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suisse - Page 3

  • Le Temps en sursis

    images-4.jpegLe Temps va mal. Ce n'est pas nouveau. Il y a des années que ce « journal de référence », qui défend haut et fort le principe de la libre concurrence, subit une cure d'amaigrissement, supprime des rubriques (sportive, par exemple), réduit ses reportages, remplace les enquêtes sur le terrain par d'immenses photos.

    Sans parler de la partie culturelle, qui devient transparente…

    Ce n'est pas nouveau et, bien sûr, c'est triste.

    Ce qui est nouveau, en revanche, c'est qu'un journal soit mis en vente par ses actionnaires principaux (Ringier et Tamedia) qui cherchent une porte de sortie honorable.

    Une mise aux enchères. Du jamais vu…

    Et si personne ne se présente (ce qui est prévisible) ? L'un des deux actionnaires se retirera au profit de l'autre qui, bien évidemment, sera obligé de « dégraisser », comme on dit élégamment dans le langage économique.

    Le Temps est en sursis, donc. En partie par sa faute : il a mal négocié le virage numérique et son édition papier, maigrissant chaque semaine, perd beaucoup de lecteurs. Mais surtout, il est victime des lois du marché.

    Espérons qu'un grand éditeur, suisse ou étranger, lui redonne bientôt les couleurs qu'il mérite.

  • Les livres de l'été (25) : Jean-Michel Wissmer au pays de Heidi

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    C’est le propre des livres culte : peu de gens les ont lus, mais tout le monde les connaît. Ainsi de la petite Heidi laquelle, au fil des ans, a déserté nos bibliothèques pour devenir vedette de cinéma (incarnée par Shirley Temple en 1937), de dessin animé (japonais) ou de série télévisée (allemande). C’est-à-dire, peu à peu, un vrai mythe. images.jpegIl faudrait ajouter : un mythe suisse, tant les valeurs qu’elle incarne (pureté, authenticité, amour de la nature) semblent être celles de ce pays.

    Mais qui était Heidi ? Non le produit dérivé qui fait encore vendre et fantasmer, mais le personnage de roman créé en 1880 par Johanna Spiri, une écrivaine zurichoise, grande lectrice de Goethe, Lessing et Gottfried Keller, et amie de Richard Wagner ?

    images-1.jpegDans un livre passionnant*, Jean-Michel Wissmer, essayiste et romancier, mène l’enquête en Heidiland, au cœur de notre suissitude.

    Pour Johanna Spiri (1827-1901), digne émule de Rousseau, le mal contemporain se loge toujours dans les villes : promiscuité, tintamarre, tentations dangereuses. Pour échapper à cette corruption, il n’y a qu’un remède : se réfugier sur l’Alpe, loin des hommes dénaturés, face aux montagnes sublimes, près des torrents d’eau pure. En un mot : près de Dieu.

    L’univers d’Heidi ressemble à celui de son auteur, Johanna Spiri, fille de médecin, prêchant la charité chrétienne et confrontée, quotidiennement, à la douleur et à la maladie. Orpheline adoptée par un vieux fou, qui vit seul sur la montagne, Heidi va grandir dans son petit paradis, puis partir dans l’enfer des villes, en Allemagne, où elle sera la dame de compagnie d’une petite infirme, Clara, qui s’attachera très vite à elle. Au point de venir retrouver son amie sur l’Alpe, quelque temps plus tard, et de connaître enfin les plaisirs purs de la vie rupestre. images-3.jpegMiracle ! Grâce à Heidi, cet ange perdu parmi les hommes, Clara retrouvera l’usage de ses jambes et pourra marcher à nouveau !

    images-2.jpegÀ la suite de Wissmer, nous relisons Heidi d’un œil neuf, et souvent ironique (Heidi est une parfaite Putzfrau, qui astique sa cabane jour et nuit, dans un désir obsessionnel d’ordre et de propreté). Nous revenons en Heidiland, ce paradis perdu de toutes les enfances.

    Nous comprenons aussi mieux pourquoi elle incarne à ce point les vertus helvétiques : dévouement, compassion, amour de la nature. Sans oublier la pédagogie, autre marotte helvétique, car Heidi sait parler aux enfants, et leur montrer le droit chemin.

