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jura

  • Retour vers l'enfance (Amélie Plume)

    Unknown-2.jpegIl y a une petite musique d'Amélie Plume comme il y a une musique d'Annie Ernaux ou de Corinna Bille : on reconnaît tout de suite l'auteur au ton vif, au verbe précis, à l'écriture courante (comme disait Duras). Et son dernier livre, Un voile de coton*, n'échappe pas à la règle. On y retrouve la vivacité des aventures de Plumette ou de Marie-Mélina s'en va (tous publiés aux éditions Zoé). Une ode à la liberté et l'écriture.

    Autobiographique, comme tous les livres d'Amélie Plume, Le voile de coton comporte deux parties, à la fois distinctes et inséparables. Dans la première, la narratrice-auteure se lance dans une randonnée jurassienne (sa terre natale) tantôt en voiture, tantôt en train ou en car postal. Elle veut revoir les lieux de son enfance. Évidemment, tout a changé. Elle ne retrouve rien (ou presque) de ses premières années d'école, de son village natal, des gens qui ont connu sa famille (Ah ! Mais nous n'étions pas nés ! »). Ses souvenirs sont imprécis, imaginaires. Elle poursuit sa quête, sac au dos, sur des sentiers inconnus, croisent des champignonneurs (ah ! les écumeux au vinaigre de sa mère !), est surprise par l'accueil amical des aubergistes ou des buralistes, tous charmants. Grâce à elle, nous suivons des chemins de traverse et découvrons des villages au nom chantant : Sonceboz, Corgémont, Renan, Sonvillier. C'est une sorte de road-movie aventureux, drôle et surprenant.

    Unknown-1.jpegLa seconde partie est plus convenue. L'écrivaine est rentrée chez elle, à Genève, et s'appuyant à la fois sur ses souvenirs et une abondante documentation (photos, lettres), elle entreprend d'écrire l'histoire de son enfance. Son père de plus en plus absent. Sa mère qui trime pour joindre les deux bouts avec ses trois enfants et son ménage à tenir. Très vite, le récit va se centrer sur la figure de la mère, à la fois sainte et sacrifiée. Une mère attentive et protectrice, qui tisse un voile de coton autour de ses enfants, surtout Amélie. Le récit autobiographique se transforme ainsi en hommage à cette femme silencieuse et discrète, aidante, aimante, qui s'accompagne au piano pour chanter des chansons de Jean Villard-Gilles (Les Trois Cloches, le Bonheur). 

    Toute la question, pour la petite fille devenue grande, c'est de savoir comment déchirer ce voile de coton qui la protège, à la fois, et l'emprisonne. Une issue possible est le mensonge. Et la jeune ado ne s'en prive pas. De là, sans doute, son goût pour la fable et l'affabulation. Une autre est l'écriture qu'elle commence à tisser dès l'adolescence. Les mots sont une arme pour sortir de l'emprise maternelle, à la fois douce et implacable (d'autant plus implacable qu'elle est douce). C'est la voie royale que va choisir Amélie Plume, qui l'amènera au combat féministe et à l'écriture libre et engagée. À cette petite musique, reconnaissable entre toutes, qui résonne dans chacun de ses livres.

    C'est un bonheur de l'entendre à nouveau dans Le Voile de coton.

    * Amélie Plume, Le Voile de coton, Zoé, 2018.

  • Testament paysan (Jean-Pierre Rochat)

    images.jpegPas de Prix littéraire, de médaille ou de Légion d'Honneur pour Jean-Pierre Rochat, écrivain, paysan et éleveur de chevaux des Franches-Montagnes. Il est hors concours. Pourtant, avec Petite Brume*, il publie l'un des livres les plus forts et les plus nécessaires de l'année.

    Petite Brume est à la fois un roman réaliste et une fable poétique. Il raconte une journée, la dernière, la journée capitale, pendant laquelle Jean Grosjean, paysan de montagne, assiste, dépité et furieux, à la mise aux enchères de tout ce qui lui appartient. Cela commence par les machines agricoles, cédées une à une à vil prix. Puis vient le tour des bêtes : veaux, génisses, taureau. Un petit tour dans l'arène de sciure, comme au cirque, et la bête est mise à prix. Certaines vont rester dans les fermes voisines. D'autres vont partir en Suisse allemande, représentée par une forte délégation d'acheteurs d'Appenzell. 

