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genève - Page 16

  • Moutinot publie ses Mémoires, un brûlot politique

    images.jpegÀ trois semaines du Salon du Livre, tout Genève ne parle que de ça : le brûlot politique que Laurent Moutinot publie aujourd'hui sous le titre sibyllin de Nom d'une pipe*. À mi-chemin de la confession (Rousseau n'est jamais loin) et du règlement de comptes, ce pamphlet risque bien de supplanter Zones humides et Un Juif pour l'exemple au sommet des meilleures ventes de Suisse romande…

    Il faut dire que Laurent Moutinot, dont la discrétion a toujours été la marque de fabrique (surtout dans son travail) n'y va pas de main morte. Il balance tout, et tout le monde. Et cela fait mal ! Comme si notre célèbre Conseiller d'État voulait vider son cœur une dernière fois avant de donner son sac. Passons sur les souvenirs d'enfance malheureuse à Champel, le traumatisme de l'argent facile, le mépris du travail insufflé par ses parents (« Quoi de plus vulgaire que de gagner sa vie ? »), mépris largement mis en pratique par le fiston. Passons aussi sur les déboires du jeune footballeur qui rêvait de jouer au Servette, et à qui l'entraîneur, un jour, a dit : « Toi, tu n'es bon qu'à couper les citrons à la mi-temps ! » Terrible traumatisme… Passons enfin sur les premières déceptions politiques, quand le jeune candidat au Grand Conseil se vit supplanter par de meilleurs ou de plus forts en gueule que lui — et même par des femmes. Suprême humiliation…

    Le cœur de ce petit pamphlet paru chez Zoé (« J'aime les livres de Zoé, parce qu'ils sont toujours minces ») est une véritable confession publique. Moutinot y révèle son addiction pour le tabac hollandais (« Tout Moutinot tient dans une pipe » dit de lui son collègue Longchamp). Plusieurs cures de désintoxication, dont l'une en compagnie de la chanteuse Amy Winehouse et du comédien David Duchovny, n'ont rien pu y changer. Plus intéressant : Moutinot y confesse ses amours malheureuses pour plusieurs femmes, dont la mystérieuse Martine Blum-Giraffe (sans doute un pseudonyme) qui, hélas pour lui, n'a jamais répondu à ses lettres passionnées, ni à ses attentes. Autre péché avoué : Moutinot nous confie qu'il a toujours été jaloux de son camarade de parti Manuel Tornare, toujours mieux habillé que lui et jouissant d'un véritable triomphe auprès de la gent féminine. Autre déception que l'auteur en mal de confidence nous révèle : enfant déjà, il ne rêvait que d'une chose : prendre sa retraite.

    Rassurons-le et rassurons-nous : ce sera bientôt chose faite.

    Il n'est pas rare qu'un homme politique crache dans la soupe. En revanche, il est rare qu'un magistrat se mette ainsi à nu. Qu'il vide son cœur et son sac en public (le livre a été tiré à 100'000 exemplaires, c'est mieux que le dernier Angot). Qu'il balance tout sur ses collègues, son  parti, cette bonne ville de Genève qui l'a vu naître et qu'il exècre (il a prévu d'aller passer sa retraite à Phuket, et de n'en jamais revenir). Qu'attend-il de cette confession impudique? Un improbable pardon ? Une absolution tardive?

    Interrogé sur la question, Laurent Moutinot se terre, comme d'habitude, dans le silence. En revanche, Mgr Genoud a peut-être le fin mot de l'histoire : « La pression qu doivent supporter chaque jour les politiques est énorme. Écrire, alors, est une soupape de sécurité, un exutoire. Et , croyez-moi, il n'y a pas de péché qui ne puisse être pardonné. Monsieur Moutinot le sait bien. En cette année où l'on commémore en grandes pompes Calvin, il a voulu faire son coming out. Je trouve sa décision courageuse. Et d'avance je lui accorde mon pardon. Et toute ma miséricorde. Il en a bien besoin. »

    * Laurent Moutinot, Nom d'une pipe, 21 p., éditions Zoé, 2009.

     

  • Minutes heureuses et sanglantes

    images.jpeg Calvin est à la mode et Genève lui fait sa fête. À vrai dire, il en prend pour son grade, le grand théologien genevois (d'adoption) ! Le spectacle concocté par François Rochaix, sur un texte de Michel Beretti, enfoncera le clou au mois de juillet. On se réjouit déjà. En attendant, comme une mise en bouche, voici Le Maître des minutes, qu'on peut aller découvrir à Saint-Gervais jusqu'à la fin du mois. Un spectacle épatant, fort, riche en couleurs et admirablement joué. Le texte et la mise en scène sont signées Dominique Ziegler et Nicolas Buri. Ziegler est un agitateur d'idées, d'images et de paroles qui a le vent en poupe. Ses spectacles, à cent lieues de la doxa officielle du théâtre contemporain, sont toujours des événements. C'est un Suisse au-dessus de tout soupçon! Quant à Nicolas Buri, nous avons déjà souligné les qualités de son excellent Pierre de scandale (éditions d'autre part, voir ici), une biographie tout à fait saisissante et personnelle du grand homme célébré aujourd'hui.

