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  • Les livres de l'année (12) : Pour saluer Michel Butor

    images-5.jpegDe tous les vaillants mousquetaires du prétendu « Nouveau Roman », immortalisés par la fameuse photo de groupe prise le 1er juillet 1958 devant le siège des éditions de Minuit, il est le dernier survivant. On y reconnaît Alain Robbe-Grillet (le pseudo-penseur du groupe), portant cravate et moustache, Claude Simon (le vrai poète), l'Irlandais Samuel Beckett au profil d'aigle, la romancière Nathalie Sarraute (très « genre »), le genevois Robert Pinget (le plus discret) et tout au fond, un homme au crâne déjà dégarni, qui se trouve là un peu par hasard, car il n'aime ni les groupes ni les théories fumeuses : Michel Butor.

    Né en 1926, Butor a reçu déjà le Prix Renaudot pour La Modification, fantastique roman expérimental écrit à la deuxième personne du pluriel (« Vous avez mis le pied gauche sur la rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un peu plus le panneau coulissant. »), qui marquera son époque, et des générations d'étudiants en Lettres. 

    220px-Michel-Butor.jpgIl avait publié, auparavant, Le Passage de Milan et L'Emploi du temps, romans out aussi virtuoses. Deux ans plus tard, il publiera Degrés, son quatrième roman. Et le dernier…

    Par la suite, Butor s'ingéniera à brouiller les pistes, comme si la notoriété acquise par ses premiers livres lui pesait. Il écrira de la poésie, plusieurs volumes d'essais sur la littérature (les fameux Répertoires I-V), des textes qu'on peut qualifier d'expérimentaux, des traductions et un nombre important de livres d'artistes, conçus en étroite relation et collaboration avec des peintres, des graveurs, des sculpteurs…

    Ces textes, Butor les classe méticuleusement par année. Il y en a une centaine chaque fois. Regroupés en 60 cahiers. Faites le compte : ce sont plus de mille poèmes écrits dans les marges de tableaux, de dessins ou de gravures. Butor, qui aime à jouer avec les nombres, s'y donne des contraintes formelles. Pour accompagner cinq gravures de tel peintre, il écrira cinq poèmes de cinq strophes de cinq vers de cinq syllabes, par exemple…

    Aujourd'hui, grâce à Bernard de Fallois, Butor nous donne à lire les poèmes écrits en 2008-2009, à propos d'artistes ou d'amis de longue date. images-4.jpegCela s'appelle Sous l'écorce vive*. Par la variété des rythmes, des sons et des couleurs, Butor y déploie toute la palette de son talent de peintre des mots. Une palette à la fois très « tenue » et très exubérante.

    Une belle préface de Marc Fumaroli ouvre ce recueil qu'il faut déguster à sa juste valeur, et sans restriction.

    * Michel Butor, Sous l'écorce vive, poésie au jour de jour, 2008-2009, éditions de Fallois, 2014.

  • Les livres de l'année (10) : Djian, c'est toujours la même histoire

    images.jpegAvec ce diable d'homme, c'est toujours la même histoire. Il sort un livre tous les 18 mois, tous les mêmes et tous incomparables. Souvent, l'intrigue est mince. Les personnages ont peu de consistance. Le livre semble écrit comme on aligne des noix sur un bâton.

    Et pourtant, le charme opère. La même musique, une musique noire et endiablée, qui tient le lecteur en haleine, malgré une construction un peu foutraque…

    Chéri-chéri*, le dernier livre de Philippe Djian (vous l'aurez reconnu), n'échappe pas à la règle : un homme, sans âge et sans passé, Unknown.jpegcomme tous les personnages de PD, écrit des livres la journée et se produit dans une boîte de travestis la nuit. Jusqu'ici tout va bien. Denis(e) est parfaitement heureux dans sa routine bi. Hélas, ses beaux-parents viennent emménager dans son immeuble. Et les emmerdements commencent : le beau-père est un dictateur aux allures de maffieux et la belle-mère une couguar nymphomane. Lentement, l'étau se referme sur Denis(e). Et sa vie devient un enfer…

    C'est d'ailleurs la spécialité de Djian, l'enfer. Tous ses romans recréent l'enfer de la vie quotidienne. Ou comment un homme construit, souvent à son insu, une machinerie fatale qui va le broyer.

    Et c'est là que Djian est le plus fort : les dernières pages, toujours surprenantes, se dévorent d'une traite, dans l'impatience d'un dénouement que l'on pressent inéluctable. Et à chaque fois, c'est la même histoire : le lecteur se fait prendre comme un bleu.

    Et c'est tant mieux pour lui…

    * Philippe Djian, Chéri-chéri, Gallimard, 2014.

  • Les livres de l'année (9) : « Ça s'est fait comme ça » (Gérard Depardieu)

    images-1.jpegC'est un livre* sans chichis, une confession jouée, sans doute (comment pourrait-il en être autrement avec le plus grand acteur français vivant ?), mais émouvante, directe et bien écrite (l'excellent Lionel Duroy joue ici les nègres de luxe). Un livre qui vous attrape dès la première ligne et qui ne vous lâche pas…

    Dans Ça s'est fait comme ça*, autobiographie brève et intense, Gérard Depardieu revient sur son destin singulier, son enfance pauvre (mais heureuse), sa jeunesse de petite frappe (les flics de Châteauroux l'appelaient par son prénom), ses déboires sentimentaux — mais surtout sa soif de liberté. C'est le livre d'un homme longtemps privé de langage (autiste et quasi aphasique) qui, grâce à quelques rencontres miraculeuses (le comédien Jean-Laurent Cochet, par exemple, ou le docteur Tomatis), trouve les mots pour se dire — et exprimer le monde merveilleux qu'il porte en soi.

    On sait tout, déjà, de ce Pantagruel ivre de vin et de femmes, de ses excès, de ses colères, de ses passions, qui a longtemps donné à son pays près de 87% de ses revenus et s'est fait traiter de « minable » par un premier ministre dont le monde a déjà oublié le nom. images-2.jpegOn apprend dans son livre que le chemin vers la vraie liberté passe toujours par les mots. Les livres rendent libres. Les Romains le savaient déjà qui aimaient à jouer sur le double sens du mot « liber », à la fois livre et libre.

    Il faut lire ce livre gorgé de vie qui résonne comme un immense éclat de rire : « Et après, je prends sur moi tous les chagrins. Mais qu'est-ce que tu veux faire ? Je suis comme ça. Tu ne peux pas changer les rayures du zèbre. » Ou encore, à propos du film Danton de Wajda : « Ça, c'est mon élan profond : ne pas savoir ce qui va arriver, ce que je vais faire ou dire, mais marcher vers l'inconnu avec cet appétit pour la vie que chaque instant me porte. »

    Depardieu, évoquant les rencontres marquantes de sa vie, parle admirablement de Claude Régy, de la minuscule Marguerite Duras (qui lui arrive à la ceinture) et de l'immense Peter Handke. Chacun lui a donné les mots de son destin. 

    « Oublie ta famille, écrit l'écrivain autrichien, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n'y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. »

    Quelle leçon !

    * Gérard Depardieu, Ça s'est fait comme ça, éditions XO, 2014.