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  • Les riches heures de Jean-Louis Kuffer

    À vous, lectrices et lecteurs très honorables, je propose aujourd'hui un livre sans pareil, ou presque, dans la littérature contemporaine : il s'agit du premier blog littéraire publié en Suisse, celui que mon ami et collègue Jean-Louis Kuffer tient depuis quatre ans sur la plateforme Hautetfort (http://carnetsdejlk.hautetfort.com). Notes de lecture, ébauches de poèmes ou de romans, réflexions sur la littérature et le monde : ce livre nous fait entrer dans l'atelier d'un écrivain à la fois secret et ouvert au monde, là même où s'élabore l'alchimie du texte. En primeur, je vous propose quelques extraits de ces Riches Heures. 969203646.2.jpg

    « Proposant aujourd’hui quelque 2000 textes, dans les domaines variés de la littérature et des arts, de l’observation quotidienne et de la réflexion personnelle, entre autres balades et rencontres, ces Riches heures de lecture et d’écriture s’inscrivent dans le droit fil des carnets manuscrits que je tiens depuis une quarantaine d’années, qui ont déjà fait l’objet de deux publications : Les Passions partagées (1973-1992) et L’Ambassade du papillon (1993-1999), chez Bernard Campiche.
    En outre, ces Carnets de JLK illustrent les virtualités nouvelles, et notamment par le truchement de l’échange quotidien avec plusieurs centaines de lecteurs, de cette forme de publication spontanée sur l’Internet, qu’on appelle weblog ou blog.
    Dans l’univers chaotique qui est le nôtre, où le clabaudage et la fausse parole surabondent, ces carnets se veulent, au-delà de tous les sursauts de méfiance ou de mépris, la preuve qu’une résistance personnelle est possible à tout instant et en tout lieu pour quiconque reste à la fois attentif à la rumeur du monde et à l’écoute de sa voix intérieure. À l’inattention générale, ils aimeraient opposer un effort de concentration et de réflexion au jour le jour, ouvrant une fenêtre sur le monde.


    SOUS LE REGARD DE DIEU. - Pasternak disait écrire « sous le regard de Dieu », et c’est ainsi que je crois écrire moi aussi, sans savoir exactement ce que cela signifie. Disons que ce sentiment correspond à l’intuition d’une conscience absolue qui engloberait notre texte personnel dans la grande partition de la Création. Ce sentiment relève de la métaphysique plus que de la foi, il n’est pas d’un croyant au sens des églises et des sectes, même s’il s’inscrit dans une religion transmise.
    J’écris cependant, tous les jours, «sous le regard de Dieu», et notamment par le truchement de mes Carnets de JLK. Cela peut sembler extravagant, mais c’est ainsi que je le ressens. En outre, j’écris tous les jours sous le regard d’environ 500 inconnus fidèles, qui pourraient aussi bien être 5 ou 5000 sans que cela ne change rien : je n’écris en effet que pour moi, non sans penser à toi et à lui, à elle et à eux.
    Ecrire «sous le regard de Dieu» ne se réduit pas à une soumission craintive mais nous ouvre à la liberté de l’amour. Celle-ci va de pair avec la gaîté et le respect humain qui nous retient de caricaturer Mahomet autant que de nous excuser d’être ce que nous sommes. L’amour de la liberté est une chose, mais la liberté d’écrire requiert une conscience, une précision, un souci du détail, une qualité d’écoute et une mesure du souffle qui nous ramène « sous le regard de Dieu ».

    A LA DESIRADE. – Nous entrons dans la nouvelle année par temps radieux et la reconnaissance au cœur alors que tant de nos semblables, de par les monde, se trouvent en proie à la détresse, à commencer par les victimes des terribles tsunamis qui viennent de dévaster les côtes de l’Asie du Sud-est.
    A La Désirade, la vision de ma bonne amie qui fait les vitres, comme on dit, me semble la plus belle image de la vie qui continue…
    (1er janvier 2005)

