Difficile d’échapper à la déferlante Houellebecq ! Intense battage médiatique, logorrhée critique partisane ou fielleuse (haïssables toutes les deux), présence de l’auteur en chair et en os dans les talk shows des grandes chaînes de TV… Autant de symptômes qui tendraient à occulter le phénomène Houellebecq écrivain au profit de son clone médiatique. Car phénomène il y a, c’est indéniable. Mais il est littéraire. Malgré quelques longueurs, des pages complaisantes où Houellebecq, dirait-on, s’amuse à se singer lui-même en écrivant ce qu’on attend de lui, La possibilité d’une île*, son dernier roman, est un texte fort, violent, bien sûr, authentique, où l’auteur ne triche pas.
On retrouve, dans ces pages, le Houellebecq des Particules élémentaires**, son meilleur roman. Mais l’auteur, qui se plaît à poser en lutin dépressif et insolent, va plus loin encore dans la dénonciation du spectacle mondain et des aberrations de la modernité. Reprenant le thème du clonage (Daniel, le narrateur, humoriste à succès, rédige un « récit de vie » relu et corrigé par ses propres clones quelques centaines ou milliers d’années plus tard), Houellebecq brocarde tout à la fois les sectes, la pseudo libération sexuelle (qui débouche sur une extinction du désir), la tyrannie de la bien-pensance, la bêtise médiatique, etc.
Chacun en prend pour son grade : les Raéliens, le pauvre M.-O. Fogiel, le philosophe Michel Onfray et beaucoup d’autres people. Le jeu de massacre est jouissif, bien sûr. Car on aime abattre les Grandes Têtes Molles de l’époque. Mais plus que la critique ou le constat désabusé, il y a une vraie réflexion sur le monde moderne, le confort mortifère, le bonheur impossible. Houellebecq se révèle être un moraliste : un voyant inspiré dans tous les domaines qu’il aborde. Toujours en quête de la femme parfaite (qui ressemble, il est vrai, au stéréotype de la bimbo adolescente), il touche même au romantisme, à l’instar d’un Frédéric Beigbeder, ce qui ne laisse pas de surprendre. Et son Daniel, pour agaçant qu’il s’amuse à paraître, est un personnage qui tient le lecteur en haleine et finit même par devenir attachant. Ce n’est pas le moindre charme de ce roman bourré comme un pétard d’humour et de désir.
* La possibilité d’une île par Michel Houellebecq, Fayard, 2005.
**Les particules élémentaires par Michel Houellebecq, Flammarion, 1998.