Il y a longtemps que Patrick Roegiers fait son cinéma (voir ici). Ce passionné de photographie (il fut longtemps critique de photo au journal Le Monde) est aussi un fou de cinéma et de théâtre (il a dirigé un théâtre en Belgique). Mais la littérature est sa patrie, sa source d'inspiration, sa raison de vivre. Il revient sur ses pas dans un livre épatant, Ma Vie d'écrivain*, où il retrace les différentes étapes de son installation en France, à partir de 1983.
Tout commence par une ode à Paris, capitale des Lettres, dans le style lyrique et truculent de Roegiers. On reconnaît d'emblée la plume folâtre du Bonheur des Belges** et de ce délicieux roman mettant en scène une rencontre entre le roi Léopold de Belgique et Hergé, le créateur de Tintin, dans une pension de la côte vaudoise (il m'a semblé reconnaître le restaurant de La Plage à Gland), Le Roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur***. Même s'il a déjà plusieurs livres derrière lui, sa vie d'écrivain commence à Paris. L'auteur nous balade dans les rues étrangement familières de la capitale et l'on y croise Aragon et Simone de Beauvoir, Patrick Modiano et Philippe Sollers, entre autres — autant de figures tutélaires. On y croise surtout Denis Roche, ancien directeur littéraire du Seuil, ami et éditeur de l'auteur qui lui rend, dans son livre, un bel hommage.
Roegiers revisite son passé à partir de bribes de chansons, de souvenirs éparpillés, de références à la vie culturelle (dates, anecdotes) qui donnent à son livre une saveur singulière. Chaque rue, à Paris, se souvient d'un écrivain, d'un peintre ou d'une scène de film. C'est une ville mythique en même temps qu'intensément spectaculaire. Par petites touches (onomatopées, calembours, listes diverses) Roegiers recrée le charme de cette ville lumière. Il raconte aussi comment l'on devient écrivain. Les doutes, les refus, les blocages et les exaltations d'une vie passée à écrire dans son bureau (« La première qualité, pour un écrivain, c'est d'avoir de bonnes fesses. » Dany Laferrière). Son livre est à la fois une tentative de revenir sur ses pas (pour mieux comprendre son parcours) et une manière de bilan.
Nul n'est prophète en son pays : Roegiers a quitté le sien en 1983, furieux et dépité, pour commencer une nouvelle vie en France. Tout d'abord publié par Le Seuil (où travaille Denis Roche), Roegiers est désormais chez Grasset, rue des Saints-Pères. C'est aussi cette rupture qu'il raconte dans un livre émouvant et plein de verve.
* Patrick Roegiers, Ma Vie d'écrivain, roman, Grasset, 2021.
** Patrick Roegiers, Au Bonheur des Belges, roman, Grasset, 2012.
*** Patrick Roegiers, Le Roi, Donald Duck et les vacances du dessinateur, roman, Grasset, 2016.