me fait rermarquer que la cafétéria ferme dans une demi-heure, et qu'il faut que je me dépêche si je veux grignoter quelque chose. Quant à ma mère, elle n'a rien mangé depuis ce matin, et n'a rien le droit d'avaler. Véto du médecin. Enfin, vers 21 heures, un médecin passe la voir, un autre encore, pour lui dire que les résultats de la radio ne sont pas clairs et qu'il faut faire un scanner. Très bien, dit ma mèrer. Et ce sera pour quand ? Pas avant 3 heures du matin, dit l'homme en blanc sans rigoler. Nous sommes surchargés. Une autre attente commence donc. Interdiction de boire ou de manger, et d'aller aux toilettes. Finalement, ma mère part vers la scanner à 4 heures du matin. Sans avoir fermé l'œil de la nuit. En me faisant comprendre que l'au-revoir que je lui lance risque d'être un adieu définitif…
L'histoire se termine bien : vers 9 heures le lendemain, une infirmière m'appelle pour me dire que ma mère m'attend. Elle est prête à partir. Elle n'a pas dormi depuis presque 24 heures. À 84 ans, ces choses-là ne comptent pas, n'est-ce pas ! Heureusement (?), l'examen au scanner n'a rien donné. Pas d'embolie, ni de méchant caillot de sang, aucune tache suspecte, rien de rien.
« Sors-moi d'ici ! » me dit-elle d'une voix suppliante, presque éteinte. « Je veux rentrer chez moi »