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  • Soyons médiocres!

    images-1.jpeg La violence des réactions suscitées par l'« affaire Polanski » est révélatrice de notre époque bien-pensante et médiocre.

    Ces réactions, me semble-t-il, sont de quatre types :

    1) même si les faits remontent à plus de 32 ans, qu'ils ont été commis dans des circonstances particulières et à une époque particulière, ils demeurent impardonnables. En cela, les Suisses sont de vrais calvinistes : pour eux, pas de pardon, pas de pitié pour ceux qui ont pêché. Surtout sexuellement. L'injure suprême, ici, c'est pédophile. Bien sûr, personne ne s'interroge sur ce terme : est-ce un vice, une maladie qui se soigne ? Un penchant criminel et inné ? Polanski est un pédophile (même certains journalistes l'ont écrit!) : il doit donc payer, et si possible finir ses jours en prison.

    2) à travers Polanski, qui en serait le symbole, on s'en prend à la clique « médiatico-gaucho-culturelle ». Au fond, comme le jogging serait de droite, la « pédophilie » serait de gauche ! Une spécialité naturelle, en somme. Relents nauséabonds de populisme.

    3) la Suisse était tenue de respecter le Droit international, surtout si la demande vient des USA (mon Dieu, quelles misères vont-ils encore causer à l'UBS?). Il fallait donc tendre un piège à Polanski, ce couard qui a fui la justice américaine (cette noble institution qui pratique la torture et la peine de mort), pour que Justice soit faite. L'argument juridique prime, bien entendu, sur le facteur humain : l'âge de l'accusé, le fait que la victime ait demandé à ce qu'on classe l'affaire, les circonstances infâmes de l'arrestation, etc.

    images-2.jpeg4) mais ce qu'on ne pardonne pas à Polanski, au fond, c'est d'être un artiste — et même de génie. Tout le déferlement de haine auquel son « affaire » donne lieu trouve là son ultime expression. Elle n'est pas pas accidentelle ni occasionnelle : le siècle dernier, elle a frappé Charlie Chaplin (ce monstre), Vladimir Nabokov (tiens, encore un pédophile, chasseur de papillons en plus), Thomas Mann, Hermann Hesse, et j'en passe. (Relevons, entre parenthèses, que Chaplin, Nabokov et Hesse ont trouvé refuge en Suisse : mais c'était une autre époque).  Auparavant, elle a frappé Baudelaire, Flaubert, Oscar Wilde, etc. Cette haine de l'artiste est parfois sous-jacente : elle peut aujourd'hui s'afficher au grand jour. Quoi!  Tous ces malades, ces pervers, ces coupeurs de vérité en quatre, ces femmes et ces hommes dissolus, ces producteurs d'éphémères chefs-d'œuvre, pourquoi seraient-ils au-dessus des lois ? Pourquoi auraient-ils le droit d'outrepasser les règles de la vie sociale ?

    Au fond, cette affaire infamante pour la Suisse (qui restera, à jamais, le pays qui arrêté Polanski — ce qu'avaient refusé de faire l'Italie, l'Allemagne, la Suède, le Canada, etc.) révèle au grand jour la haine des créateurs. C'est la revanche des médiocres. Plus besoin, désormais, de regarder les films de Polanski, puisque c'est un pédophile, doublé d'un lâche. Autrement dit : le diable.

    Les esprits bien-pensants sont rassurés. La Suisse peut dormir sur ses deux oreilles. Les médiocres ont le dernier mot.

  • La Suisse, Prix d'Infamie

    images.jpegDécidément, ces temps-ci, la Suisse multiplie les « affaires ». Quand elle n'est pas embourbée dans l'imbroglio libyen (feuilleton qui a encore de beaux jours devant lui), elle baisse son froc devant les menaces américaines ou européennes et se révèle prête à tout pour sortir de la fameuse « liste grise » dans laquelle on l'a rangée. Tout cela ne sent pas bon ; et nos chers Conseillers fédéraux, en la matière, n'ont pas été très efficaces, ni très glorieux.

    Mais ce qu'on appelle désormais l'«affaire Polanski» a des relents plus nauséabonds encore. Puisqu'on a tendu un véritable traquenard à un homme qui en a connu d'autres (il a survécu au ghetto de Cracovie, à la déportation de ses parents, à l'assassinat abominable de son épouse, Sharon Tate, enceinte de huit mois…), certes, mais qui avait été invité dans notre beau pays pour y recevoir un Prix d'Honneur. Les plus hypocrites (et ils n'en manquent pas, en Suisse comme ailleurs, de  Carlo Sommaruga à  Christian Luscher, nos Grandes-Têtes-Molles) diront que Polanski a été rattrapé par son passé : une histoire d'abus sexuel qui date de 1977. Que la Justice doit être la même pour tous, qu'il faut payer ses crimes et ses erreurs. Etc. Même 32 ans après…

    Les autres, comme moi, auront un sentiment de nausée face à ce traquenard qui rappelle les heures les plus sombres de notre pays,  celles où règnaient la délation et l'obéissance aveugle aux dogmes à la mode. Il fut un temps où la Suisse se flattait d'être une terre d'asile pour tous ceux que la guerre, la haine, la mort promise chassaient de leur pays. Aujourd'hui, elle se contente de livrer à des juges étrangers un artiste venu recevoir, publiquement, un Prix d'Honneur. Les temps ont bien changé. Il faut dire que c'est une ministre UDC qui tient les clés de la prison…

    Roman Polanski ne recevra jamais son Prix d'Honneur. En revanche, aux Oscars, la Suisse est bien placée pour recevoir un Prix d'Infamie.

