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Ecrivain de la comédie romande - Page 118

  • Les livres de l'été (9) : Toutes les fois où je suis morte, de Marie-Christine Buffat

    buffat, xenia, mort, humourIl y a de la verve et de la morgue dans les nouvelles de Marie-Christine Buffat (née en 1973 à Fribourg), à qui l’on doit, déjà, trois livres : La Piqûre, School underworld et les ondes maléfiques et La Toupie. De la verve, tout d’abord, parce que les treize nouvelles qui composent ce livre*, bien qu’elles traitent de la mort, éclatent de vitalité, et que l’auteur, qui ne le cache pas, prend un plaisir pervers à raconter ces tranches de vie extrême, en proie à l’émotion, à la détresse, aux sentiments inattendus. De la morgue, aussi, il y en a beaucoup, dans ces portraits de femmes qui cherchent à être enfin elles-mêmes, libérées des clichés et des conventions que leur impose une société éprise de faux-semblants. Et cette morgue, ultime provocation dans ces petites morts quotidiennes, éclate comme un rire tantôt désespéré, tantôt libérateur.

    De la première mort (celle de l’enfance) à la perte de la virginité (scène cocasse où la narratrice essaie d’entrer dans la danse, sans y parvenir vraiment), de l’humiliation à l’ennui, du chagrin à l’impatience, Marie-Christine Buffat joue sur plusieurs registres en se glissant dans la peau de treize femmes différentes. buffat, xenia, mort, humourOn a le cœur noué, l’angoisse au bout des lèvres et l’on rit de ces tranches de vie déchaînées qui chaque fois nous plongent au fond d’une passion ordinaire et mortelle. Le ton est alerte ; la voix de chacune de ces femmes, singulière et reconnaissable. C’est une manière de tour de force que de montrer ainsi les fêlures de l’être humain, de creuser et de disséquer, sans jamais tomber dans le sordide ou le gratuit.

    Bien sûr, comme le suggère la couverture du livre, la mort n’est jamais loin. Elle rôde comme une menace. Elle est aveugle et scandaleuse. Elle fauche les enfants, comme les chats et les âmes innocentes. Dans ses nouvelles, Marie-Christine Buffat la nargue et la tient à distance : l’étroite distance de l’écriture. C’est pourquoi cette mort n’est pas définitive. Les héroïnes du livre — blessées, humiliées, outragées — peuvent s’en remettre. Une forme de résilience les pousse à se relever, toujours, dans les pires circonstances.

    On meurt tous plusieurs fois. Et chaque jour de notre vie. Mais l’essentiel n’est-il pas, dans ces morts symboliques, de reprendre inlassablement le combat ?

    * Marie-Christine Buffat, Le nombre de fois où je suis morte, nouvelles, Editions Xénia, 2012.

  • Les livres de l'été (8) : À propos des Chefs-d'Œuvres, de Charles Dantzig

    6746f02e-5b30-11e2-a60f-8d85e800a497-493x328.jpgDe tout temps, il y a eu des lecteurs prodigieux. Le plus souvent, il venaient du monde l'Université : Thibaudet, J'ean-Pierre Richard, Jean Starobinski, Michel Butor et tant d'autres. Aujourd'hui, comme on sait, l'Université n'existe plus. Mais les grands lecteurs persistent et signent. Ce sont des journalistes et/ ou des écrivains, comme Jean-Louis Kuffer ou Philippe Sollers. Parfois des éditeurs, comme Charles Dantzig (à droite sur la photo, posant devant l'Olympia de Manet). Ou de simples amateurs.

    Quelles voix s'élèvent, aujourd'hui, pour dire à la fois le plaisir et les questions de la littérature ? Non seulement classique, comme on dit, mais aussi moderne, et même la plus contemporaine ?

