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Ecrivain de la comédie romande - Page 292

  • Ma fille a fait sa batmitsva

    Je ne sais pas comment ça s'est passé pour vous, mais moi, quand ma fille m'a annoncé qu'elle voulait suivre des cours d'histoire religieuse, je me suis posé des questions.

    C'est vrai : pourquoi des cours de religion?

    Et surtout avec qui ?

    Quand elle m'a dit qu'elle suivrait les cours du rabbin Garaï avec son grand ami Samuel, cela ne m'a rassuré qu'à moitié…

    Mais, au fil des semaines et des mois, je me suis aperçu que ces cours la passionnaient. Au point d'apprendre à psalmodier pendant des heures des textes imprononçables dans une langue sémitique qui — allez savoir pourquoi ? — fait l'économie de toute voyelle.

    Bref, comme toujours, j'ai dit oui. En me demandant, pourtant, où tout cela allait me mener. Et surtout combien tout cela allait me coûter…

    Je ne sais pas comment c'est pour vous, mais pour moi ce n'est pas tous les jours que ma fille m'annonce avec un regard de défi qu'elle veut faire sa batmitsva!

    Qu'est-ce que c'est que ça, une batmitsva ?

    Un opéra-rock? Une pâtisserie orientale ? Une espèce de surprise-partie? Un vaccin contre le tétanos ou la scarlatine?

    Quelle mouche l'a donc piquée?

    « Mais non papa! Assieds-toi, je vais t'expliquer… »

    Je me suis donc assis sur une chaise et ma fille m'a expliqué…

    « C'est un rite de passage, papa! Cela marque le fait que je suis une adulte maintenant. »

    Aïe! Vous imaginez que cela ne m'a pas rassuré…

    Que la petite fille que vous avez nourrie au lait vitaminé six fois par jour et aux œufs Kinder pendant des années vous dise un jour : « Je suis une adulte maintenant. » — cela vous fait comme une boule dans la gorge. Car, quoi qu'on dise, et bien qu'on s'y prépare très longtemps à l'avance, on ne s'attend jamais à ce genre de déclaration.

    Pas si tôt. Pas maintenant.

    Alors j'ai acquiescé encore une fois.

    Reste une question qui n'est pas simple, vous me l'accorderez : la question de Dieu.

    Je vous épargnerai l'Ancien et le Nouveau Testament, la Torah, le Coran et l'épopée de Gilgamesh — non que je n'aie rien à dire sur le sujet (vous imaginez bien), mais nous manquons de temps, et il y a encore vingt discours après le mien. Je passerai également comme chat sur braise sur l'épopée tragique du Ramayana et les 26 volumes de Mahabarata (intéressants, surtout vers la fin). Mais c'est quand même une question importante que la question de Dieu. Une question qui a rempli des millions de volumes et qui — entre parenthèses — n'a jamais trouvé de réponse…

    Bref, tandis que nous étions vautrés, ma fille et moi, sur le canapé du salon en train de regarder à la télévision un épisode de la série Nip Tuck, pendant que le beau Docteur Troy s'apprêtait à donner une leçon de physique expérimentale à l'une des ses patientes, une nouvelle question — une nouvelle épouvante —m'a torturé l'esprit.

    Je vous la livre comme elle m'est venue : ma fille est-elle en train de devenir mystique?

    Qu'elle ait envie de virer sa cutie, c'est toujours douloureux pour un père, mais enfin il n'y a rien de plus normal. Mais qu'elle devienne mystique, pratiquement du jour au lendemain, sans même l'intervention du Saint Esprit, ça vous en bouche un coin.

    C'est vrai quoi : pourquoi, pendant des années, l'avoir élevée aux grands philosophes matérialistes? Pourquoi lui avoir fait lire toute l'œuvre de Voltaire et Brazelton à 5 ans? Pourquoi lui avoir lu les pensées de Cioran tous les soirs avant de s'endormir? Pourquoi l'avoir baignée toute petite dans Nietzsche, Schopenhauer, Foucault, Freud?

    Vous voyez le résultat!

    Un jour, heureusement, une étincelle m'a traversé l'esprit.

    Qu'est-ce que le mysticisme ? me suis-je demandé.

    J'ai ouvert ma Bible à moi — c'est-à-dire les œuvres complètes de Marx et Engels, Deleuze, Derrida. Et j'ai trouvé la réponse…

    Oui, qu'est-ce vraiment que le mysticisme?

    N'est-ce pas, au fond, l'idéalisation du Père?

    Et le père, dans toute cette histoire, est-ce que ça ne serait pas moi?

    Je connais d'autres pères, dans les mêmes circonstances, qui auraient été rassurés d'arriver à pareille conclusion.

    Moi pas.

    Parce qu'aujourd'hui je me demande ce que ma fille — à peine 17 ans, même pas majeure, bien que batmitsvée — va encore m'annoncer.

    Je suis prêt à tout entendre et à tout endurer.

    Il y a longtemps que j'ai pris le parti de la suivre, d'acquiescer, d'apprendre d'elle ce que je n'aurais jamais appris si elle n'avait pas été là.

