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Lucie, incandescente fille du feu

Un livre ne vit pas tout seul. Il suppose une écoute, un regard bienveillant, l'œil éclairé d'un lecteur qui cherche son chemin dans ses pages quelquefois tortueuses. Lucie a de la chance : deux grands lecteurs se sont penchés sur son berceau, Francis Richard et Daniel Fattore. Leurs mots me vont droit au cœur. Qu'ils soient ici remerciés.

Je me permets de reproduire le texte de Daniel Fattore, publié sur son extraordinaire blog (http://fattorius.blogspot.com) qui réserve de multiples et agréables surprises.

« Ces Filles du feu à la Nerval, nommées Sylvie ou Adrienne et auxquelles le narrateur de Lucie d'enfer se frotte, ce sont ses compagnes de vie. Des personnages secondaires, paradoxalement: Simon, le narrateur du tout dernier opus de Jean-Michel Olivier, place au centre de sa vie Lucie, objet d'un amour jamais déclaré mais source de feux mal éteints, beau personnage de femme à jamais libre, troublante et lumineuse. 

9791032102497.jpgLucie d'enfer ? Quelle splendide manière, pour l'écrivain, de revisiter le motif de la sorcière, repris par un certain féminisme! Le lecteur découvre en Lucie une femme libre et envoûtante, omniprésente aussi. C'est aussi une femme proche de la nature, qui connaît les simples et paraît dialoguer avec les animaux sauvages. Sa beauté troublante fait d'elle une tentatrice, et il se trouve que ses conjoints sont tous décédés dans des circonstances ambiguës. Diable de femme, dont le nom rappelle immanquablement Lucifer! Pelletant dans un patelin du Jura suisse nommé "Les Enfers" en fin de roman, Simon l'enchanté ne creuse-t-il pas sa propre tombe? La question reste ouverte...

Qui est Simon, d'ailleurs? Le lecteur fidèle de Jean-Michel Olivier sera tenté de penser qu'il s'agit d'un alter ego de l'écrivain, d'autant plus que Simon est lui-même auteur – d'ailleurs, si Jean-Michel Olivier a écrit "Après l'orgie", Simon est l'auteur de "Après la fête". Parlant à la première personne, il véhicule des thèmes et regards chers à l'auteur. Il y a par exemple cette manière proprement visuelle d'approcher le monde, affirmée dès ce premier paragraphe du livre, qui évoque une aversion pour les blondes platines du cinéma. olivierenfant.jpgL'évocation des "écrivains de la photographie", en page 48 (Walter Benjamin, Roland Barthes, Susan Sontag), abonde en ce sens. Cet aspect visuel, l'écrivain Jean-Michel Olivier l'a aussi abordé sous un autre angle, familial et franchement biographique cette fois-là, dans "L'Enfant secret". D'ailleurs... en évoquant Léo, le frère jumeau de Lucie, sur son tricycle (page 124), n'évoque-t-il pas par ricochet la photo choisie par l'éditeur pour la couverture de la dernière édition de "L'Enfant secret"?

Les références artistiques sont légion dans Lucie d'enfer, faisant de ce livre un conte noir d'essence à la fois musicale et littéraire. Il y a tant de chansons citées, d'autant plus que Simon, le narrateur, est de cette génération branchée sur les interprètes de sa jeunesse vécue au temps de la chute du mur de Berlin. 51nPEZM176L._SX346_BO1,204,203,200_.jpgEt au travers du premier conjoint de Lucie, il y a le piano classique, un motif récurrent chez Jean-Michel Olivier puisqu'il occupe déjà une place de choix dans "La Vie mécène". Mais la musique, exigeante maîtresse, peut aussi être un échec, poussant en particulier le personnage de Sylvie à montrer ce qu'il est: une jeune égocentrique peu intéressée par la situation de son compagnon (en détresse et qui couche chez une autre femme).

C'est d'ailleurs au travers des personnages des compagnes régulières de Simon que l'auteur joue sur la corde satirique qu'on lui connaît en tout cas depuis "La Vie mécène". Nous avons ainsi une Adrienne parfaitement au fait de la doxa féministe, caricaturée comme il se doit: comment Simon peut-il vivre avec une telle personne... et comment Adrienne peut-elle vivre avec un homme? Et là, on pense à certain personnage de "Carlota Fainberg" de Carlos Muñoz Molina, jouant avec les slashes et la rhétorique pour se positionner à la pointe du féminisme... Plus profondément, le thème du politiquement correct semble trouver racine dans les évocations récurrentes de Jean-Jacques Rousseau dans "Lucie d'enfer" – qui contribuent aussi à l'ancrage genevois du livre.

Enfin, une fois de plus, l'écrivain invite ses lecteurs à dépoussiérer quelques fantômes – le mot est omniprésent dans Lucie d'enfer, et récurrent dans les titres des livres de Jean-Michel Olivier. Simon peut dès lors être vu comme un écrivain qui assume d'être hanté par quelques fantômes, assez passivement d'ailleurs: ils s'imposent à lui lors d'une manifestation où sont invités d'anciens élèves, et lorsque le fantôme s'appelle Lucie, il accepte de faire ses quatre volontés, par exemple en payant sa caution pour qu'elle puisse sortir d'une prison irlandaise. Fantômes du passé, êtes-vous donc maîtres du présent de chacun? Et qu'en est-il de Lucie et de ses hommes, disparus mais omniprésents?

Sous la forme d'un "conte noir" gorgé de références littéraires et artistiques, Jean-Michel Olivier, fidèle à lui-même et à ses... fantômes, offre avec Lucie d'enfer un roman troublant, privilégiant les déformations de la vision du monde que favorisent l'alcool et les années qui filent. A moins que ce ne soit la vision, à la fois simple et incandescente, d'une femme nue comme Eve en pleine nature. »

Jean-Michel Olivier, Lucie d'enfer, Paris, Editions de Fallois, 2020.

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