    Je ne citerai que trois noms, qui valent tous les critiques universitaires : 3283024.image.jpegJean-Louis Kuffer, critique, écrivain, ancien journaliste de 24Heures, dont le blog (ici) est le journal de bord d'un lecteur au long cours, retraçant l'expérience singulière de la lecture, « cette pratique jalouse » selon Mallarmé, ses doutes et ses réjouissances, ses enthousiasmes et ses questionnements. En second lieu, un écrivain si souvent accusé de faire le paon, Philippe Sollers, qui, si l'on met de côté ses romans plus ou moins expérimentaux (et plus ou moins réussis), demeure un fantastique lecteur, à la curiosité insatiable, qui voyage à travers les siècles et les frontières, capable d'éclairer Hemingway, comme Joyce ou Proust, Lautréamont ou Aragon, Philip Roth comme La Fontaine. Sollers ? Un grand lecteur, passionné, érudit, intraitable. Si vous ne me croyez pas, lisez : La Guerre du goût (Folio), ou encore Éloge de l'Infini (Folio). Ou enfin, Fugues, qui vient de paraître chez Gallimard.

    images-3.jpegVenons-en, maintenant, au troisième cas exemplaire. Un lecteur prodigieux (par son érudition), agaçant (par ses partis-pris), à la fois empathique et critique : Charles Dantzig (né à Tarbes, en 1961). Il n'en est pas à son coup d'essai, puisqu'on lui doit, déjà, un formidable Dictionnaire égoïste de la littérature française (Le Livre de Poche), ainsi que divers opuscules tels que Pourquoi lire ? (Le Livre de Poche) et Encyclopédie capricieuse du tout et du rien (Le LIvre de Poche). Cette année, il publie À propos des chefs-d'œuvre*, une réflexion à la fois personnelle et universelle sur ce qui fait la paricularité des grandes œuvres d'art (Dantzig élargit sa réflexion à la peinture, à la danse, à la musique).

    Qu'est-ce qui fait qu'un livre, ou un tableau, ou une musique, traverse le temps et reste, contre vents et marées, toujours d'actualité ?

    D'abord, un chef-d'œuvre appartient à son temps — mais il traverse aussi les âges. « Les chefs-d'œuvre ne sont pas détachés. Ils émanent de leur lieu, de leur temps, de nous. L'homme est capable de l'exceptionnel, dit le chef-d'œuvre. » Il est fait d'une pâte à la fois humaine et inhumaine. Il marque toujours une rupture (face à la convention, à la médiocrité « qui est toujours la plus nombreuse »). Rétrospectivement, le chef-d'œuvre donne sa couleur à l'époque. « C'est un présent qui donne du talent au passé. » Il ne peut être réaliste, puisqu'il repose sur la transfiguration de la réalité. « Le réalisme, note justement Dantzig, est une forme de paresse. Ceux qui le pratiquent recopient les choses nulles qu'ils ont vues et les sentiments condescendants qu'ils en ont orgueilleusement éprouvés, rien de plus. » « Le chef-d'œuvre est moins là pour donner du sens que pour révéler de la forme. Il est un combat gagné de la forme contre l'informe. » C'est pourquoi le plus beau des chefs-d'œuvre éphémère est un bouquet de fleurs coupées…

    Alors, bien sûr, comme tous les grands lecteurs, Dantzig a ses marottes. images-5.jpegIl n'aime pas Céline, ironise sur la grandiloquence du style de Marguerite Duras, sur l'ennui des films de Benoît Jacquot, tandis qu'il célèbre Proust ou Genet, Valéry et Cocteau, et certains livres du regretté Hervé Guibert. Dans son panthéon figurent quelques curiosités, tels Sur le retour de Rutilius Namatianus (texte latin datant de 420), La brise au clair de lune, de Ming Jiao Zhong Ren (Chine, fin du XIVe siècle), ou encore les œuvres posthumes de Desportes (1611). Mais aussi Mario Paz, Henri Heine, Gore Vidal, Jules Laforgue.

