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gallimard - Page 2

  • La légende de l'amour (Marc Pautrel)

    Unknown.jpegC'est l'histoire d'une rencontre improbable : un écrivain français passe quelques jours en résidence, comme on dit, dans le Sud de la France, avec des chercheurs et des scientifiques venus du monde entier (il y a des Russes, des Italiens, des Américains). Tout ce beau monde, pendant une semaine, y mène une vie princière. Nourris, logés, disposant de tout leur temps libre, ils se retrouvent chaque soir, entre cheminée et lustres de cristal, autour d'une table richement garnie. 

    C'est là que le narrateur va rencontrer une jeune femme italienne, L., venue travailler sur sa thèse (« La figure du Christ chez les grands auteurs contemporains »). Dès le premier regard échangé, quelque chose se passe. Ou plutôt quelque chose passe de l'un à l'autre. Coup de foudre silencieux ? Pur fantasme du narrateur ? C'est cet échange mystérieux que Marc Pautrel va tenter d'éclairer dans son dernier roman, La vie princière*, un récit sobre et lumineux qui tient le lecteur en haleine.

    L'homme et la femme vont se revoir tous les jours, manger ensemble, se promener au milieu des amandiers et des oliviers. Ils vont se rapprocher tout en se maintenant toujours dans une étroite distance. Pautrel décrit très bien cette attraction muette, cette complicité qui s'installe, en même temps que la faille qui demeure entre les amoureux qui ne seront jamais amants.

    Ce court et intense roman prend la forme d'une lettre que le narrateur écrit à la jeune femme qu'il a rencontrée au Domaine (je ne suis pas sûr qu'il la lui envoie). Il décrit l'après-coup d'une rencontre. Les images. Les regrets. Les émotions. Et le vide qui l'appelle après que la jeune femme est repartie. « La séparation est devenue une constante de mon existence qui m'a forcé à changer de vie, et c'est pour ça que je me suis retrouvé romancier : je veux tout transformer en légende, créer une boucle continue, doubler l'éternité. »

    Un roman ciselé, brillant et retenu.

    * Marc Pautrel, La vie princière, roman, Gallimard, 2018.

  • Dans la lumière grecque (Philippe Sollers)

    images.jpegLes puristes diront : ce n'est pas un roman. Il n'y a pas de personnages, pas d'intrigue, pas de début, pas de fin. Ils auront raison. Mais, bien sûr, ils seront passés à côté du livre, sans entrer dans son jeu, ni en saisir l'enjeu. 

    Comme tous les « romans » de Philippe Sollers, La Beauté* commence par une invitation au voyage. Le narrateur (dont on ne connaîtra ni l'âge, ni le nom) retrouve Lisa, une jeune pianiste grecque, sur une île d'Égine, au sud-ouest d'Athènes. Débute alors un voyage dans le temps et l'espace. On sait que pour les écrivains la mort n'existe pas. Bien vite, autour du couple d'amoureux, c'est la ronde des fantômes. Les déesses et les dieux de la mythologie s'invitent dans leur voyage, avec leurs aventures très peu politiquement correctes. La belle lumière grecque aimantent d'autres fantômes : le philosophe Martin Heidegger, puis le poète Hölderlin. Unknown-2.jpegCelui-ci permet à l'écrivain de faire le lien avec sa ville natale, Bordeaux, où le poète allemand a séjourné, avant sa lente plongée dans la folie.

    Autres temps, autre ville, mais même lumière. 

    Unknown-1.jpegOn suit les pérégrinations de ce couple amoureux qui se sépare pour mieux se retrouver, parcourt le monde, se donne rendez-vous dans les endroits les plus improbables. L'amour, ici, vibre au rythme de la musique, forme souveraine de la beauté. On croise Anton Webern juste avant que le compositeur viennois, sorti sur sa terrasse pour fumer un cigare, ne soit abattu par un soldat américain. Tragique méprise ! On croise aussi Bach, bien sûr, autre héraut de la beauté.

    La beauté traverse toutes les époques : c'est pourquoi nous sommes toujours bouleversés, aujourd'hui, par un tableau de Carpaccio, un poème de Hölderlin ou un roman de Joyce, les Variations Goldberg de Bach ou les lieder de Webern. Le temps n'a pas d'emprise sur elle. La beauté est souveraine et nous parle toujours, dans une langue que Sollers transcrit au plus près de ses vibrations musicales. Sans véritable commencement, ni vraie fin, ce roman se déploie  comme une fugue avec ses diverses variations (le plaisir, la terreur, l'érotisme, etc.) Certes, l'épilogue fait défaut, répèteront les puristes. Mais tout le livre baigne dans une lumière à la fois douce et fraîche qui imprègne longtemps le lecteur.

    * Philippe Sollers, La Beauté, roman, Gallimard, 2017.

  • L'ange rouge (Jean-Marie Rouart)

    Unknown-1.jpegDepuis 1991, Jean-Marie Rouart mène un combat judiciaire pour faire reconnaître l'innocence d'Omar Raddad (photo), le jardinier marocain condamné pour le meurtre de sa patronne, Ghislaine Marchal. Ce combat a débouché sur un livre (Omar, la construction d'un coupable, de Fallois), puis sur un film (Omar m'a tuer, de Roschdy Zem, 2011, avec l'excellent Denis Podalydès). Mais c'est surtout pour ses romans, d'amour et de pouvoir, que Jean-Marie Rouart est aujourd'hui le plus connu.

    Son dernier livre, Une jeunesse perdue*, est le récit d'une noyade amoureuse, mais d'une noyade heureuse, et délibérée. Le héros du roman dirige à Paris une revue d'art. Il est marié à une femme qu'il retrouve quelques jours par mois et qui occupe, en province, des responsabilités politiques. L'un et l'autre paraissent s'accommoder fort bien de ce arrangement, sentimental autant que financier. 

    C'est alors qu'une femme inconnue déboule dans la vie bien rangée du narrateur. D'abord, elle lui envoie un article pour sa revue (qu'il juge indigne de publier), puis elle s'arrange pour le rencontrer. images.jpegLa foudre, alors, tombe sur lui. Cette jeune femme aux cheveux roux, d'origine russe, s'appelle Valentina Orloff. Elle va chambouler, de fond en comble, la vie de notre directeur de revue, qui va passer par tous les stades de l'extase et de l'humiliation, vivant un véritable chemin de croix avec cette femme imprévisible, fuyante, irrésistible — et probablement bi-polaire.

    Le narrateur va tout donner — c'est-à-dire tout perdre — pour obtenir Valentina, l'ange rouge du roman. Il va être acculé au divorce, devoir vendre son apparemment et les tableaux les plus précieux de sa collection, abandonner sa vie tranquille pour les intermittences du cttœur. Pourtant, ce long naufrage est aussi une manière d'embellie dans la vie d'un homme qui souffre de vieillir et de ne plus séduire les femmes qui l'attirent. Comme si, perdre sa vie (c'est-à-dire tout donner par amour) était aussi une manière de rédemption.

    Un roman intense et lumineux, écrit dans une langue musicale et élégante.

    * Jean-Marie Rouart, Une jeunesse perdue, roman, Gallimard, 2017.