    On ne lit plus guère Johanna Spiri, et c’est dommage. La petite fille qu’elle a créée a fait le tour du monde. Elle a donné son nom à des plaquettes de chocolat et des briques de lait. Elle a inspiré des films, des pièces de théâtre et même des mangas. En nous, elle restera toujours la part de l’enfance et du rêve.

    * Jean-Michel Wissmer, Heidi, enquête sur un mythe suisse qui a conquis le monde, Métropolis, 2012.

    PS : Une Heidi moderne s'est glissée, par erreur, dans ce billet. Excusez le blogueur…

  • Je t'aime, moi non plus (une histoire d'amour)

    images-1.jpegC’est une histoire d’amour, étrange et compliquée, que la Suisse vit avec l’Europe. On se souvient du 6 décembre 1992, que Jean-Pascal Delamuraz, devant les caméras de la télévision, sur un ton dramatique, qualifia de « dimanche noir », parce que les citoyens de ce pays, du bout des lèvres, à 50,3%, avaient refusé l’entrée de la Suisse dans l’EEE (et non l’Union Européenne).

    Depuis, les choses n’ont guère changé. Ou alors, si elles ont changé, c’est dans le sens d’un refus plus important. Si le peuple était appelé à voter aujourd’hui, le résultat ne serait pas de 50,3% de non, mais de 70 ou même de 80% de refus.

    Pourtant, tout le monde est d’accord : géographiquement, la Suisse est au cœur de l’Europe. Elle est son château d’eau et son jardin d’Eden. D’autres diront : son coffre-fort. Elle fait partie de de son histoire et de sa structure. Culturellement aussi, elle est au carrefour des cultures latine et germanique. On y parle joyeusement quatre langues (même si l’on ne se comprend pas toujours). Politiquement, elle fonctionne, depuis des lustres, sur un modèle fédéraliste qui semble avoir fait ses preuves — même si, à chaque votation, on remarque des clivages entre ville et campagne, et cantons romands et alémaniques. On dirait qu’elle a fait sienne la devise du sénateur américain David Moynihan : « Ne confiez jamais à une plus grande unité ce qui peut être fait par une plus petite. Ce que la famille peut faire, la municipalité ne doit pas le faire. Ce que la municipalité peut faire, les États ne doivent pas le faire. Et ce que les États peuvent faire, le gouvernement fédéral ne doit pas le faire. »

    Où est le problème alors ? Pourquoi la Suisse, quand l’Europe lui fait les yeux doux en lui disant je t’aime, répond toujours par une grimace : moi non plus ?

    C’est que l'Europe n'est pas seulement un cap géographique qui s'est donné la figure d'un cap spirituel, à la fois comme histoire et comme projet. Elle confond son visage avec l’économie marchande. images.jpegAu lieu d’égaliser les différences, elle fait régner partout le droit du plus fort (en Europe, comme au foot, le plus fort, c’est l’Allemagne). Elle étouffe certains pays (Grèce, Espagne, Portugal) sous le poids de la dette. Elle est régie, depuis Bruxelles, par une bureaucratie tentaculaire, qui tisse chaque jour de nouvelles réglementations. En un mot, elle est loin de cette Europe fédérale et démocratique dont rêvait Denis de Rougemont (1906-1985), premier penseur européen et écolo, que les fonctionnaires de Bruxelles feraient bien de relire.

    La Suisse comporte 26 cantons, l’Europe, 28 états. Mais la comparaison s’arrête là. La Suisse n’a jamais eu aucun désir d’expansion, quand l’Europe, pour avancer, a besoin de nouveaux marchés : aujourd’hui, la Croatie. Demain, le Kosovo. C’est la loi du vélo : s’il n’avance pas, il se casse la gueule…

    Dans le corps à corps amoureux, comme le susurraient Serge Gainsbourg et Jane Birkin, l’important (si j’ai bien compris la chanson) était de se retenir. Pour l’instant, la Suisse se retient. Elle a raison. Même si l’Europe a mis le cap sur elle, elle n’est pas encore arrivée au port.