Ce dimanche 23 décembre 2007 est à marquer d'une pierre noire : à la veille de Noël, l'immense Oscar Peterson nous a quittés pour s'en aller rejoindre le paradis des notes bleues.
Aucun pianiste de jazz n'a été autant adulé de son vivant par le grand public et méprisé par les pseudo-spécialistes de la musique progressiste, fusion ou expérimentale. Dans le Gotha des génies du clavier, on citera plus volontiers les noms de Monk, par exemple, très piètre technicien, ou encore Bud Powell, Erroll Garner ou Keith Jarrett. Pourtant, un seul pianiste, à ma connaissance, a égale le géant canadien : Art Tatum, que Peterson adulait, d'ailleurs, comme un maître (« Quand Tatum est au piano, Dieu est dans la salle…»)
Inutile de revenir sur la vie exemplaire de ce génial musicien. D'autres l'ont fait, et très bien (on relira l'excellent article de Nicolas Verdan paru dans 24Heures, de loin le meilleur hommage à Peterson). Né en 1925 à Montréal, d'une mère de famille nombreuse et d'un père cheminot, qui avait la réputation « d'avoir un jour oublié son sourire dans un train », Oscar a commencé par étudier la trompette. Puis, atteint par la tuberculose, il a dû se soigner et s'est tourné vers un autre instrument. Quelle chance pour le piano et pour le jazz! À partir de là, tout s'enchaîne à très grande vitesse. À douze ans, Oscar dirige déjà son propre programme de radio (!), où il joue, en direct, tous les standards de l'époque. Puis on fait voyager ce pianiste prodige, en particulier chez le grand voisin américain. C'est déjà le triomphe. Il rencontre tous les grands musiciens de l'époque, se mesure à Tatum, Ellington, devient l'ami de Count Basie, accompagne Ella Fitzgerald et Bille Holiday (dont il réprouvait la vie dissolue!). En tout et toujours, il s'avère un accompagnateur exemplaire. Il rencontre l'imprésario Norman Granz qui dirige la maison de disques Verve. Celui-ci le fait connaître du grand public grâce à la formule du trio (basse, guitare, piano). Et vogue la galère…
Tout, chez Oscar Peterson, relève de la démesure. Des disques? Il en a fait près de 600! Il a été marié cinq fois, a eu six enfants. Il a joué avec le gratin du jazz américain et européen. Il a ouvert, dans les années 60, à Toronto, la première école de jazz. Il a touché à tous les styles, et s'est montré inégalable partout. Énervant, non? Comme si d'être un génie du piano ne lui suffisait pas, il a également enregistré des dizaines de disques en tant que chanteur (sa voix ressemble à celle de son autre maître : Nat King Cole, inventeur de la formule du trio). Il a composé la célèbre Canadian Suite. En outre, il a voué une véritable passion, sa vie durant, à la photographie (avec, à la clé, plusieurs expositions dans le monde entier)…
Quelques lignes ne suffisent pas pour faire le tour de cette figure mythique. C'est pourquoi nous y reviendrons régulièrement. En attendant, vous pouvez retrouver Oscar à Montreux, en 1977, interprétant « You Look Good to me ».