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littérature - Page 4

  • Staro, le dernier maître

    images-1.jpegIl y avait beaucoup de monde — et du beau monde ! — mercredi dernier, au Victoria Hall, pour la remise du Prix de la Fondation pour Genève à Jean Starobinski. L'académicien français Pierre Nora nous a rappelé, en grandes lignes, la carrière de celui que tous les étudiants genevois appellent familèrement (et affectueusement) Staro. Licence de Lettres, puis doctorat de médecine, puis doctorat de Lettres. Sans oublier le diplôme de piano… Difficile, pour un seul homme, de faire plus, et mieux ! Remi Pagani a eu raison de rappeler la méfiance des autorités genevoises de l'époque (1913) face au père Starobinski, émigré polonais venu trouver refuge en Suisse, que l'on mettra cinq ans sous surveillance policière et qui, ultime affront, devra attendre 30 ans pour se voir accorder la nationalité suisse.

    Mais le meilleur moment de la soirée, ce fut, bien entendu, le discours de Staro lui-même. Diction inimitable, élégance du style, propos mêlant à la fois saveur et savoir. J'ai repensé en l'écoutant (comme tous ceux qui furent ses étudiants) aux cours de littérature et d'histoire des idées qu'il a donnés à l'Université de Genève pendant près d'un demi-siècle. Il y a un style Staro : clair, érudit sans ostentation, intelligent. En un mot : musical. Dans son discours, Staro a rendu hommage à ses maîtres Marcel Reymond, Albert Béguin, Jean Rousset. En l'écoutant, je me suis aperçu qu'il était sans doute le dernier maître, et que j'avais eu bien de la chance à l'avoir rencontré et suivi.

    En effet, qui peut citer, aujourd'hui, un seul nom de professeur de Français à l'Université de Genève ? Personne. Après une génération exceptionnelle de professeurs qui étaient des maîtres (Butor, Rousset, Steiner, l'extraordinaire Roger Dragonetti), le désert a lentement gagné du terrain. Pour aboutir à une manière de no man's land. C'est ainsi que Genève, qui était un phare dans les études de Français, est devenue, en quelques années, une université de province. Qui bientôt, sans doute, devra fermer ses portes au profit de l'université de Lausanne, bien plus active dans son domaine.

    « Aujourd'hui, me glissait une amie à la fin de la soirée, il n'y a plus de maître. Il n'y a que des experts ! Plus personne ne circule avec autant d'aisance que Staro entre littérature et médecine, musique et histoire de la folie, linguistique et philosophie. On est plus volontiers spécialiste « Des paysans du lac Paladru entre l'an 1000 et 1010 » que généraliste éclairé. »

    C'est tout le drame. Staro, le dernier maître, nous l'a confirmé brillamment l'autre soir.

  • Écrire en Suisse romande (1)

    images.jpegQuelle place occupe un écrivain dans la société d’aujourd’hui ? Quel est son rôle, sa fonction, sa responsabilité sociale ? Est-il un médiateur ou un provocateur ? Est-il vraiment un créateur, vivant d’air et d’eau fraîche, au-dessus de toute contingence matérielle ?

    Ces questions sont au cœur du dernier livre de Jean-François Sonnay, Hobby*, qui essaie d’y répondre d’une manière à la fois humble et exigeante en s’appuyant sur sa propre expérience. Tout a commencé, pour Sonnay, en 1972, avec une pièce de théâtre, Le Thé, puis des essais, des recueils de contes, des romans, d’abord à L’Aire, puis à L’Âge d’Homme et enfin chez Bernard Campiche. Même si elle est trop peu connue, l’œuvre de Sonnay est riche et variée, intéressante à plus d’un titre.

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  • Littérature subventionnée

    images.jpegUn critique éminent de la Tribune de Genève, toujours haut en couleur, reproche souvent à la littérature romande d’être « polysubventionnée ». Autrement dit, de n’exister que grâce à la générosité des divers départements culturels cantonaux ou d’autres mécènes désintéressés tels la Migros, la Loterie romande ou encore Pro Helvetia. Le fait est avéré : la plupart des livres publiés en Suisse romande ne verraient pas le jour sans une aide financière extérieure. Mais pourrait-il en être autrement dans une portion de pays qui ne compte qu’un million et demi d’habitants, ou de lecteurs potentiels, alors qu’il en faudrait dix fois plus pour qu’un livre ait des chances d’être « rentabilisé » ?
    Au palmarès des auteurs subventionnés, le pompon revient sans conteste à Daniel de Roulet, champion toute catégorie. Son dernier livre, Un glacier dans le cœur*, bénéficie de multiples subsides. Rien de remarquable, ni de honteux à cela, bien sûr. Ce qui étonne, pourtant, c’est le propos du livre : à travers une galerie de portraits de Suisses marginaux et contestataires (Giacometti, Frisch, Tinguely, etc.) ou franchement « collabos » (saisissant texte sur Le Corbusier), de Roulet se demande si la Suisse existe encore (une vieille rengaine) et si, surtout, elle continuera à exister. Autrement dit : prise, comme toutes les autres nations, dans le maelström de la mondialisation, maltraitée, neutralisée, la Suisse n’existe plus. Ses derniers mythes sont en passe d’être déboulonnés. Et c’est tant mieux. Ce qui permet à de Roulet de se demander, non sans pertinence, ce qui viendra après la Suisse…
    On retrouve dans ce livre tous les défauts et toutes les qualités des précédents ouvrages de Daniel de Roulet, devenu aujourd'hui écrivain officiel de l'establishment. Les qualités d’abord : un regard acéré sur la Suisse, souvent original, intelligent, attaché à ressortir de l’ombre des figures oubliées pour leur rendre justice. J'ai cité l'étonnante promenade à Vichy, sur les traces du grand Corbu. Mais il y a aussi la belle évocation des amours de Robert Walser, l'écrivain le plus suisse — c'est-à-dire le plus seul — du monde. L'hommage au délicat Jean Rousset, admirateur passionné et passionnant de l'âge baroque. On y retrouve aussi quelques défauts : la plupart des textes réunis dans le livre sont des ébauches, rapides et lacunaires, de sujets qui gagneraient à être approfondis ; la naïveté de l’analyse, qui repose sur des partis-pris trop peu interrogés ;  et cette haine de la Suisse que l’auteur a parfois tant de peine à cacher.
    Bref, malgré son caractère inégal (mettre dans le même panier le grand Muschg et Yves Laplace ou Noëlle Revaz relève de la faute de goût), le livre est stimulant, caustique, parfois même drôle. Il faut donc se féliciter qu’il ait pu voir le jour en Suisse. Grâce au « polysubventionnement ». Ce qui, en France ou en Italie, n’aurait sans doute jamais été possible.
    * Daniel de Roulet, Un Glacier dans le cœur, Métropolis, 2009.