    Je ne vous résumerai pas Le Maître des minutes : il faut aller le découvrir séance tenante au Temple de Saint-Gervais, puis au théâtre du même nom. Le spectacle réserve bien des surprises. Pas tellement au niveau du contenu, car on y insiste sur l'expèce de dictature morale que Calvin a imposée à cette brave ville de Genève (assortie de toute sorte de procès, supplices, mises à mort ou bannissements) qui n'en demandait pas tant. Mais plutôt au niveau des personnages mis en scène : une tenancière de cabaret, un sonneur de cloches (le magnifique Roland Vouilloz), un excellent syndic (Bernard Escalon), un pasteur un peu dépassé (le très bon Alexandre Blanchet), une belle allumeuse (Pascale Vachoux), etc. Tous absolument crédibles, intéressants et surtout faits d'une pâte humaine qui nous ressemble. Et au niveau d'une réflexion sur le temps et sa maîtrise, obsession calvinienne fort bien développée dans la pièce. Et qui connaît de beaux jours encore maintenant...

    En un mot, une belle soirée comme le théâtre nous en réserve parfois, vivante et émouvante.

    * Le Maître des minutes, Calvin, le guetteur et l'horloge, de Dominique Ziegler et Nicolas Buri, au Théâtre Saint-Gervais jusqu'au 28 juin. Tous les soirs à 20h30.

  • La Justice en spectacle

    images-1.jpegPeu d’affaires ont autant défrayé la chronique judiciaire (et mondaine) que l’affaire Édouard Stern. Inutile de rappeler les faits : ils inondent les pages des quotidiens et des hebdomadaires, submergent les radios, prolifèrent sur les blogs et sont livrés par tranches, en feuilleton, sur toutes les chaînes de télévision. L’affaire a même inspiré plusieurs livres : l’enquête fouillée de deux journalistes, Valérie Duby et Alain Jourdan (Mort d’un banquier, éditions Privé, 2006) et pas moins de quatre romans : Latex de Laurent Schweizer (Le Seuil, 2008) ; Les Orphelins d’Hadrien Laroche (Allia, 2008), Comme une sterne en plein vol de Julien Hommage.
    Ce qui frappe dans le parfait quadrillage de l’affaire (pour ne pas dire matraquage), c’est que les faits, dorénavant, sont connus de tous. Les moindres détails ont été révélés au public ; l’emploi du temps des deux protagonistes, Cécile B. et Édouard S., reconstitué heure par heure, sinon minute par minute ; chaque parole, chaque regard et chaque geste avéré.
    La vie la plus intime est ainsi exhibée sur la place publique : c’est le triomphe de la société de spectacle chère à Guy Debord.
    Le plus étrange, on s’en doute, c’est que l’affaire S., comme toute affaire judiciaire, est couverte par ce qu’on appelle le secret de l’instruction. Autrement dit : l’obligation faite à toutes les parties (avocats, partie civile, témoins, etc.) de ne rien révéler de l’affaire avant l’ouverture du procès.
    Jugez du résultat !
    Constamment sollicités par les médias friands de révélations, les avocats des deux parties se sont répandus en déclarations péremptoires. Avec son panache habituel, Me Bonnant, défenseur de la famille Stern, a parfaitement joué son rôle d’avocat outragé ; en face de lui, Me Maurer, défenseur de Cécile B., a contre-attaqué avec vigueur. Quant au procureur Zappelli, il a clamé sur tous les tons qu’il ne pouvait rien dire… Mais que l’affaire ne relevait ni d’un complot, comme certains voulaient le faire accroire, ni d’un règlement de comptes, bien au contraire…
    À l’heure où s’achève à Genève le procès, tout semble donc déjà scellé, sinon par un accord tacite entre les parties, du moins par un filtrage savant des informations diffusées à la presse. On connaît la victime : Édouard S. On connaît la coupable : Cécile B. On connaît le mobile : l’argent.
    Certes, le tribunal est un théâtre qui fait toujours la part belle aux grands rôles comme aux modestes figurants, aux belles paroles comme aux effets de manche. Mais quand la Justice se donne ainsi en spectacle, quand elle devient l’emblème ostentatoire de la société de spectacle, on est en droit de s’inquiéter.
    Dans ce théâtre de marionnettes, qui manipule qui ? La presse qui déballe tout (mais qui fait son travail) ? Les avocats qui bluffent  ? L’inculpée qui simule (ou non) la folie ? Ou l’opinion publique toujours avide de scoops et de jugements à l’emporte-pièce ?
    Au fond, la question que ravive le traitement médiatique de l’affaire Stern est toujours la même : à qui, dans notre société saturée d’images et d’informations, profite le spectacle ?