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  • Blind date (5)

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    Ce soir, le ciel est plein d'oiseaux, de chants de merle, de cris d'enfants. Le pommier craque sous le mistral.

    Elle est à sa fenêtre et elle entend une effraie qui s'envole. Là-bas, au-dessus des cyprès, froissement d'ailes dans la nuit. Sa cigarette brûle entre ses doigts. Jamais auparavant elle n'a connu une nuit comme celle-là. Une nuit glaciale et transparente où brusquement on est admis dans le secret du monde. Quelque chose se révèle. Épiphanie, flash. Fulgurance. Autour de vous quelque chose s'ouvre et vous emporte au cœur des choses. Adèle n'arrive pas à dormir dans le grand lit plein de fantômes. Elle transpire. Elle étouffe. Elle se lève pour respirer l'air de la nuit et aussitôt qu'elle ouvre la fenêtre elle se retrouve là-bas, dans la maison pleine de soleil, au milieu du mois d'août, et toute sa vie soudain lui apparaît dans une lumière aveuglante…

    Cette scène, Adèle l'a rêvée des centaines de fois les nuits d'orage ou de pleine lune. Quand le ciel est un grand parchemin noir. Elle sort sur la terrasse pour respirer l'air de la nuit. Elle traverse le jardin. Sous ses pieds nus elle sent l'herbe drue et mouillée. L'herbe qui n'a pas été coupée depuis longtemps. Elle marche au bord de la piscine, puis revient sur ses pas. La terre est jonchée de cerises que personne n'a ramassées. Elle est sur la terrasse comme tout à l'heure et elle respire l'air de la nuit en fermant les paupières. Quand elle les rouvre il est là, surgi de nulle part et souriant, ses lunettes rectangulaires sur le nez. Il est là en bras de chemise et il marche vers elle. Adèle sourit à son tour, ouvre ses bras pour l'accueillir, l'appelle par son prénom comme elle le fait toutes les nuits. Philippe lève la tête. Il regarde autour de lui, l'air étonné, comme si quelqu'un dans l'air épais et noir avait crié son nom. Il fait semblant de rien (la mort est un mensonge, pense-t-elle, c'est un leurre que les hommes ont inventé pour se donner des émotions : un truc de charlatans). Elle se jette dans ses bras. Bien sûr elle n'embrasse que le vent. L'homme a passé à travers elle comme une ombre…

    Elle s’apprête à franchir le seuil du café King’s.

    C’est ici qu’elle donnait rendez-vous à Philippe…

    Dans l’autre vie.

    Le café King’s était leur nid d’amour.

    Ils s’installaient toujours à la même table, un peu en retrait, loin du zinc et de la vitre. Il lui prenait les mains. Il lui racontait sa vie au journal. Rachele, la patronne, venait leur dire bonjour. Toujours un mot gentil et un sourire. Ils buvaient un café.
  • Blind date (4)

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    Atome perdu dans la fourmilière des hommes, le monde vient à lui par un écran plasma. Le monde entier. En une seconde. Désormais il n’a plus besoin de sortir de chez lui.

    « Comme on est bien quand on est seul ! se dit-il, comme pour se rassurer. Tout seul et relié au monde par une forêt de fils et d’écrans lumineux… »

    Il se verse une tasse de café. Maestro Lorenzo Gastronomia. Un café qui réchauffe le cœur et donne du courage.

    À cet instant, près de son lit, retentit un petit carillon : c’est un nouveau message qui tombe dans sa boîte électronique. Son cœur se met à battre comme s'il vivait vraiment. Comme s'il était vraiment vivant. Comme s'il faisait partie du monde des vivants.

    Il enfourche sa chaise comme le héros d'Easy Rider sautait sur sa bécane. Il attrape sa souris. Il dirige la petite flèche sur l'icône du courrier. Il clique fébrilement, se réjouit des mots qu'il va lire dans une seconde. Et des images qu'Adèle, peut-être, a jointes à son courrier. Déjà l'eau monte dans sa bouche.

    Dans le désir il clique sur l'icône NOUVEAU MESSAGE. Mais au lieu des photos qu’Adèle lui envoie de temps en temps, c'est un message publicitaire vantant les mérites d'un nouveau dentifrice au fluor qui rend les dents vraiment plus blanches.

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  • Blind date (3)

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    Adèle, il l'imagine au saut du lit. Le jour se lève, orange et rose, sur le lac qui frissonne. Elle s'étire comme un chat. Elle allume la radio. La voix de Johnny explose dans le poste. Que Je T’aime. Elle se dirige au radar vers la douche. Elle ôte son baby-doll transparent. Slow motion. Elle ouvre le robinet d'eau tiède et commence à se savonner. Image par image. Quand elle sort de la douche, c'est une autre chanson. Maria Carey. We BelongTogether. Adèle se tient devant la glace et masse son corps avec l'huile de coco. Longuement. Voluptueusement. Comme si elle savait qu'à cet instant précis dans la petite ville quelqu'un la regardait.

    Mais chaque soir, le film s'arrête là. Impossible d'aller plus loin. Adèle disparaît de l'écran. Il a beau rassembler ses forces, bander son imagination. Adèle a rejoint les fantômes. Elle l'a laissé en rade, l'eau à la bouche, face à l'écran de son PC.