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Ecrivain de la comédie romande - Page 192

  • Les éternels dindons de la francophonie

    images-2.jpegDifficile de l'ignorer : les XIIIème Sommet de la Francophonie s'ouvre ce week-end à Montreux. Comme on le sait, il devait se tenir à Madagascar. Mais comme l'île est sujette aux violences politiques, les Malgaches ont renoncé à organiser la manifestation. Ce sont les Québéquois, alors, qui ont proposé la Suisse comme nouvel organisateur. Et Micheline Calmy-Rey, avec courage, a accepté le défi de mettre sur pieds, en quelques semaines, une manifestation qui regarde tout de même près de 220 millions de personnes dans le monde.

    Alors, bien sûr, ça sent l'impro à plein nez. Des tables rondes ont été convoquées au titre extraordinairement excitant: « La viabilité mondiale : Comment faire face aux défis globaux en matière de développement durable, de changements climatiques et de biodiversité ? ». Ou encore : « Face à la crise alimentaire : Etats, privés, organisations internationales : quels rôles et responsabilités ? ». Sans parler de cette « Journée thématique sur les droits humains et les 10 ans de la Déclaration de Bamako ». En d'autres termes, francophonie rime d'abord avec géopolitique, faim dans le monde, virus HIV et développement durable…

    Et l'autre francophonie, me direz-vous ? La vraie. C'est-à-dire l'usage, la jouissance, le lien social, le patrimoine culturel que représente cette langue commune à près de 220 millions d'êtres humains : le français. Et plus précisément celles et ceux qui chantent cette langue, qui l'écrivent, qui la servent, qui en font une arme et un trésor ? En un mot : les artistes.

    images-3.jpegCe sont les grands absents de ce XIIIè Sommet. À croire qu'il n'y en a pas — ou qu'ils sont quantité négligeable. Bien sûr, la chanson francophone est vaguement à l'honneur. Quand je dis vaguement, c'est qu'on a ressorti de leur malle, après des semaines d'âpres négociations, la fine fleur de la chanson francophone d'antan. Julien Clerc, Diane Dufresne, Laurent Voulzy, Maurane. Et pour la Suisse, puisqu'il fallait un Suisse : Jérémie Kisling. Il va sans dire que je n'ai rien contre ces chanteurs, qui sont tous admirables. Mais n'y avait-il pas d'autre choix ? La chanson francophone s'est-elle arrêtée de chanter dans les années 80 ? Et Stress ? Et Polar ? Et Carla Bruni alors ?!

    Si la chanson est mal représentée (toujours l'amateurisme des organisateurs), la littérature, elle, n'est même pas représentée du tout. Aucune rencontre, aucune table ronde, aucune discussion sur la création littéraire au Québec, en Algérie, en Belgique, en Suisse romande, en France ? Rien. En Suisse, nous avons l'habitude du silence des universités, qui brillent toujours par leur inexistence. Mais là, c'en devient affolant. Y a-t-il un poète dans la salle ? Qu'il sorte immédiatement ! Un écrivain ? Qu'on l'expulse manu militari ! Un philosophe ? Qu'il ferme sa gueule ! Cet « oubli », qui n'en est pas un, est révélateur de la place accordée aujourd'hui par les politiques aux créateurs de toute sorte. Même pas un strapontin lors des grands raouts internationaux. Ce n'est certes pas à l'honneur de Micheline Calmy-Rey (dont le premier métier, pourtant, fut de diffuser des livres!). Mais, en Suisse, cela n'étonnera personne.

  • La triste histoire de Marguerite…

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    Peu de théâtres, dans la région lémanique, proposent un tel cocktail d'intelligence et d'émotions, de sagesse et d'humour tendrement décalé. C 'est pour cela, sans doute, que le Théâtre du Loup, qui a bâti sa tannière du côté des Acacias grâce à l'appui de Mathias Langhoff, est unique en son genre…

    Dix-huit ans après sa création à la Comédie de Genève (à l'époque, Claude Stratz en était le directeur), le Loup reprend La triste histoire de Marguerite qui jouait si bien du violon, d'après David McKee. Voici ce que mon collègue et ami Serge Bimpage écrivait dans La Tribune de Genève : « Alors en voiture avec Marguerite pour cet irrésistible voyage aigre-doux au pays des êtres humains. Au fil de ses péripéties, non seulement l’archet magique de l’héroïne triomphera tour à tour de l’ire des gens pressés (la scène des habitants de l’immeuble est désopilante), de la voracité des managers de tout poil et de ses propres parents qui projettent en Marguerite une réussite qui leur fut confisquée, mais il fait naître au fil de sa musique un monde fantasmagorique et parallèle. Servi par une mise en scène rythmée, à laquelle se plient avec autant de talents tous les protagonistes de l’histoire, ce spectacle qui fourmille de trouvailles est à classer au rang des plus beaux fleurons du théâtre pour enfants. »
    Il est toujours intéressant de revoir un spectacle que l'on a aimé lors de sa création, plusieurs années auparavant. Qu'est-ce qui a changé ? images-1.jpegDes détails de la mise en scène extraordinairement inventive de Rossella Riccaboni, Adrien Barazzone et Eric Jeanmonod (à qui l'on doit une scénographie proprement géniale toute en trompe-l'œil, en chausse-trappes, en fenêtres  secrètes. Quelques allusions à nos obsessions contemporaines (Facebook, les téléphones portables). Des masques magnifiques. Une musique (signée Jacques Demierre) qui sait jouer des genres et des scies à la mode. Des scènes chantées, d'autres dansées, avec grâce et humour.

