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carnets

  • Portrait de l'artiste en lecteur du monde (1) : du journal intime

    Qui a tenu le premier journal intime ? Et pourquoi ?

    Comme toujours, les avis sur la question divergent.

    DownloadedFile-2.jpegCertains, tel Pascal Quignard, dans ses Tablettes de buis d’Apronenia Avitia*, imaginent une patricienne romaine, à la fin du IVe siècle de notre ère, qui tient une sorte d'agenda dans lequel elle consigne les achats qu'elle projette, les rentrées d'argent, les plaisanteries, les scènes qui l'ont touchée. Pendant vingt ans elle se consacre à cette tâche méticuleuse, dédaignant de voir la mort de l'Empire, le pouvoir chrétien qui s'étend, les troupes gothiques qui investissent à trois reprises la Ville. Elle aime l'or. Elle aime la grandeur des parcs et les barques plates chargées d'amphores et d'avoine qui passent sur le Tibre. Elle aime l'odeur et la politesse du plaisir. Elle aime boire. Elle aime les hommes qui oublient de temps en temps le regard des autres hommes.

    D’autres, moins poètes que Quignard, pensent que l’origine du journal intime est le journal de bord que doivent tenir tous les capitaines de bateaux, dans lequel ils notent scrupuleusement leur route, la force des vents, les maux ou les plaintes de l’équipage, etc. À la fois livre de bord et livre de comptes, ce document tenu jour après jour est le récit d’une traversée ou d’un voyage par-delà les mers.

    Ensuite il y a, bien sûr, les fameux Essais de Montaigne, qui marquent, au XVIe siècle, l’entrée en force de l’individu dans la littérature (et la peinture, grâce aux autoportraits somptueux de Rembrandt, entre autres). Deux siècles plus tard, Rousseau fera de sa vie un roman en écrivant ses Confessions en se donnant la règle de tout dire, et dire toute la vérité.

    Suivant l’exemple de Rousseau, les journaux littéraires vont se multiplier, surtout au XIXe siècle, avec le fameux Journal des frères Goncourt et le non moins fameux Journal d’Amiel (17'000 pages, quand même !), puis avec Jules Renard, André Gide, Paul Léautaud et beaucoup d’autres. Le journal littéraire connaît une telle vogue qu’il devient le modèle du journal intime.

    * Pascal Quignard, Les Tablettes de buis d'Apronenia Avitia, Folio, Gallimard.