Avec La vie mécène, Jean-Michel Olivier brosse un superbe portrait de mécène aventurier, généreux et canaille, sur fond de fresque genevoise drolatique où se bousculent affairistes, artistes, journalistes et politiciens plus ou moins identifiables. A ceux, écrivains ou cinéastes, qui prétendent que la réalité de notre pays n'est pas un bon sujet de roman, Jean-Michel Olivier inflige un joyeux démenti avec La vie mécène, régal d'humour et riche de pénétrantes observations sur notre société et ses drôles d'animaux, nos frères humains...
Comment ce roman est-il né?
Je rêvais depuis longtemps d'écrire un roman sur les rapports entre l'art et l'argent, en ayant à l'esprit quelques grandes figures de mécènes: les Médicis, Catherine II de Russie, les Guggenheim; et, plus près de nous, des gens comme Beyeler ou Metin Arditi. Pourquoi cette passion de l'art? Pourquoi ce don? Pour racheter quel crime? Je tournais autour de ce thème quand le personnage d'Elias s'est imposé à moi. Je ne voulais pas qu'il parle directement, mais qu'il soit raconté par tous ceux qui l'ont connu et dont il change la vie.
Son ancrage à Genève est-il significatif?
Comme chacun, j'entretiens des rapports ambigus avec la ville où je vis. J'adore Genève, je crois la connaître assez bien. A chaque livre, j'essaie de percer un peu plus ses secrets. Car c'est la ville la plus secrète du monde. Les grands politiques s'y rencontrent sans tapage. On y brasse des fortunes colossales. Les grands malades qui nous gouvernent viennent s'y faire soigner. Le secret — entre autres bancaire — est la clé de son lustre...
Comment avez-vous dépassé la satire?
Je voulais écrire un roman noir qui attaque les Grandes-Têtes-Molles de l'époque (avocats à succès, astrologues, hommes politiques, stars de la TV). Mais très vite les personnages se sont incarnés. Ils ont acquis leur propre autonomie. Et la satire, alors, est passée au second plan.
La Vie mécène est-elle un roman à clefs?
S'il y a des clefs dans mon livre, elles sont tellement évidentes qu'elles n'ouvrent rien! Ce sont plutôt des clins d'oeil à des figures publiques connues. Mais aucun des personnages principaux (sauf le peintre Mathieu Jour, qui ressemble à mon ami Marc Jurt, trop tôt décédé) n'a son modèle dans la vie réelle. Ce sont des extrapolations imaginaires.
Qu'est-ce pour vous que le comique?
Le rire est une dimension essentielle des livres que j'aime et que j'admire (de Voltaire à Milan Kundera, d'Albert Cohen à John Irving et tant d'autres). Il m'intéresse par la distance qu'il établit entre le texte et le lecteur. Grâce au comique, ce dernier acquiert une liberté souveraine.
L'enfant du mécène, enlevé et sacrifié, marque un changement de ton dans le roman...
En fait, il n'était pas dans le plan de départ! Il s'est imposé au fil des pages jusqu'à devenir le centre névralgique du roman. En lien avec la passion de son père pour le football (et celle de sa mère pour le shopping!), il a acquis peu à peu un visage. Ce qui lui arrive est la hantise de tous les parents.
Votre roman aborde des thèmes liés à l'argent et à ses incidences sur l'art et le sport, phénomène très présent dans la société actuelle, mais rarement traité dans notre littérature...
La littérature (romande en particulier) reste très pudibonde. On y parle peu d'argent. Or je voulais donner un ancrage très matériel à la vie de mes personnages. Car tout a un prix dans notre société. Un beau tableau comme le transfert d'un joueur de football. Une voiture de sport comme une heure passée avec une escort girl. Je voulais montrer le prix des choses, le prix de la passion. Le prix d'une vie d'enfant...
Que signifie ce titre de La vie mécène?
C'est à la fois la vie (et la mort) d'un mécène genevois et lavie elle-même qui reste un présent obscur, miraculeux. Tout le livre tourne autour de ça: le présent, l'offrande, le plaisir, le sacrifice...
JEAN-LOUIS KUFFER,article et entretien parus dans 24Heures le 20 Novembre 2007.