    Car c'est une erreur trop commune de croire que ce sont les parents qui tracent la voie à leurs enfants. C'est une erreur de croire que ce sont eux, les parents, qui disent à leurs enfants ce qu'ils doivent faire ou penser, s'ils doivent voter rose, rouge, vert ou brun, s'ils doivent pratiquer la natation ou le lancer de nains.

    En vérité, c'est tout le contraire qui se produit : ce sont nos enfants qui nous guident, qui nous gardent, qui nous bousculent, qui ouvrent nos esprits à l'air du large, qui agrandissent nos émotions, qui nous emmènent parfois dans des endroits inaccessibles où nous ne serions jamais allés sans eux.

    Voilà pourquoi, au fond, je suis content et fier d'avoir une fille batmitsvée.

    Alors, comme on dit chez nous, mazeltof!

    Bon vent et bonne chance à tous les deux!

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  • Il faut sauver le soldat Poitry

    Une question lancinante tarraude les esprits suisses-romands. Ce ne sont pas les énièmes menaces de l'Empereur Constantin (par ailleurs président du FC Sion) de licencier toute son équipe de bras cassés. Ce ne sont pas non plus les odieux marchandages, sous l'égide ricanante de George Bush, des présidents israélien et palestinien quelque part au fin fond de l'Amérique invisible. Non. C'est beaucoup plus grave que ça. Beaucoup plus proche de nous aussi.

    La charmante ville de Nyon — qui est la plus belle de tout l'arc lémanique, et celle où je suis né — risque de perdre sa tête. C'est-à-dire son syndic (traduction genevoise : son maire).

    Ne riez pas! L'affaire est trop sérieuse. Il y va de l'honneur de toute une région — et peut-être même de l'honneur national. La situation est cornélienne : parce qu'il a déménage en mai dernier dans une villa construite à un jet de pierre de Nyon — mais sur la commune de Prangins — le brave syndic Astérix Poitry, à la tête de la ville depuis six ans, devra abandonner son poste. L'ordre est venu d'en-haut : c'est-à-dire du Grand Château de Lausanne (traduction : des Romains).

    Astérix contre les Vaudois

    Que faire alors? Obéir aux tyrans lausannois ou faire cessession ? Rayer Astérix Poitry du rôle électoral ou renvoyer la patate chaude aux Conseil d'État? Les Nyonnais sont bien embêtés. On le serait à moins. L'honneur commande pourtant de se battre jusqu'au bout. Il faut sauver le soldat Poitry. Quitte à se mettre tout le monde sur le dos. Une solution serait d'annexer la parcelle sur laquelle le syndic a construit sa villa — et, dans la foulée, d'annexer Prangins (qui, de toute manière, n'existe pas). Une autre serait de déplacer l'étude d'avocat du syndic Poitry dans sa villa et, inversement, d'installer sa villa dans son étude d'avocat. Une troisième solution serait de demander l'asile politique à Genève (qui occupe déjà, de facto, l'essentiel de la région nyonnaise).

    Quelle quelle que soit la solution choisie, le maître-mot est : résister. C'est uniquement en résistant tous ensemble contre le tyran que nous pourrons sauver le brave syndic Poitry.

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  • Parlez-moi d'amour

    Restons encore un peu avec Maurice Béjart. Regardez bien cette photo, là. Elle date de 1953. On y découvre deux danseurs portés par la grâce et, sans doute, l'amour. Il s'appelle Maurice Béjart. Elle s'appelle Asa Lanova. Ça vous rappelle quelque chose? Lui incarne Hamlet. Elle se glisse dans la peau d'Ophélie. C'est un sublime pas de deux, immortalisé par la photographie. L'art n'est rien sans la grâce de l'amour. Béjart est toujours parmi nous. Quant à Asa Lanova — il serait temps que cela se sache ! —, elle écrit des livres magnifiques. Revenons un peu en arrière…

    asa lanova et maurice béjart (1953) Asa Lanova et Maurice Béjart, dans le pas de deux de Hamlet et Ophélie (1953) 

    Sous le beau titre de La Gazelle tartare (publié il y a quelques années par Bernard Campiche), Asa Lanova explore son passé. Délaissant le roman, la narratrice s’aventure dans le labyrinthe des souvenirs et des songes. Elle qui se croyait insensible et stérile retombe sous le charme de « Satan » qui a illuminé et terrifié son adolescence. « Tout me revenait en mémoire, tel un ruban de feu qui se déroulait impitoyablement devant moi: mes fuites restées inexplicables, Deauville et son théâtre, Monte Carlo et ses palmiers léthéens, mon impuissance à vivre depuis l’enfance, et surtout, l’amour perdu, et, sans doute, renoué dans ma seule imagination. » Ce retour au passé – à la lumière noire de l’amour – va ramener la narratrice vers le jardin de son enfance, source inépuisable d’émerveillement. Jardin rêvé des étreintes amoureuses (mais ont-elles vraiment eu lieu?) et terre de la dernière demeure. C’est sur cette image, à la fois nostalgique et rassurante, que s’achève le beau récit d’Asa Lanova, qui tient de l'exorcisme et de la célébration mystique. Une réussite.

    Il faut relire ce livre étonnant, dense, magique, qui ressuscite la figure d'un Satan qui ressemble beaucoup à Maurice Béjart. Il parle d'amour impossible. Il parle d'elle et de lui. Il parle surtout de nous. Il faut le lire de toute urgence.

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