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  • Le fin mot de la fin (Francis Huré)

    DownloadedFile.jpegFrancis Huré est né en 1916 dans la Somme, pendant la Grande Guerre, dans une famille bourgeoise et cultivée. Après des études de Lettres et de Droit, il est entré dans la diplomatie, est devenu ambassadeur de France au Cameroun, en Israël (entre la guerre des Six Jours et celle de Kippour), puis en Belgique.

    Autrement dit : une vie qui traverse le XXe siècle.

    Dans sa retraite, Francis Huré s'est inventé un double de papier, Martin, qu'il promène à Moscou, en Afrique ou en Israël. francis huré,martin en dernier lieu,de fallois,ambassadeur
    Son dernier livre, Martin en dernier lieu*, revient sur cette longue existence de joie 
    et de douleur, de découvertes et d'étonnements, en livrant au lecteur une manière de testament.

    Francis Huré a une marotte : il note tout ce qui lui arrive, rencontres, discussions, heureux ou malheureux hasards, voyages, amours. Il amoncelle les notes et les papillons de papier. Un jour, il décide de mettre de l'ordre dans ses archives et d'organiser ce fatras. Cela donne un récit entrecoupé d'anecdotes savoureuses et d'aphorismes plus ou moins fatalistes, qui dit la lenteur (la langueur) des jours qui passent, le délabrement du corps ancien, les deuils passés (la mort de sa fille adoptive Laetitia et de son épouse Jacqueline) et bien sûr ce qui l'attend, qui reste toujours une énigme…

    francis huré,martin en dernier lieu,de fallois,ambassadeurLe récit de Huré n'est jamais moralisateur, ni nostalgique, mais au contraire plein d'une verve communicative. Ainsi Martin se décrit-il : « Mon idéal serait de faire le bien sans me donner de mal. Je suis un Français moyen. » Ou encore : « De tous les hommes que nous fûmes, lequel sera responsable ? Jugement de Dieu, bon, c'est son problème, mais jugement des hommes, en attendant ? »

    Tout à la fois bilan d'une vie, recueil de souvenirs heureux et questionnement sur le mystère de la mort, Martin en dernier lieu n'a rien de sombre, ni de désespérant. Il cherche un lieu où se retrouver, en même temps qu'il retrouvera ceux (et surtout celles ) qu'il aime. Dans un style souvent éblouissant, Francis Huré nous entraîne dans cette quête fascinante du dernier lieu : celui des retrouvailles, de la reconnaissance et de la réconciliation (avec les autres, mais aussi avec soi-même).

    Il faut lire ce petit livre plein de drôlerie et de lumière, fait de fragments, d'éclats de voix, de visages à demi oubliés et des scories d'une mémoire toujours sur le qui vive.

    À qui le fin mot de la fin ?

    Au lecteur, assurément, qui suit Martin dans les méandres de sa mémoire, avec émerveillement.

    * Francis Huré, Martin en dernier lieu, éditions de Fallois, 2014.

  • Olivier Py fait son théâtre : « Courage, fuyons ! »

    images.jpegÀ quoi sert le théâtre sinon à mettre en scène les grands débats de la Cité, les questions politiques, éthiques, sociales ou psychologiques qui nous tourmentent ? Mais aussi : à résister, avec les moyens qui sont les siens (un texte, des acteurs, des situations), à tous les discours dominants, dangereux, exclusifs, qui mettent en péril la vie de la Cité ?

    Cette volonté de résistance, le metteur en scène français Olivier Py, nouveau (et provisoire ?) directeur du Festival d'Avignon, semble l'avoir oubliée, puisqu'il vient de menacer de supprimer le Festival, ou de le déplacer ailleurs, si la ville d'Avignon, dimanche prochain, tombe aux mains du Front national !

    Laissons de côté le mépris qu'Olivier Py semble porter à la démocratie pour nous concentrer sur l'essentiel : sa réaction (ses menaces), loin d'être courageuse, montre au contraire une singulière pleutrerie : ce n'est pas en fuyant, que le théâtre pourra faire barrage aux idées du FN ! Au contraire, il ne faut pas abandonner les lieux, mais résister sur place aux idées noires, analyser la progression du FN, proposer un antidote au racisme et au nationalisme !

    Le théâtre sert à ça. Résister, débattre, dénoncer l'injustice, le malheur, l'imposture. 

    Olivier Py l'a oublié. C'est bien dommage. Je crois qu'il s'en mordra les doigts !

  • Les fables grinçantes de Marc Bressant

    DownloadedFile.jpegC'est un monde singulier, qui traverse les époques, navigue de l'âge des cavernes aux voyages intergalactiques, embrasse toute l'humaine condition. On y croise des femmes au caractère inflexible, des hommes faibles ou entêtés, qui sont tous, à leur manière, des mutants : ainsi se présente au lecteur Brebis galeuses et moutons noirs*,  l'étrange livre de Marc Bressant, auteur d'une quinzaine de romans, dont La Dernière Conférence (Grand Prix du Roman de l'Académie française, 2008).

    Ce monde singulier, qui est aussi le nôtre, Bressant le raconte en une soixantaine de petites fictions qui sont autant de fables ou de paraboles. Rien de lourd ni de didactique, pourtant, dans ces histoires riches de sens qui se lisent avec un plaisir immense.

    À chaque fois, dans le cours naturel des choses, une mécanique trop bien huilée, images-1.jpegil y a un grain de sable. Une erreur. Un coup de folie. C'est parfois une femme, « belle comme un logiciel », qui décide d'interrompre le cours du Temps en détruisant toutes les horloges de sa ville, ou un lexicologue qui, constatant la pauvreté du langage à exprimer les excréments humains, décide d'enrichir la langue de nouvelles expressions. Ou encore (l'une de mes préférées) un soldat néerlandais, oublié par les siens dans la jungle de Bornéo, qu'on retrouve, vingt-sept ans plus tard, dans une forme physique exceptionnelle, mais parlant une langue incompréhensible avec l'accent perruche ! Ou encore deux gladiateurs qui, à l'instant de s'entretuer, alors que l'empereur est victime d'une crise d'apoplexie, sont frappés par le même coup de foudre…

    Dans chaque fable, donc, un grain de sable. Une incongruité. Une anomalie. Marc Bressant, dans sa langue à la fois économe et impeccable, parle de brebis galeuses ou de moutons noirs. Et c'est bien de cela qu'il s'agit : l'Histoire n'est pas un long fleuve tranquille, mais une suite de révoltes, de ruptures, de miracles, diraient les Chrétiens. Ce qui la fait progresser, ce ne sont pas les gens « normaux », comme on dit, mais les fous, les originaux, les « brebis galeuses ». Et Marc Bressant en fait un inventaire précis et amusé, entraînant le lecteur au pays débridé et fertile de son imagination.

    C'est la morale des fables de Bressant : il y a toujours un grain de sable pour enrayer la machine, toujours un mouton noir pour infléchir le cours des choses ou mettre en doute nos certitudes les mieux ancrées. Notre salut, d'ailleurs, vient de ces mutants dont la tête dépassent toujours un peu : c'est grâce à ces pestiférés, qu'on regarde comme des fous, que les grandes mutations se font. 

    « Heureux soient les fêlés, comme le disait Michel Audiard, car ils laissent passer la lumière ! »

    * Marc Bressant, Brebis galeuses et moutons noirs, édition de Fallois, 2014.