Restons encore un peu avec Maurice Béjart. Regardez bien cette photo, là. Elle date de 1953. On y découvre deux danseurs portés par la grâce et, sans doute, l'amour. Il s'appelle Maurice Béjart. Elle s'appelle Asa Lanova. Ça vous rappelle quelque chose? Lui incarne Hamlet. Elle se glisse dans la peau d'Ophélie. C'est un sublime pas de deux, immortalisé par la photographie. L'art n'est rien sans la grâce de l'amour. Béjart est toujours parmi nous. Quant à Asa Lanova — il serait temps que cela se sache ! —, elle écrit des livres magnifiques. Revenons un peu en arrière…
Asa Lanova et Maurice Béjart, dans le pas de deux de Hamlet et Ophélie (1953)
Sous le beau titre de La Gazelle tartare (publié il y a quelques années par Bernard Campiche), Asa Lanova explore son passé. Délaissant le roman, la narratrice s’aventure dans le labyrinthe des souvenirs et des songes. Elle qui se croyait insensible et stérile retombe sous le charme de « Satan » qui a illuminé et terrifié son adolescence. « Tout me revenait en mémoire, tel un ruban de feu qui se déroulait impitoyablement devant moi: mes fuites restées inexplicables, Deauville et son théâtre, Monte Carlo et ses palmiers léthéens, mon impuissance à vivre depuis l’enfance, et surtout, l’amour perdu, et, sans doute, renoué dans ma seule imagination. » Ce retour au passé – à la lumière noire de l’amour – va ramener la narratrice vers le jardin de son enfance, source inépuisable d’émerveillement. Jardin rêvé des étreintes amoureuses (mais ont-elles vraiment eu lieu?) et terre de la dernière demeure. C’est sur cette image, à la fois nostalgique et rassurante, que s’achève le beau récit d’Asa Lanova, qui tient de l'exorcisme et de la célébration mystique. Une réussite.
Il faut relire ce livre étonnant, dense, magique, qui ressuscite la figure d'un Satan qui ressemble beaucoup à Maurice Béjart. Il parle d'amour impossible. Il parle d'elle et de lui. Il parle surtout de nous. Il faut le lire de toute urgence.