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Culte et commerce de Nicolas Bouvier


Le 17 février 1998 nous quittait Nicolas Bouvier. On célèbre ces temps-ci le dixième anniversaire de sa mort. Rien n’est plus juste, hélas : un bon écrivain, dans ce pays, est un écrivain mort. Pourquoi ? Parce que la mort permet à la fois d’idéaliser l’auteur, de lui construire une statue, et d’exploiter son œuvre.
Autrement dit, la mort instaure un culte et un commerce.
Le culte, d’abord. On constate aujourd’hui que cet « écrivain-voyageur » (l’expression le faisait rigoler) est devenu, pour le public, un objet de vénération. Cet homme qui a écrit trois livres (mais des grands livres : L’Usage du monde, Chronique japonaise et Poisson-Scorpion) et une multitude d’articles serait surpris de constater l’espèce de dévotion qui entoure aujourd’hui son œuvre (et sa personne). Comme Dieu, on ne prononce plus son nom qu’en tremblant. Il est devenu, en dix ans, grâce à sa mort, une icône à la fois pour les écrivains et les routards, les journalistes et les universitaires — alors que, bien sûr, de son vivant, son œuvre n’intéressait que les vrais passionnés.
Le commerce, ensuite. Il ne se passe pas une semaine, désormais, sans que paraisse un nouveau livre qui se réclame de son influence ou de son œuvre. Cela va des albums de photographies, très inégales, signées par le grand voyageur, en passant par les livres écrits par tel ou tel admirateur béat refaisant, 50 ans après, le  fameux périple de L’Usage du monde (entreprise de peu d’intérêt), jusqu’aux innombrables inédits de Bouvier qui ressortent régulièrement des tiroirs où Nicolas, à juste titre, les avait confinés. Par pudeur, nous ne parlerons pas du Charles-Albert Cingria*, suite de notes extrêmement décousues publiées il y a deux ans, et que Bouvier n’aurait jamais laissé paraître de son vivant. D’autres textes, du même tonneau, ont paru, le plus souvent regroupés en volume, qui restent très inférieurs au Poisson-Scorpion ou à L’Usage du monde, et ternissent l’image de l’écrivain. Dans le même commerce macabre, il faudrait mentionner les documents audio ou vidéo, qui font florès, et dont certains, tel Un siècle d’écrivains, tourné peu avant sa mort, montrent un Nicolas cherchant ses mots, rongé par la maladie, à des lieues de l’écrivain exceptionnel qu’on a connu.
Il faut lire et relire Bouvier, bien sûr, qui est l’un de nos plus grands écrivains. Sans tomber ni dans la dévotion aveugle, ni l’exploitation forcenée d’un nom — devenu marque déposée — qui n’est plus tout à fait le sien.

* Nicolas Bouvier, Charles-Albert Cingria, préface de Doris Jakubec, Zoé, 2005.
A voir sur Nicolas Bouvier :
Le Hibou et la Baleine, de Patricia Plattner, DVD, Zoé.
22 Hospital Street, de Christophe Kuhn, Zoé, 2006.

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