    ÉCRIRE COMME ON RESPIRE. - Ce n’est pas le chemin qui est difficile, disait Simone Weil, mais le difficile qui est le chemin. Cela seul en effet me pousse à écrire et tout le temps: le difficile.
    Difficile est le dessin de la pierre et de la courbe du chemin, mais il faut le vivre comme on respire. Et c’est cela même écrire pour moi : c’est respirer et de l’aube à la nuit.
    Le difficile est un plaisir, je dirai : le difficile est le plus grand plaisir. Cézanne ne s’y est pas trompé. Pourtant on se doit de le préciser à l’attention générale: que ce plaisir est le contraire du plaisir selon l’opinion générale, qui ne dit du chemin que des généralités, tout le pantelant de gestes impatients et de jouissance à la diable, chose facile.
    Le difficile est un métier comme celui de vivre, entre deux songes. A chaque éveil c’est ma première joie de penser : chic, je vais reprendre le chemin. J’ai bien dormi. J’ai rêvé. Et juste en me réveillant ce matin j’ai noté venu du rêve le début de la phrase suivante et ça y est : j’écris, je respire…
    Tôt l’aube arrivent les poèmes. Comme des visiteurs inattendus mais que nous reconnaissons aussitôt, et notre porte ne peut se refermer devant ces messagers de nos contrées inconnues.
    La plupart du temps, cependant, c’est à la facilité que nous sacrifions, à la mécanique facile des jours minutés, à la fausse difficulté du travail machinal qui n’est qu’une suite de gestes appris et répétés. Ne rien faire, j’entends ne rien faire au sens d’une inutilité supposée, ne faire que faire au sens de la poésie, est d’une autre difficulté; et ce travail alors repose et fructifie. »

    * extrait des Riches Heures, blog-notes 2005-2008, de Jean-Louis Kuffer, Poche Suisse, l'Âge d'Homme, 2009.

  • Éloge du poireau

    images.jpgIl suffit qu'un Conseiller fédéral envisage ou annonce son départ pour qu'une grande agitation s'installe à Berne (et ailleurs). Les fauves sortent du bois, toujours les mêmes. Et les grandes manœuvres recommencent. On organise des conciliabules secrets. On noue des alliances d'un jour ou d'un soir. On fait de fausses promesses. On sort sa calculette pour évaluer les chances de chacun. La Suisse est un petit pays. On ne sort pas de là. Et ses hommes politiques sont à l'image du pays…

    Parmi les prétendants, certains ont les dents longues, et aiguisées, à force de rayer les parquets fédéraux. On les voit partout. Ils font partie des people. Ils ont des amis au Matin (Ariane Dayer, tiens, une autre Valaisanne), à la RSR (Philippe Revaz, tiens, un autre Valaisan), sur Léman bleu (Pascal Décaillet, tiens, un autre Valaisan). Ce sont nos Grandes Têtes Molles. Moins ils ont de choses à dire et plus ils se répandent en déclarations péremptoires. Sur l'insécurité, l'UDC, l'assurance maladie, l'Europe, les banques de sperme, l'euthanasie, l'Eurovision, le football, l'eau minérale…

    Vous avez reconnu Christophe Darbellay, poireau de la grande espèce. Des années qu'il ronge son frein, celui-là, et qu'il complote, et même pas dans l'ombre. Des années qu'il poireaute, convaincu de son destin national, sabotant le siège d'un autre Valaisan, Pascal Couchepin, dont il rêve à haute voix de prendre la place. Mais pas de pitié chez les poireaux. Tous les moyens sont bons pour arriver au sommet. On peut très bien se réclamer Démocrate-chrétien et défendre l'euthanasie pour les malades incurables qui coûtent trop cher à la société. On peut aussi défendre les vertus de l'eau minérale en bouteille, bien meilleure, et surtout bien plus chère que l'eau du robinet, parce que beaucoup plus polluante. Qu'importe les valeurs PDC, quand on est ambitieux, tous les moyens sont bons pour réussir.

    Vert à l'extérieur, le poireau s'acoquine volontiers avec les écologistes, lorsqu'il prépare un mauvais coup. Ou avec les socialistes quand il s'agit de renverser un Conseiller fédéral. Cela n'entache en rien sa blancheur intérieure, celle des valeurs ancestrales du parti vert et blanc, la pureté virginale de son cœur tendre et fade. Au vu de la pauvreté de la flore politique suisse, gageons que le poireau a encore de beaux jours devant lui. Quand un Valaisan monte à Berne, il revient toujours avec la Coupe ! Célébrons nos légumes nationaux ! Après tout, dans un canton voisin, associé à la pomme de terre, on en fait un excellent papet.

  • Chute et fracas

    images-3.jpeg En 2006, Jacques Perrin, gastronome et amateur de vins exquis, mais aussi enseignant, autrefois, et philosophe, fait une chute terrible à l'Aiguille du Pélerin, dans la voie One Step Beyond. Il dévisse brusquement, chute, se fracasse en contrebas. Son corps est hélitreuillé jusqu'à Chamonix, puis transporté à Genève. Le pronostic des médecins est pessimiste. Le corps en miettes, l'âme en partance, il souffre de multiples fractures au bassin, aux jambes, aux bras et au visage. Mais il est vivant, ce qui est déjà une forme de miracle. De cette chute, vertigineuse, et de ce fracas, Jacques Perrin fait le récit dans Dits du gisant*, un livre qui s'impose, dès les premières pages, par son souffle et sa force.

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