Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ecrivain de la comédie romande - Page 276

  • Deux talents prometteurs

    332484118.jpgRetenez bien ces noms : Nadia Coquoz et Michaël Perruchoud. Si le second n’est pas un inconnu (il a publié plusieurs romans à l’Âge d’Homme et dirige les éditions Cousumouche), son dernier livre, La pute et l’insomniaque*, est à recommander à tous les amateurs de littérature forte et originale. Scandé par des chansons des années 80 (Capdevielle, Bashung, Manset, etc.), ce roman déjanté nous entraîne dans les bars surchauffés où règnent les filles de l’Est, l’argent facile, l’humiliation quotidienne. Comme son titre l’indique, c’est aussi le roman de la nuit, des errances sans fin, du sommeil qu’on repousse ou qui ne vient jamais. Le roman des rêves éveillés. Écrit dans une langue à la fois souple et musclée, La pute et l’insomniaque révèle un univers personnel, frénétique, bariolé, qui s’élargit de livre en livre. Nul doute que Michaël Perruchoud (né en 1974 à Genève) fasse partie des talents les plus prometteurs de notre littérature.
    Avec Nadia Coquoz (née en 1977 à Vevey), nous abordons d’autres rivages. Les démons du hasard** est un premier livre. Avec quelques faiblesses, peut-être,  mais surtout d’indéniables qualités d’écriture. Fragiles, authentiques, les personnages de Nadia Coquoz sont pétris d’incertitude. Ils mènent tous leur vie sur le fil du rasoir, se croisent sans se rencontrer ou se reconnaître, cherchent à vivre leurs rêves sans en avoir toujours le courage. Chacun en quête de sa propre liberté ; chacun explorant ses limites. La voix de Nadia Coquoz frappe d’abord par sa sincérité, mais aussi par sa lucidité. C’est une voix qui ne triche pas. Un talent à suivre.
     *La pute et l’insomniaque  de Michaël Perruchoud, roman, L’Âge d’Homme, 2008.
    **Les démons du hasard de Nadia Coquoz, roman, l’Âge d’Homme, 2008.

  • Les années Ernaux

    435850668.jpgÀ l’origine du dernier livre d’Annie Ernaux (née en 1942 en Normandie), Les années*, il y a des photos et des souvenirs. C’est-à-dire, comme toujours, le désir d’élucider un passé personnel et obscur afin d’en exprimer l’essentiel scandale. On se souvient de ses extraordinaires livres précédents (Une femme, La Place, La honte, La femme gelée, Une passion) : chacun cherchait une vérité au fil du rasoir, sans masque ni concession. Comme si la vie de l’auteur, à chaque fois, en dépendait. Ce qui explique, sans doute, la réussite et le succès de cette écriture à fleur de peau et de plaie.
    Dans Les années, pourtant, Annie Ernaux tente autre chose. Il ne s’agit plus de remuer le couteau dans sa propre chair, afin de sonder la vie de ses parents, la folie d’une passion amoureuse ou encore la maladie de sa mère. Non. Ici, l’auteur revisite, à sa façon, toutes les années d’après-guerre, en s’aidant de photographies et de souvenirs personnels, mais aussi en interrogeant l’Histoire qui, toujours, nous aveugle et nous porte. « Les garçons et les filles étaient partout séparés. Les garçons, êtres bruyants, sans larmes, toujours prêts à lancer quelque chose, cailloux, marrons, pétards, boules de neige dure, disaient des gros mots, lisaient Tarzan et Bibi Fricotin. Les filles, qui en avaient peur, étaient enjointes de ne pas les imiter, de préférer les jeux calmes, la ronde, la marelle, la bague d’or. »
    Loin d’être neutre et ennuyeuse, cette plongée dans l’histoire commune du XXe est passionnante. Annie Ernaux, au prix d’un travail impressionnant de documentation et de remémoration, restitue avec saveur les idées et les modes, les manies et les travers d’une époque qui n’est pas si lointaine. Son récit, qui ressemble à une enquête sociologique, souligne les fractures sociales, les ruptures idéologiques : en un mot, la folie de l’Histoire. Pourquoi, par exemple, dans les années 70, la profusion des choses cachait la rareté des idées et l’usure des croyances. Et pourquoi, à cette époque, les professeurs utilisaient le Lagarde et Michard de leur jeunesse, comme leurs propres professeurs l’avaient fait avant eux. Pourquoi on interdisait le film de Rivette, La Religieuse, comme les ouvrages érotiques ou certaines émissions de télévision…
    Au fil des pages, s’affirme aussi une vocation d’écrivain. Celle qui est prise dans le flux et le reflux de l’Histoire (celle des hommes et la sienne propre) se raconte d’abord à la troisième personne, avant de trouver le je qui fera la singularité absolue de son écriture. «  Ce qu’elle prend pour de vraies pensées lui vient quand elle est seule ou en promenant l’enfant. Les vraies pensées ne sont pas pour elle des réflexions sur les façons de parler ou de s’habiller des gens, la hauteur des trottoirs pour la poussette, l’interdiction des Paravents de Jean Genet et la guerre du Vietnam, mais des questions sur elle-même, l’être et l’avoir, l’existence. C’est l’approfondissement de sensations fugitives, impossibles à communiquer aux autres, tout ce que, si elle avait le temps d’écrire — elle n’a même plus celui de lire —, serait la matière de son livre. »
    On l’aura compris : Annie Ernaux invente dans ce livre un nouveau type d’écriture : ni essai, ni confession, ni roman traditionnel. Il s’agirait plutôt d’une autobiographie collective, une écriture qui raconte à la fois l’histoire de tous et l’itinéraire de chacun. Car ce n’est pas le moindre des paradoxes : plus elle s’attache aux grands mouvements de l’Histoire (nécessairement impersonnelle), plus Annie Ernaux touche l’intime en chacun d’entre nous. C’est le grand tour de force des Années.
    Annie Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008. 

