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Blind date (7)

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« Bonjour, dit l’homme en se levant et en lui tendant la main.

Bonjour, dit Adèle.

— Je vous en prie, asseyez-vous. Vous buvez quelque chose ?

Un café, dit Adèle.

— Très bien, dit l’homme en appelant la serveuse. Deux cafés, s’il vous plaît. »

Long silence.

Comment sortir du mensonge virtuel ? Entrer enfin dans la vraie vie ?

La serveuse apporte deux expressos au goût corsé et généreux.

« Vous habitez Vevey ? demande l’homme, embarrassé.

Oui, répond Adèle. Pourquoi ?

Je suis sûr que nous nous sommes déjà rencontrés.

Ça m’étonnerait ».

L’homme la regarde en souriant.

« Je crois même que nous nous sommes rencontrés plusieurs fois… »

Elle fixe l’homme au veston noir assis en face d’elle. Il boit une gorgée de café, repose sa tasse, la regarde à nouveau.

« Vous devez faire erreur, dit-elle. Me prendre pour une autre… »

À son tour, Adèle est mal à l’aise.

Elle regarde à travers la vitre.

Une pluie fine tombe dans la rue. Les passants pressent le pas. Une dame court après son chien.

« J’étais un ami de Philippe… » dit l’homme après un silence.

Comme un sésame, ce nom résonne dans la tête d’Adèle, emportant tout sur son passage.

Des larmes montent dans ses yeux. Elle fixe l’homme avec méfiance.

« C’est impossible, dit-elle.

Pourquoi ?

Il est mort il y a onze ans.

— Je sais. En 1998. Nous avons travaillé plusieurs années ensemble…

Philippe ne m’a jamais parlé de vous, dit-elle, gênée.

— Cela ne m’étonne pas, dit l’homme. D’habitude, je laisse peu de souvenirs… »

Adèle est intriguée.

« Et puis, nous nous sommes rencontrés à Avignon…

Pendant le Festival ?

Oui. Sur la place de l’Horloge.

Ce n’est pas très original…

— Non. Mais c’est la vérité. Nous avons bu un verre à la Civette…

Je ne me souviens pas.

Ce jour-là, vous portiez une robe rouge…

C’est possible.

Des sandalettes de cuir…

Quelle mémoire !

Et Philippe portait un magnifique panama blanc. »

Soudain, fermant les yeux, elle est sur la place de l'Horloge dans la torpeur du mois de juillet. Ils sont assis à une petite table ronde jonchée de flyers. Quand Philippe déplie le journal qu'il porte sous le bras, il pousse un cri. Léo Ferré vient de mourir, la veille, dans sa maison de Toscane. Elle est touchée par la nouvelle. Elle aimait bien le cirque du vieux Léo. Ses grimaces de singe. Sa voix. Ses cheveux fins couleur de neige. Mais c’est Philippe surtout qui est bouleversé. La mort est attendue, dit-il alors, on l’attend toute sa vie, mais elle frappe toujours dans le dos. C'est une garce qui vous prend par surprise. Des larmes coulent sur son visage et sur ses lèvres des bribes de chansons. Cette blessure. La mémoire et la mer. Jolie môme. Fredonner une chanson c'est réciter une prière, dit-il encore. Texte et musique à jamais confondus. Masculin féminin. C'est réciter le testament d'un homme qui n'est plus là pour le chanter lui-même…

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