    Oui, La triste histoire de Marguerite est bien une re-création. Une fête de l'intelligence et des sens dont on ressort heureux. Il ne faut rater cette aubaine à aucun prix ! C'est trop bien. Et trop rare à Genève.

    Du 16 octobre au 7 novembre 2010 au Théâtre du Loup, chemin de la Gravière, Acacias.
    Spectacle tous publics, dès 6 ans. Mercredi et samedi à 19h . Vendredi à 20h . Dimanche à 17h.
    Relâche le lundi, mardi et jeudi

    lien internet : http://www.theatreduloup.ch/spip.php?article125

     

  • Thierry Vernet, dans l'ombre de Bouvier

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    Du mythique voyage vers l’Orient entrepris en 1953 par deux Genevois intrépides et rebelles, on n’avait que le témoignage de l’un d’entre eux : l’extraordinaire Usage du monde de Nicolas Bouvier, devenu la bible des routards et des globe-trotters. Aujourd’hui, on découvre l’autre visage de ce périple, grâce à Thierry Vernet, peintre, mais aussi écrivain, compagnon de route de Bouvier. C’est un éblouissement*.

    Un volume imposant, tout d’abord, plus de sept cents pages, illustré de dessins magnifiques, dans lequel on se lance comme dans un voyage au long cours. Des lettres envoyées à ses proches, restés en Suisse, qui sont parfois de véritables romans, alternant les descriptions de lieux, de visages, de musiques, et les instantanés de la vie quotidienne du routard : les rencontres, les incidents, les surprises, les découvertes. Quand Vernet entreprend son périple, il a vingt-six ans, laisse à Genève une fiancée prénommée Fioristella (elle-même peintre de talent) et voyage seul. C’est à Belgrade, en juillet 1953, qu’un ami genevois le rejoindra, Nicolas Bouvier, surnommé Nick. Ensemble, ils vont entreprendre un grand voyage qui les mènera jusqu’à Ceylan, à bord de la fameuse Topolino. Là-bas, leurs routes se sépareront, Vernet rentrant en Suisse pour se marier et Bouvier poursuivant seul son périple vers le Japon. Du séjour à Ceylan, Bouvier rédigera, pendant plus de seize ans, dans la sueur et le whisky, le très beau Poisson Scorpion, véritable entreprise de désenvoûtement.

    images-1.jpegMais Thierry Vernet ? Souvent dans l’ombre de Bouvier, qui s’est approprié ce voyage entrepris pourtant à deux, il se révèle un écrivain de la meilleure veine, multipliant les bonheurs d’expression et jouissant d’un don d’observation hors du commun. Dessinant, écrivant tous les jours (ses croquis étonnants ont illustré L’Usage du monde), il garde en toutes circonstances — à la différence de son compagnon cyclothymique — un moral d’acier. Son mot d’ordre est toujours le même : « sortir de soi-même ». Il l’appliquera jusqu’au terme du voyage, ornant ses lettres de dessins ou d’aquarelles qui en font de véritables œuvres d’art.

    Un second volet de l’œuvre écrite de Vernet est aujourd’hui disponible, à l’Âge d’Homme, sous le beau titre de Noces à Ceylan.** On connaît les péripéties qui ont mené l’auteur du Poisson-Scorpion sur l’île maléfique de Ceylan. Son ami Thierry doit le rejoindre, mais il tarde un peu. Il a une bonne raison pour cela : il vient d’épouser sa fiancée, Fioristella Stephani. C’est précisément cet épisode que Vernet raconte, par le texte et le dessin, dans cet ouvrage qui est le complément de Peindre, écrire, chemin faisant.

    images.jpegAu voyage de Bouvier, dont L'Usage du monde donne un témoignage décanté et stylisé, les lettres de Thierry Vernet forment une sorte de contrepoint. Comme un autre regard, à la fois généreux et profus, étonné et radieux. Parallèlement aux lettres publiées par l'Âge d'Homme, paraît un magnifique ouvrage, aux éditions Somogy et Galerie Plexus***, qui rend justice (enfin !) au talent du peintre Vernet. Accompagnée d'une présentation subtile et fouillée, signée Jan Laurens Siesling, ce livre contient de nombreuses reproductions de portraits et de natures mortes, réellement exceptionnells. Un ouvrage indispensable pour mieux connaître ce Genevois discret, mais intrépide et épris d'absolu, qui est décédé d'un cancer en octobre 1993.

     

    * Peindre, écrire chemin faisant par Thierry Vernet, illustré de nombreux dessins, introduction de Richard Aeschlimann et texte de Nicolas Bouvier, L’Âge d’Homme, 708 pages, 2006.

    ** Thierry Vernet, Noces à  Ceylan, l'Âge d'Homme, 2010.

    *** Thierry Vernet, peintre, par Jan Laurens Siesling, éditions Somogy et Galerie Plexus, Paris et Chexbres, 2006.