  • Marc Jurt rencontre Michel Butor

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    Il a y trois ans nous quittait Marc Jurt, immense artiste aux multiples talents, peintre et graveur, sculpteur et photographe, enseignant au Collège de Saussure et grand voyageur. Du 26 septembre au 13 décembre 2009, le Musée des Suisses de l’étranger accueille au Château de Penthes l'exposition « Géographie parallèle », qui met en regard 50 toiles de Marc Jurt et 50 textes de Michel Butor. Une occasion exceptionnelle de découvrir ou de retrouver le travail de cet artiste de génie, qui rencontre ici le grand écrivain Michel Butor.

    Tout commence, chez Marc Jurt, par une trace, un trait gravé ou dessiné. Par ce trait, l’artiste essaie de trahir le monde, c’est-à-dire de l’agripper, de toutes les manières, de toutes ses forces, et de l’attirer vers lui. L’artiste est un archer qui tire, de nuit, sur des cibles mouvantes, vivantes, éphémères. À ce jeu-là, Marc Jurt était expert : le regard, d’abord, mais aussi le corps tout entier, qui s’imprègne du monde, décoche ses flèches ; puis la main qui trace, danse sur le papier ou la plaque de cuivre, qui creuse, qui va au fond des choses ressuscitées par le geste rapide et élégant.

    Au fil des œuvres — trente années de dessin, de gravure et de peinture — le trait, bien sûr, a changé. De l’hyperréalisme symbolique des premières gravures (on se souvient des tours de Manhattan dévorées par le lierre) à l’abstraction lyrique des dernières grandes toiles, le trait s’est à la fois dépouillé de l’inessentiel et enrichi de nouvelles expériences, de nouvelles sensations. Grâce aux voyages, aux rencontres, aux aventures de la vie. Mais toujours il a gardé en point de mire son objectif : tracer l’élan, donner une forme visible à la force. Et cette force explose, irrépressible, dans les derniers tableaux réalisés alors que Marc luttait contre la maladie.

    Peindre la force, oui, sans jamais se laisser arrêter, emprisonner, réduire au silence.

    L’œuvre de Marc Jurt n’est jamais fermée : c’est une maison ouverte au monde. Elle est à la fois singulière (on reconnaît son trait, sa marque, au premier coup d’œil) et universelle. Les Balinais comme les Occidentaux s’y retrouvent chez eux, tant Marc aime à jouer avec les matières (tissus, écorces d’arbres, papiers de riz ou de coton), à faire des clins d’œil, à tracer des passerelles entre les peuples et les civilisations.

    Chaque tableau est une invitation à partager, à voyager. Il explore de nouveaux territoires, corrige nos vieilles mappemondes, revisite les cartes de géographie, de météorologie et d’aviation en les modifiant, par le trait et par la couleur, afin qu’ils coïncident, sans doute, avec cette géographie secrète qui est la sienne. Ce travail sur les cartes de géographie n’est pas le premier entrepris par Marc Jurt : il rappelle « Géographie du corps », cette suite de dessins réalisés en 1991-1992 sur enveloppes en carton représentant des anatomies plus ou moins fantastiques. Déjà, utilisant des techniques mixtes, Marc les détournait de leur fonction (médicale) pour en faire une œuvre à regarder, à méditer. On ne peut s’empêcher de voir aussi dans ce geste de détournement une sorte de magie blanche destinée à éloigner du corps, de son propre corps, les menaces invisibles de la maladie ou de la mort. Déjà, en 1992, Marc avait demandé à un écrivain, Jacques Chessex, d’écrire sur ces anatomies colorées et détournées pour conjurer, à sa manière, les vieux démons.

    butor.jpegCette même année, Marc Jurt collabore pour la première fois avec Michel Butor, un écrivain qu’il admire de longue date, grand voyageur, lui aussi, explorateur de mots et de territoires inconnus (Génie du lieu) : écrivain mobile s’il en est. De cette rencontre naît Apesanteur, une série de six gravures sur lesquelles Butor écrit, à la main, six poèmes. Quelques années plus tard, ce sera Géographie parallèle, une suite unique et magnifique de 50 travaux, que Marc considérait comme un sommet de son œuvre. Le peintre y multiplie les interventions et les strates, peinture, gravure, griffures, papiers collés, rehauts de plume et de crayon, tandis que l’écrivain y dépose ses mots.

    Cette œuvre à deux voix est tout à fait exceptionnelle par son ampleur et son inspiration. Les mots et les images se mêlent sans jamais se confondre : une galerie et une graphie qui l’une l’autre se gardent et se perdent de vue, dans un jeu de miroir qui donne le vertige. Les tableaux sont écrits, comme les poèmes sont peints. Pourtant, on dirait qu’ils font corps, qu’ils sont faits de la même chair ou de la même pâte. Chacun accueille l’autre pour lui prêter sa voix, son souffle, sa matière.

    Chacun révèle à l’autre sa géographie secrète et l’aide, dans un dialogue jamais interrompu, à pénétrer les arcanes de son propre mystère.

     

    L'exposition  « Géographie parallèle » a lieu du 28 septembre au 13 décembre 2009 au Château de Penthes,  18 chemin de l'Impératrice, 1292 Pregny-Chambésy. Le Musée est ouvert du mardi au dimanche de 10h à 12h et de 13h à 17h. Fermeture le lundi. Téléphone +41 22 734 90 21.