Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

le dernier mot

  • Le dernier mot (1)

    images.jpeg « Maman ! »

    Son cri l'a réveillé.

    Et l'homme s'est dressé dans son lit en clignant des paupières : il n'a pas reconnu sa chambre.

    C'est un vieillard au teint jaune, avec un peu de rouge aux pommettes des joues, comme les femmes. Sa bouche est belle, le nez très bien fait, le front large et élevé. Autrefois pleins de feu, les yeux sont enfoncés et aujourd'hui presque éteints. La paupière inférieure, légèrement plissée, ajoute à l'expression un petit air de malice qui contraste avec la bonté simple du visage.

    Il est coiffé d'un gros bonnet doublé d'agneau de Tartarie et garni, à l'intérieur, de carcassonne. La toque est ornée d'un galon d'or et d'une houppe (car il ne faut pas qu'elle ait l'air d'un vrai bonnet de nuit et le vieillard y veille). Il porte une sorte de dolman, de couleur grise, parce qu'il ne veut pas de ces couleurs vives ou criardes que le soleil aime à manger. Bien qu'elle provienne des rebuts d'un magasin, l'étoffe ne coupe pas et semble très solide. La bordure extérieure est en martre, et déjà bien usée, car il y a longtemps que le vieil homme est alité.

    « Maman… »

    Encore une fois, le cri est sorti de sa bouche, puis est resté comme suspendu dans le silence, plusieurs secondes, avant de revenir vers le vieil homme.

    Il a fermé les yeux, puis il a pris sa tête dans ses mains.

    Mais la vision, au lieu de s'éloigner, est devenue encore plus présente, presque palpable, et le vieil homme a fondu en sanglots.

    La figure est ovale, parfaitement régulière, et les yeux bleus (quels yeux!) sont pétillants d'esprit, à la fois vifs et tendres, illuminant cette exquise figure. Le nez est gracieusement courbé. Les narines semblent palpiter comme les ailes d'un papillon. La bouche, ni trop grande, ni trop petite, est encadrée de deux jolies fossettes que creuse un sourire incertain. Et le menton est arrondi, le visage encadré par une fine chevelure d'un blond de cendre à laquelle la jeune femme se plaisait à donner un tour négligé, et qui la rendait très piquante. Les cheveux sont simplement relevés au-dessus du front, qu'ils laissent fort dégagé, et retombent en boucles blondes sur la nuque. Le cou souple et gracieux s'attache finement aux épaules qui modèlent les contours d'une gorge enchanteresse…

    Alors, pour échapper au fantôme, il a ouvert les yeux.

    La chambre est sombre, car il fait encore nuit.

    Il distingue la fenêtre aux volets clos, la petite table, en-dessous, avec sa besace et son bâton, puis, de l'autre côté du lit, le piano surchargé de partitions, une chaise avec des vieux habits, et des livres partout, comme une lèpre, sur le sol et contre les murs, en piles vacillantes.

    Plus loin, il y a la cheminée, haute et large, avec le miroir vénitien, le chandelier, la cafetière et les deux tasses en porcelaine. Mais il fait froid. Le feu est mort. Personne n'a ranimé la cendre.

    Il a la gorge sèche, alors il tend la main vers la carafe d'eau, sur la table de nuit, mais elle est vide. Il grommelle quelque chose, que personne n'entend, pas même lui, et s'enroule à nouveau dans les couvertures, en enfonçant son bonnet sur sa tête.

    Au dehors, tout est calme et parfaitement silencieux.

    Une brume monte de la forêt, illuminant la bruyère, les troncs blancs des bouleaux et les vieux chênes qui font comme des taches rouges sur le gazon. Plus loin encore, sans ordre et sans symétrie, des broussailles de roses, de framboisiers, de groseilles, des fourrés de lilas, de sureau, de genêt, de trifolium, parent la terre en lui donnant l'air d'être en friche.

    Parfois, dans la fraîcheur du jour, des sources jaillissent entre les arbres, et aussi des canaux plus profonds, d'une eau verte et étale, qui brillent comme des miroirs.

    Le vieil homme s'est rendormi, ou peut-être somnole-t-il seulement, car on voit ses paupières qui clignent et ses mains qui tremblotent. Il n'arrive pas à trouver le sommeil et il n'a pas la force de rester éveillé.

    Ni mort, ni vivant, bien au contraire : un fantôme en attente.

    « Maman ! »

    Des pas résonnent dans la maison, mais très loin de la chambre, irréguliers comme deux notes de musique, une croche puis une noire, car la femme qui marche est vieille, elle aussi, et elle boite, et elle n'est pas pressée.

    « Maman… »