    Dantzig brise une lance, également, contre la république des « professeurs restés élèves ». « Appliqué, citeur, roulant sur des vieux rails, pas rouillés, non, tellement empruntés et depuis toujours qu'ils brillent comme du neuf. En réalité, la littérature, il n'y comprend rien. En Angleterre, il peut s'appeler Georges Steiner, aux États-Unis ça a été Allan Bloom, en France il pourrait être Alain Finkelkraut. (…) Voici un grand secret : en matière de littérature, Barthes et Foucauld, Jakobson et Genette, De Man et Badiou ne sont pas l'essentiel. » On voit ici que Charles Dantzig, comme Brigitte Bardot sur sa Harley, n'a peur de personne…

    Alors, finalement, qu'est-ce qu'un chef-d'œuvre ?

    « Le seul critère irréfutable, c'est celui-ci : le chef-d'œuvre est une œuvre qui nous transforme en chef-d'œuvre. Nous ne sommes plus les mêmes une fois qu'il nous a traversés. Une œuvre de création normale, nous la maîtrisons ; un chef-d'œuvre s'empare de nous pour nous transformer. »

    * Charles Dantzig, À propos des chefs-d'œuvre, Grasset, 2013.

     

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  • Les livres de l'été (7) : Les Modernes catacombes, de Régis Debray

    DownloadedFile.jpegIl y a à boire et à manger dans ces Modernes catacombes*, le dernier livre de Régis Debray, écrivain, essayiste, inventeur de la médiologie, cette science qui étudie les supports de transmission de message (codex, livre imprimé, toute-puissance du Web). L'auteur y ressemble des articles et des discours qu'il a tenus depuis vingt ans à diverses occasions. L'ensemble est donc un peu décousu, et académique. Mais c'est l'occasion, pour Debray, d'exprimer une fois encore ses admirations (Gary, Sartre, Semprun, Gracq) dans des textes d'une beauté pénétrante où il relie telle ou telle œuvre au courant de la grande Histoire en général, et de l'histoire littéraire en particulier.

    Frère d'arme de Che Guevara, longtemps emprisonné en Bolivie, Debray n'a dû son salut qu'à l'intervention obstinée de Jean-Paul Sartre (et de quelques autres). Il reste marqué par l'existentialisme, mais ses amours vont au-delà, comme en deça. Au loin, il y a Chateaubriand, indépassable, qui revient souvent dans ce livre d'hommage à la littérature française. Plus près de nous, André Breton, Malraux, Michel Foucault. Debray paye à chaque fois sa dette. Rappelle ce qu'ils ont apporté à la littérature : non seulement une esthétique nouvelle, mais surtout une éthique. Pour Debray, en effet, il n'y a de bonne littérature que liée au combat pour la liberté. La plupart des auteurs dont il parle ont traversé la guerre. La Grande guerre ou la drôle de guerre. Le sang et les larmes ont nourri leurs ouvrages. De Gaulle en est la figure de proue, auquel Debray voue un culte fidèle.

    Bien sûr, l'Europe ne connaît plus de grandes guerres depuis près de 70 ans. DownloadedFile-1.jpegEt donc, selon Debray, plus de grands écrivains non plus. Sans taureau, ni menace d'être encorné, plus de corrida ! Ce qui donne à la littérature contemporaine des enjeux plus futiles (circonstanciels ou purement esthétiques). Debray regrette presque les guerres d'antan, qui faisaient les héros et les grands écrivains. C'est son côté passéiste. Mais il n'a peut-être pas tort.

    Certains hommages sont remarquables (celui consacré à Marc Fumaroli ou à Albert Londres, par exemple). Les détestations sont moins convaincantqes. En particulier celle qui ouvre le lire, consacrée à Philippe Sollers. Debray reproche au roi Sollers de faire sans cesse le paon, d'occuper les médias pour se faire valoir et de retourner sa veste à la première occasion. images.jpegCe n'est pas faux, bien sûr. Mais Sollers est aussi écrivain (plus de 70 livres!), romancier novateur, essayiste remarquable (plus de 3000 pages d'essais critiques). Voulant moucher Sollers, Debray ne prend même pas la peine de le citer, ce qui est tout de même assez curieux pour un esprit aussi subtil !

    Il n'empêche : on apprend toujours beaucoup en lisant Devray : sur notre époque, sur la littérature, sur les modes et les manies de Paris, sur ce qui reste, encore et toujours, à écrire.