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mort

  • Mort de L'Hebdo : colère et mépris

    images-3.jpegCe qui arrive aujourd'hui à L'Hebdo (une catastrophe) est arrivé déjà à de nombreux journaux romands. Faute d'argent, le quotidien La Suisse a cessé de paraître en 1994. Le prestigieux Journal de Genève, comme son concurrent Le Nouveau Quotidien (lancé par Jacques Pilet pour torpiller le premier) a disparu en 1998 — pour se muer, tant bien que mal, dans le journal Le Temps. images-5.jpegOn se souvient également de l'hebdomadaire dimanche.ch, disparu lui aussi trop tôt. Tous ces journaux (à l'exception du dernier, propriété du groupe Ringier) appartenaient à des patrons romands (Jean-Claude Nicole pour La Suisse ; la famille Lamunière pour Le Nouveau Quotidien).

    images-6.jpegCe qui est différent, aujourd'hui, c'est que tous les journaux et hebdomadaires romands (sauf quelques-uns comme La Liberté ou Le Courrier) sont la propriété de grands groupes zurichois (Tamedia), voire allemands (Ringier appartient à la galaxie Springer). Autrement dit, toute l'information que nous « consommons » chaque jour est tributaire du bon vouloir de quelques décideurs de Zurich ou de Berlin. Cela s'est confirmé lundi avec la mort de L'Hebdo, fleuron de la presse romande, mort décidée depuis le QG Springer à Berlin, et programmée sans doute depuis longtemps. Le prochain sur la liste, semble-t-il, c'est Le Temps, dont les jours sont comptés.

    images-7.jpegComment en est-on arrivé là ? Pourquoi la Suisse romande a-t-elle vendu pareillement son âme (car les journaux sont l'âme d'une région) à des groupes de presse situés à mille lieues de ses préoccupations, et obéissant à la seule loi du profit ? La responsabilité des grands patrons de presse romands est ici engagée. Et quand on voit le résultat — un désastre —, il y a de quoi être en colère…

    images-8.jpegPourquoi personne, en Suisse romande, région apparemment prospère (sic!), ne s'est-il levé pour reprendre le flambeau ? Pourquoi ce silence et cette indifférence embarrassée ? Comment peut-on supporter cette situation d'extrême dépendance face à Zurich ou à Berlin qui gèrent leurs navires, de loin, au gré de leur caprice ? N'est-ce pas le signe — comme le suggère l'écrivain Daniel de Roulet — d'un mépris profond pour la Suisse romande, qui ne sera jamais que la cinquième roue du char ?

    Il est temps, je crois, de se poser ces questions. Et ces questions sont de plus en plus urgentes, si l'on considère les difficultés de la presse aujourd'hui. Car il en va de son avenir. C'est-à-dire du nôtre aussi.

  • Aimons les écrivains vivants !

    Il est de bon ton, sous nos latitudes chrétiennes, de vouer une sainte vénération aux morts. Et surtout aux écrivains morts. Il n’est de bonne plume, profonde et immortelle, semble-t-il, que les écrivains enterrés, il y a un siècle ou deux, et devenus brusquement classiques à leur enterrement.

    images.jpegPrenez Kafka ! Lu et admiré, de son vivant, par un petit cercle d’amis pragois (qui le prenaient, d’ailleurs, pour un auteur comique !), une poignée de romans et nouvelles publiés sans écho, ni renommée, même locale ! Franz Kafka devenu icône de l’écrivain moderne dévoué tragiquement à son œuvre — alors qu’il était un écrivain du dimanche !

    Regardez Proust ! Trop dédaigné de son vivant, cultivant la légende d’un jeune oisif, très snob, intelligent et paresseux, qui soudainement saisi par une illumination, s’est installé à sa table de travail en se disant : « Aujourd’hui, je vais écrire À la recherche du temps perdu… » Proust oublié de son vivant, redécouvert dans les années 50, et devenu, pour les critiques littéraires (qui ne prennent jamais beaucoup de risques), le patron du roman contemporain…

    Et Joyce ! Un premier livre passé inaperçu, une recueil de nouvelles très classiques, puis un grand livre, Ulysse, refusé par toutes les maisons d’édition et publié, en France, par deux libraires un peu folles qui le vendirent à quelques exemplaires. images-1.jpegEnfin, après une mort aussi discrète que fut sa vie, Joyce est redécouvert dans les années 60 et devient le porte-drapeau du roman à la mode de l’époque : le Nouveau Roman…

    Et en Suisse, me direz-vous ?

