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Blind date (8)

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Comme autrefois sur la place de l’Horloge, un homme lui prend la main.

Mais ce n’est pas Philippe.

« Ça va, Adèle ? demande-t-il d’une voix inquiète. Vous êtes toute pâle…

Ce n’est rien. J’ai repensé à Philippe et…

Il est toujours là ?

Oui. Comme un ange gardien. »

Elle finit sa tasse de Maestro Lorenzo.

Nouvel assaut de souvenirs.

Main dans la main, ils traversent la touffeur des hangars où une troupe de fous joue Molière par 45° à l’ombre. Elle revoit les petits-déjeuners qui se prolongent jusqu’à l’heure du pastis. Les rues bruyantes et folles pleines de cracheurs de feu. De fausses chiromanciennes. De vrais pickpockets…

Adèle ne retire pas sa main.

« Vous reprenez quelque chose ? demande une voix inconnue. Un autre expresso ?

— Volontiers. »

Adèle ouvre les yeux. Elle scrute avec intensité le visage de l’homme assis en face d’elle.

« C’est là que nous nous sommes croisés ?

— Oui, dit-il. Ce jour-là. À cette petite table ronde couverte de prospectus…

— Je ne me souviens pas.

— La première fois ne compte pas…

— Et que s’est-il passé ?

— Nous avons bu un verre de Baumes. À la santé du vieux Léo ! Et nous avons beaucoup parlé. Philippe était intarissable. Il semblait heureux de me voir… »

Elle fouille dans sa mémoire. À la recherche d’une voix ou d’une image. Elle boit une gorgée de ce café magique.

« Vous m’avez plue tout de suite.

Pourquoi n’avez-vous pas cherché à me revoir ?

— Philippe est mort à la fin de l’été. Je vous ai revue dans la petite église…

— Vous étiez là ?

— Bien sûr. J’ai serré votre main. Mais vous ne m’avez pas reconnu… »

L’homme respire bruyamment, en proie à l’émotion.

« Peu de temps après, j’ai quitté le journal. Comme la moitié de la rédaction, d’ailleurs.

Pourquoi ?

Le journal a été racheté par notre concurrent.

Le gros ogre lausannois ?

Oui.

Je me souviens.

Impossible de travailler avec la nouvelle équipe…

Philippe serait parti aussi…

Certainement.

Ensuite ?

J’ai perdu votre trace. »

Par vagues, des souvenirs remontent à la surface. L’été à Avignon. Les petits-déjeuners sur la place de l’Horloge. Philippe riant sous son panama blanc. Une ombre traverse la place. Adèle ne voit pas son visage. Mais elle entend sa voix. Une voix douce et profonde. La voix de l’homme assis en face d’elle.

« Et puis j’ai eu beaucoup de chance, dit l’homme.

Pourquoi ?

Je vous ai retrouvée sur le Net.

Vous m’avez reconnue ?

Tout de suite. »

Quand elle est entrée au café King’s, tout à l’heure, et qu’elle l’a vu, assis seul à sa table, Adèle a su immédiatement que c’était impossible.

Simple erreur de casting.

Mais maintenant elle lui sourit.

« On aime au premier regard, dit l’homme. Mais ce premier regard est aveuglé. Il vous échappe. Comme il échappe, souvent, à la femme qu’on regarde…

— Ce qu’on sait de soi-même ne se voit pas, dit-elle. Comme une photographie qui n’arrive pas à la lumière… »

Dans la rue, la pluie a cessé de tomber.

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