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marie céhère

  • Les Jeunes filles du lac Léman

    par Marie Céhère

    Passion noire jpeg.jpgSi j’avais été un écrivain, j’aurais aimé avoir les mêmes lectrices que Jean-Michel Olivier. À dire vrai, je rêve vainement d’être unécrivain depuis que j’ai lu les trois tomes des Jeunes Filles de Montherlant.

    Jean-Michel Olivier et moi avons au moins un point commun.

    Son dernier roman s’appelle Passion Noire*. Quel fléau que les femmes ! Surtout celles qui vous écrivent sur internet et dont on est forcé de chercher la photo sur Google avant de répondre. L’épistolaire n’est plus ce qu’il était. Simon Malet, double de son état, est donc confronté à la cohorte des prétendantes hautes en couleur, et les administre du haut de son cynisme.

    Que l’on ne s’y trompe pas. Il n’y a plus, aujourd’hui, la même facilité qu’hier à assumer ce point de vue. « Dans les replis de graisse, au bas du ventre pâle et glabre, ce bout de caoutchouc, qui rétrécit ou qui s’allonge, comme le nez de Pinocchio, selon le désir du moment : tel est, chez l’homme, l’organe de l’émotion. »

    C’est dire à quel point, s’agissant de tisser la toile d’araignée toxique de la littérature – donc des émotions – les femmes sont autrement mieux armées.

    Nancy Bloom, spécialiste de la question, mais aussi la parisienne (libertine, sinon quoi ?) Diane de Jong et pire encore, la mystique Marie-Ange, font sentir au narrateur écrivain comme la littérature est une comédie vaste et vaine, à double, triple, infinie entente, comme le conformisme est une tyrannie qui aura sa peau, et surtout, comme il est et n’est qu’un homme.

    « Le sexe est la ligne de partage, en moi, de toutes les divisions. La marque de naissance que je suis sexionné. Coupé en deux. »

    Exploiter ces coupures, éluder les passages obligés, se sentir fragile, parfois, non comme une femmelette, mais comme un écrivain, c’est le pari de Passion Noire. Une idée de la littérature virile reprend ses droits.

    * Jean-Michel Olivier, Passion noire, roman, l'Âge d'Homme, 2017.

  • BB, un mythe français (Marie Céhère)

    images-6.jpegLe Général de Gaulle disait qu'il n'avait qu'un seul rival sur la scène internationale : le reporter Tintin. C'était faire peu de cas de Brigitte Bardot, une icône autrement plus encombrante, car universelle et vénérée. Vénéneuse, même. C'est ce mythe qu'interroge Marie Céhère dans l'excellent livre qu'elle consacre à cette fille de bourgeois qui rêvait d'être danseuse avant d'être repérée par un directeur de casting…

    Car, bien sûr, rien ne prédisposait BB à faire du cinéma : une petite vie tranquille, des parents qu'elle vouvoyait, des cours de danse, une sœur plus douée qu'elle… Personne ne se souvient des premiers films de BB — et pour cause. Elle n'y fait qu'une apparition timide, y murmure une ou deux répliques et ne crève jamais l'écran, comme on dit. Pourtant, sur la pellicule, quelque chose se passe. Un frémissement. images-7.jpegUn éclair de lumière. Et cette bourgeoise aux goûts très « middle class » enchaîne les films et enchante les hommes qu'elle côtoie. Les acteurs (Samy Frey, Jean-Louis Trintignant) tombent comme des mouches. Et certains réalisateurs en font leur égérie (Roger Vadim, Louis Malle, Jean-Luc Godart). Sa carrière est lancée. Le mythe est en voie de construction. Pourtant, BB y semble indifférente. Ou plutôt elle fait tout pour demeurer une femme « normale », proche des Français, peu soucieuse de son aspect glamour (elle reçoit les journalistes en jeans, les cheveux dénoués et les pieds nus). 

    images-5.jpegLes mythes ont la peau dure : ils naissent à l'improviste (qui aurait pu prédire une carrière fulgurante à cette brunette devenue blonde et assez médiocre comédienne ?), se développent, se ramifient, pour devenir, avec le temps, une parole et une image que l'on partage. Il suffira de quelques films (Et Dieu… créa la femme, Le Mépris, Une Femme est une femme) pour provoquer le scandale et assurer l'avenir du mythe. Ensuite, même quand BB mettra un terme à sa carrière, elle demeurera la femme la plus populaire de France, au point d'être statufiée dans toutes les Mairies de la République sous le traits de Marianne.