    Au fil de ce funeste 12 avril, cet homme qui a passé sa vie sur son domaine va perdre tout ce qui lui appartient. « On peut dire que je me suis crevé le cul toute ma vie, j'ai bossé de bonne humeur, heureux de ce qui m'arrivait, j'ai tout misé sur ma bonne étoile, et soudain, d'un coup, le petit train de mon bonheur déraille. » Son bonheur s'appelait Frida, sa femme adorée, partie au Canada avec armes et bagages rejoindre un autre homme. Depuis, enfermé dans les tracasseries administratives, écrasé de dettes et de commandements de payer, Jean Grosjean poursuit une lente et inexorable descente aux enfers.

    Unknown.pngC'est la force de ce livre de décrire, pas à pas, minute après minute, l'inéluctable dépossession du paysan. On ne lui enlève pas seulement ses outils de travail (faucheuse, sarcleuse, etc.), mais surtout les bêtes qu'il aime, chacune à sa manière, à qui il parle et qui lui répondent. Il y a là de très belles pages sur la relation qu'un paysan entretient avec ses bêtes. Et sur le deuil que constitue, un jour d'avril, leur mise aux enchères. À prix ! À prix !

    Le paysan aura-t-il la force de survivre à cette journée noire ? Heureusement, il y a Irina, une belle voisine, qui va tenter de le tirer du côté de la vie. Une nouvelle existence s'annonce. Mais est-ce possible, quand on a tout perdu ? Le suspense est parfaitement tenu par Jean-Pierre Rochat jusqu'aux dernières pages du livre, un livre à la fois sombre et généreux, d'une clairvoyance admirable, à la la langue poétique et charnelle.

    Un grand livre, vous disais-je.

    Si vous ne me croyez pas, allez y voir vous-même !

    Jean-Pierre Rochat sur la RTS : https://www.rts.ch/info/culture/livres/8976129--j-ai-pense-au-suicide-confie-le-paysan-et-ecrivain-jean-pierre-rochat.html

    Il sera l'invité du prochain Café littéraire à la Médiathèque de St-Maurice, le 16 novembre 2017, de 12h. 30 à 13h. 30.

    * Jean-Pierre Rochat, Petite Brume, éditions d'autrepart, 2017.

  • Un drame silencieux (Vincent Aubert)

    Unknown-1.jpegVincent Aubert est comédien, amateur de musique et de grands textes. Il a fait le clown (sous le nom de Roberto) sur les scènes d'une bonne partie de la planète, a créé avec le contrebassiste Jacques Siron un duo mémorable, et anime de voix de maître les belles soirées de la Compagnie des Mots, qui se tiennent le premier mardi de chaque mois à l'Auberge du Cheval-Blanc à Carouge. En plus, ne soyez pas jaloux, c'est un excellent danseur de tango !

    Mais Vincent Aubert a également cinq livres à son actif (voir le site www.ecrire-etc.ch) — et non des moindres. 

    Je viens de terminer la lecture de Murmures sous la neige*, un récit poignant qui reconstitue un drame survenu il y a quelques années dans le Jura. Unknown-2.jpegUne bande de jeunes gens décident d'aller faire la fête dans un chalet d'alpage, mais au retour, surpris par une tempête de neige, quatre d'entre eux se perdent dans la nature et meurent de froid. À partir de ce noyau tragique, Aubert donne la parole aux témoins, un garde-forestier, un pasteur, la mère ou le père d'une victime, l'organiste de l'église, l'unique rescapé de cette randonnée mortelle. Tout un village, frappé au cœur, murmure sa douleur sous la neige. En quelques pages denses et bouleversantes, on revit le drame comme de l'intérieur, dans la colère et l'incompréhension. Le style est sobre et d'une grande efficacité. La nature est à la fois grandiose et toute-puissante (Aubert est un grand connaisseur du Jura). 

    « Ces Murmures appartiennent  aux témoins du drame, aux parents, aux amis. Personne ne les a vraiment entendus. Ils ont été susurrés dans un moment de grâce et de douleur. Puis tout s'est refermé. »

    Il y a quelque chose de biblique dans ce récit sobre et poignant, dont la musique silencieuse accompagne le lecteur longtemps après qu'il a refermé le livre.

    * Vincent Aubert, Murmures sous la neige, écrire-etc.ch, 2016.