    Les exemples sont légion. Prenez Ramuz, poursuivant son œuvre dans une semi clandestinité à Pully, après la déroute parisienne. Édité, oublié, puis vénéré au point d’être accueilli dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, noyé sous les notes des cuistres ! Et Nicolas Bouvier, qui édita L’Usage du monde, son premier livre (refusé par une vingtaine de maisons d’édition) à compte d’auteur ! images-3.jpegSuccès d’estime de son vivant et devenu, bien malgré lui, saint patron des écrivains-voyageurs après sa mort…

    Il faut, bien sûr, honorer les défunts. C’est un devoir et un hommage nécessaires. Et une manière, aussi, de réparer une injustice qui leur fut faite quand ils vivaient. Mais il ne faut pas oublier les vivants. Jeunes ou moins jeunes, d’ailleurs. Ceux qui œuvrent dans le noir, qui creusent leur trace discrètement, obstinément, qui cherchent leur chemin dans l’époque aveuglante qui est la nôtre.

    Honorons les morts, certes, mais pas la mort, qui est toujours une défaite.

    Lisons, célébrons, encourageons les écrivains tant qu’ils sont vivants ! Saluons les artistes qui respirent, écrivent, peignent, inventent des mélodies ou des histoires, juste à côté de nous.

    Car ils nous aident à vivre, comme les morts que nous vénérons. Ils élargissent le champ de notre expérience et de nos sens. Ils sont vivants, fragiles et incertains, éphémères, taciturnes parfois, lumineux. Nous avons besoin de leur feu et de leur lumière.

  • Les livres de l'été (9) : Toutes les fois où je suis morte, de Marie-Christine Buffat

    buffat, xenia, mort, humourIl y a de la verve et de la morgue dans les nouvelles de Marie-Christine Buffat (née en 1973 à Fribourg), à qui l’on doit, déjà, trois livres : La Piqûre, School underworld et les ondes maléfiques et La Toupie. De la verve, tout d’abord, parce que les treize nouvelles qui composent ce livre*, bien qu’elles traitent de la mort, éclatent de vitalité, et que l’auteur, qui ne le cache pas, prend un plaisir pervers à raconter ces tranches de vie extrême, en proie à l’émotion, à la détresse, aux sentiments inattendus. De la morgue, aussi, il y en a beaucoup, dans ces portraits de femmes qui cherchent à être enfin elles-mêmes, libérées des clichés et des conventions que leur impose une société éprise de faux-semblants. Et cette morgue, ultime provocation dans ces petites morts quotidiennes, éclate comme un rire tantôt désespéré, tantôt libérateur.

    De la première mort (celle de l’enfance) à la perte de la virginité (scène cocasse où la narratrice essaie d’entrer dans la danse, sans y parvenir vraiment), de l’humiliation à l’ennui, du chagrin à l’impatience, Marie-Christine Buffat joue sur plusieurs registres en se glissant dans la peau de treize femmes différentes. buffat, xenia, mort, humourOn a le cœur noué, l’angoisse au bout des lèvres et l’on rit de ces tranches de vie déchaînées qui chaque fois nous plongent au fond d’une passion ordinaire et mortelle. Le ton est alerte ; la voix de chacune de ces femmes, singulière et reconnaissable. C’est une manière de tour de force que de montrer ainsi les fêlures de l’être humain, de creuser et de disséquer, sans jamais tomber dans le sordide ou le gratuit.

    Bien sûr, comme le suggère la couverture du livre, la mort n’est jamais loin. Elle rôde comme une menace. Elle est aveugle et scandaleuse. Elle fauche les enfants, comme les chats et les âmes innocentes. Dans ses nouvelles, Marie-Christine Buffat la nargue et la tient à distance : l’étroite distance de l’écriture. C’est pourquoi cette mort n’est pas définitive. Les héroïnes du livre — blessées, humiliées, outragées — peuvent s’en remettre. Une forme de résilience les pousse à se relever, toujours, dans les pires circonstances.

    On meurt tous plusieurs fois. Et chaque jour de notre vie. Mais l’essentiel n’est-il pas, dans ces morts symboliques, de reprendre inlassablement le combat ?

    * Marie-Christine Buffat, Le nombre de fois où je suis morte, nouvelles, Editions Xénia, 2012.