    Marie Céhère (photo de droite) déplie le mythe avec finesse (et tendresse). Elle revisite la carrière de BB, film après film, éclaire les zones d'ombre et donne la parole à quelques témoins essentiels. Elle décortique, en particulier, le rapport difficile (paradoxal) que BB a entretenu avec le cinéma. images-8.jpegEt sa manière, libre et insouciante, de vivre son statut de star (Edgar Morin avait débroussaillé le terrain) en inventant une nouvelle « femme française », vive, drôle, mutine, moderne, suivant toujours les mouvements de son cœur (car le cœur a toujours raison).

    Même ces dernières années, alors que le cinéma n'est plus qu'un souvenir, dans ses combats pour la cause animale ou ses déclarations quelquefois bleu marine, BB reste un mythe indépassable, un éclair de bonheur, un éclat de rire, que Marie Céhère restitue parfaitement dans son petit essai qui est d'abord un livre d'amour et d'hommage.

    * Marie Céhère, L'art de déplaire, Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2016.

  • À lire et à offrir : Une Liaison dangereuse (Marie Céhère-Roland Jaccard)

    images-4.jpegFaut-il répondre aux inconnus qui vous écrivent — surtout si ces inconnus sont des femmes ? Pourquoi répondre ? Et quelle attente, quel désir, quel espoir, s'empare alors des deux correspondants ?

    Tout commence par un échange de messages sur Facebook : Marie Céhère, jeune étudiante en philo, écrit à Roland Jaccard, nihiliste japonisant, pour lui dire simplement qu'elle apprécie les vidéos qu'il poste sur YouTube. C'est Marie, dans ce livre, qui lance la première flèche (ou la première bouteille à la mer). Le dandy lui répond, un peu désabusé. Commence alors une liaison virtuelle, haletante et poignante, que le lecteur découvre en live, si j'ose dire. Les courriels s'échangent à la vitesse de la lumière. On dirait une de ces parties de ping-pong dans lesquelles l'écrivain lausannois excelle. Ça va vite. Tous les coups sont permis (et même de dire la vérité). Chacun sert à son tour et tente de remporter le point.

    images-3.jpegOn assiste, en direct, à la naissance de quelque chose qui pourrait être l'amour, ou l'amitié, ou la tendresse. Une liaison dangereuse, quoi. Qui sait ce qu'il y a au bout des mots ? Au fur et à mesure du livre, les mails s'échangent de plus en plus vite, à toute heure du jour ou de la nuit, la fièvre gagne les deux épistoliers. Le philosophe américain John Searle dirait que le langage, ici, devient performatif, puisque les mots se réalisent (ils font ce qu'ils disent).

    Étrange expérience, aussi, pour le lecteur fasciné par cet échange fiévreux et qui se demande sans cesse ce qui va advenir aux amants-amis. Le suspense, dans ce livre, est presque insoutenable ! Il dure jusqu'au moment de la rencontre : une soirée mémorable dans un restaurant japonais avec un prof d'université, une étudiante lausannoise et lesbienne, Marie et Roland, qui se demandent ce qu'ils font là. On se sépare (ou pas) dans la rue. On se retrouve rue Oudinot. Ce qui arrive ensuite est leur affaire…

    Ces échanges passionnés occupent l'essentiel de ce bref et intense roman. Ils sont encadrés par des textes écrits au singulier par chacun des deux protagonistes. Marie se glisse dans la peau de Cécile de Volanges (en attendant d'être un jour Madame de Merteuil !) et Jaccard dans celle de Valmont. Et la liaison qui naît sous nos yeux porte tous les dangers : c'est le risque que courent les amants qui s'écrivent.

    * Marie Céhère et Roland Jaccard, Une Liaison dangereuse, L'Éditeur, 2015.