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Adam (8)

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C’est la fin de la journée. Le soleil se cache derrière les arbres. Une brise légère fait ployer les matitis sauvages et balancer les branches des palmiers. Une camionnette arrive au village. Un homme en descend. Lunettes d’écaille, yeux bridés, teint rougeâtre, petite barbe en forme de pinceau. Il appelle mon père. Tous deux restent longtemps sous le vieux kolatier à palabres. Puis Papa nous appelle. Ou du moins ceux qui se trouvent à portée de sa voix.

Il nous fait mettre en rang.

« Voici mes fils et mes filles… »

L’homme à barbiche examine chacun de nous longuement, méticuleusement. Les yeux, les dents, la langue, les oreilles. Il nous fait marcher jusqu’à sa camionnette, puis revenir vers lui au pas de course. Il nous pince le bras, nous tire les cheveux pour entendre le son de notre voix. Il s’attarde plus encore sur mes sœurs, les fait déshabiller, palpe leur corps en grommelant.

« Ils sont tous là ?

Oui, dit mon père. Fais ton choix ! »

L’homme me fait sortir du rang avec Toumba. Il demande si nous sommes des jumeaux. Ça nous fait rire. Je dis que Toumba est plus vieux que moi, qu’il a onze ans et que nous sommes de mères différentes. Je veux ajouter que chez nous la mère de mon frère est ma mère et n’est pas la rivale de celle-là, mais je vois le regard de mon père, alors je la boucle.

« Bon, dit l’homme en torturant sa barbe, je te prends celui-là.

Et pourquoi pas les deux ? demande mon père.

Non, le petit parle trop…

Je te fais un bon prix ! »

L’homme se gratte le crâne, puis mon père l’entraîne à nouveau sous le grand arbre à palabres. Ils se mettent à chuchoter. Puis mon père élève la voix et l’homme élève la voix à son tour. Ils se mettent à crier et à gesticuler. La sarabande dure plusieurs minutes. Même en tendant l’oreille je ne comprends rien de ce que les deux hommes disent. Enfin mon père me désigne du doigt, puis il montre mes sœurs avec un geste de dépit. Mais l’homme secoue la tête. Il ne dit rien. Ce n’est pas bon signe. L’homme glisse un billet dans la main de mon père. Ils se regardent une dernière fois. Mon père fait signe à Toumba d’avancer. Il embrasse mon frère, lui dit quelque chose à l’oreille.

« Prends garde à toi, mon fils ! Et méfie-toi des gens de l’autre monde… »

L’homme entraîne Toumba par les épaules. Je ferme les yeux pour respirer à fond. C’est la saison sèche. Comme chaque soir, la brise apporte au village l’odeur des roseaux. On entend les bêtes crier dans la savane.

La camionnette disparaît dans la nuit.

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