  • Du Cannes, pur sucre!

    Depuis dix ans, le Festival de Cannes, autrefois haut lieu du cinéma, ressemble de plus en plus à « Visions du réel »! Ce ne sont plus les grands films mythiques qui sont primés, mais des œuvres à mi-chemin entre le reality-show et le documentaire. On pense ici aux films des frères Dardenne, monuments de malhonnêteté misérabiliste, ou au film primé cette année, « Entre les murs » du Français Laurent Cantet, qui met en scène des élèves du lycée jouant leur propre rôle, comme leur professeur de français. Dans un cas comme dans l'autre, c'est le triomphe du politiquement correct…
    Alors, si vous allez au cinéma, ne ratez surtout pas un autre film français (eh oui, il y a de bons films français!), sélectionné lui aussi à Cannes, mais qui n'a eu, grâce à Catherine Deneuve, qu'une récompense subsidiaire. C'est le dernier film d'Arnaud Desplechin, intitulé « Un Conte de Noël ». On ne raconte pas un film de Desplechin, qui met en pratique les fameuses règles du théâtre de situation de Sartre. Qu'est-ce qu'un film? Des acteurs, un texte, des situations. « Un conte de Noël » met en scène une famille déchirée, déchirante, qui se retrouve, pour une fois au complet, dans la maison paternelle, pour un réveillon pas comme les autres. Toute cette famille porte en secret le deuil d'un petit frère mort, et l'angoisse d'une mère qui vient d'apprendre qu'elle souffre du même mal que son fils. La mère est l'admirable Catherine Deneuve. Les fils sont l'excellent Melvil Poupaud et le génial Mathieu Amalric (sans doute le meilleur comédien français actuel). Anne Consigny, qui joue la sœur des deux précédents (on pense, ici, à Marie Desplechin, la romancière, sœur d'Arnaud), Jean-Paul Roussillon, le père aimant et débonnaire, et Chiara Mastroianni, qui trouve ici son premier rôle important, sont magnifiques, eux aussi, de justesse et de générosité.
    Tout le film tourne autour de ça: les liens du sang, le mal et la maladie, le bon sang et le mauvais sang. Servi par des dialogues à couper le souffle et une direction d'acteurs magnifique, « Un conte de Noël » vous empoigne à la gorge et ne vous lâche plus jusqu'à la dernière image — et même au-delà, car on en rêve la nuit! 
    Alors oubliez Indiana Jones ou les palmes périssables de Cannes, et allez voir « Un Conte de Noël », un très grand film.
    *À Genève, au cinéma Scala. 

    Lien permanent Catégories : badinage