par Jean-Dominique Humbert
Pour faire salut,
Mesdames, Messieurs et chers Amis,
à Bernadette Richard,
lauréate du Prix Rod 2018,
quel bon et vigoureux élan convoquer,
Parce que voilà qui bouillonne et qui pétille d’imprévus.
Vous la croyiez campée en romancière dans Quelque part une femme, quand elle commence à publier en 1983, ou plus tard dans ces Femmes de sable où, dans les heures du Caire, elle rassemble des destins,
celui de Maya, « à la beauté saturnienne » qui se décrit dans ses toiles
qui reflètent une « souffrance indicible et lointaine »,
puis Shagara, la fille écartelée
et Samar, la tumultueuse, l’insoumise, qui dresse sa révolte en poèmes,
la romancière vous attend en nouvelliste, tenez là par exemple,
dans ces treize Nouvelles égyptiennes
où elle vous emmène dans des pages, sensuelles et sauvages,
qui disent des passions dérobées
et des amours enfouis,
mais la nouvelliste vous surprend en dramaturge depuis Sur les eaux du lac et pour trois autres pièces.
À cet autre carrefour,
elle vous fera signe en chroniqueuse,
dans ce journal en mails,
de New York et après le 11 Septembre, dans les pages de ses Ondes de choc.
Et dans le bruissement des pages,
au quotidien ou presque, ou plus,
vous suivrez la journaliste
dans ses milliers d’articles parus ici en Suisse, mais aussi ailleurs, et par exemple dans Le Monde – durant une seule année, c’est vous dire, elle avait recensé près de 700 papiers.
Arrêtons-nous un instant à l’escale
de la voyageuse,
car c’est aussi une de ses caractéristiques,
et pour cause,
parce que ce sont d’abord les voyages, les ailleurs, qui ont délié sa phrase,
(Ulysse encore parcourait le monde et tissait la trame de son écriture) :
(je cite)
«Exils, retours au profit du nerf de la guerre,
autres départs. De Paris à Berlin, du Val d’Aoste à Bucarest, puis le tour de la Grand Bleue et les autres continents, le temps volé à l’ailleurs permettait aux mots de jaillir de quelques secrètes entrailles. Les retours les engourdissaient.» (C’est un texte de 1997.)
Arrêtons-nous un instant aussi
au départ de la voyageuse,
à sa naissance à La Chaux-de-Fonds
où l’on se demande si,
après tant d’ailleurs à dégourdir les mots et à emmener sa phrase,
elle n’avait pas fait sien le vers de Cendrars :
«Quand tu aimes il faut partir»
et s’il avait fallu tous ses horizons parcourus,
ces mondes à découvrir, à sentir, à vivre,
à écrire,
pour revenir à La Chaux-de-Fonds,
(et aujourd’hui, s’il vous plaît,
dans un 56e déménagement),
dans l’étonnement du retour
et dans ces pages où le temps résonne
et grimpe, dans une nature ici redécouverte,
dans cet Heureux qui comme.
Il y a, chers Amis,
sur le portrait que le peintre Ernest Biéler a fait d’Edouard Rod,
ce grand portait de 1909
qui le montre assis dans la clarté
brun jaune de son cabinet de travail,
un chat sur ses genoux.
Les chats !
Bernadette Richard en dit les mondes,
les facéties et les silences et les énigmes,
comme dans ces récits intitulés
« Coups de griffes »,
mais ils sont aussi ses compagnons au quotidien
qui glissent dans le temps des signes
et des maisons de l’astrologue,
l’astrologue qu’elle est encore.
Alors bien sûr qu’au miroir de ses chats et comme eux, elle a eu et elle a
plusieurs vies, Bernadette Richard,
et brochant sur le tout celle d’être mère et grand-mère fascinée,
qu’elle aime, avait noté Maurice Born
en quatrième du Pays qui n’existe pas, paru en 1990,
qu’elle aime sauter en parachute –
et voici qui fait un clin d’œil au narrateur
d’Heureux qui comme –
qu’elle écrit sur et avec les peintres,
qu’elle a aussi été tisserande
et bibliothécaire,
dans les livres qui s’ouvrent
et ceux dont elle va, dans ses pages, découvrir le nom.
Jean-Dominique Humbert
1) Jean-Dominique Humbert © photo : Jean-Claude Boré
2) Bernadette Richard © photo : Jean-Claude Boré
3) Mousse Boulanger © photo : Jean-Claude Boré